Question de point de vue : on pourrait aussi appeler ce texte « les débuts des Carolingiens », mais en fait, moins simple, car le but de l’auteur est justement de montrer que les Carolingiens étaient là bien avant que les Mérovingiens ne disparaissent.
Extrait de la Vie de Charlemagne par Eginhard = panégyrique qui est destiné à la glorification du souvenir de l’empereur. Une première difficulté est de faire le tri dans les informations à donner sur l’auteur, personnage majeur de la 1ère moitié du IXème siècle auquel plusieurs biographies ont été consacrées. Il suffira de rappeler ici qu’il a été élevé au palais, a fait parti du proche entourage de Charlemagne puis de son fils Louis le Pieux, et qu’il a été à la fois un homme de haute culture qui a contribué à la « renaissance carolingienne » et un proche collaborateur de ces deux souverains très impliqué dans le gouvernement du royaume. Sa Vie de Charlemagne est autant un hommage à son bienfaiteur qu’un miroir tendu à ses successeurs, dans lequel comparer leurs actes à l’œuvre de leur glorieux prédécesseur.
La présentation de ce document présente plusieurs problèmes :
- son absence de date : si les faits rapportés sont datables entre 732 (victoire de Charles Martel à Poitiers) et 768 (mort de Pépin III), la source elle-même ne comporte aucun élément permettant d’établir sa date de composition qui selon les historiens, varie entre 814 et 840. Il est de toute façon avéré qu’elle a été écrite au moins une soixantaine d’année après l’événement majeur du texte, l’usurpation de Pépin.
- C’est justement un autre aspect problématique : le texte ne présente pas l’action de Pépin comme une usurpation ou un coup d’État mais insiste a contraire sur l’approbation pontificale dont il a fait l’objet.
- Ce texte n’est donc pas objectif, c’est peu de le dire, mais sa vocation panégyrique en fait même une œuvre de propagande destinée à justifier tous les actes de Charlemagne et de ses ancêtres, il présente la version officielle des événements, version qui, plus d’un demi-siècle après les faits, était devenue consensuelle : les Carolingiens se sont substitués aux Mérovingiens car ceux-ci étaient devenus incapables de gouverner le royaume. L’intervention du pape fait de ce changement dynastique l’expression de la volonté divine.
- Le texte présente donc plutôt la vision qu’avaient les hommes de la première moitié du IXème siècle des événements de 751 que les événements dans leur déroulement réel. En cela, c’est d’avantage un témoignage sur l’idéologie politique carolingienne qu’une véritable source historiographique.
Le texte alterne donc très logiquement les références péjoratives parfois nées de l’esprit d’Eginhard à l’égard des Mérovingiens (le char à bœufs) et les hyperboles mélioratives à l’intention des Carolingiens (forcément très riches, très puissants, très courageux…).
ð centres d’intérêts et analyse :
- le changement de dynastie de 751 : comment et pourquoi ? : l’appauvrissement des Mérovingiens, peu à peu dépouillés de leurs biens fiscaux par la nécessité de rémunérer sans cesse les fidélités, de se placer au sommet de la pyramide des circulation des richesses. //t, l’enrichissement des Carolingiens, fondé sur le contrôle des sources de revenus fiscaux (via la charge de maire du Palais, qui intégrait la gestion du trésor royal => aspect mis en valeur par Eginhard, mais sans référence au véritable détournement de fond opéré par les maires du palais pippinides) et le contrôle des zones de dynamisme économique en contact avec les échanges dans les mers du Nord (conquête de la Frise, aspect tu par Eginhard, car moins de nature à glorifier la dynastie) => désordre institutionnel : celui qui détient les moyens du pouvoir n’en détient pas les symboles et inversement.
- les signes et expressions du pouvoir au VIIIème siècle : la naissance noble, la richesse, la gloire militaire, mais aussi la légitimité fournie par « l’élection » du peuple et de Dieu (avec transition sous Pépin de l’une à l’autre = les deux sacres) et les aspects rituels (l’audience, le trône, la chevelure et la barbe longue), avec renouvellement des symboles (passage du mund magique au sacre).
- Une légitimité mérovingienne bien ancrée qui exige l’intervention d’une puissance extérieure, la papauté, pour être brisée : il faut attendre la mort de Pépin et la réussite de la succession dynastique dans la famille carolingienne pour être totalement sûr (1) que l’usurpation a réussi ; (2) que d’autres ne sont pas tentés de tenter à leur tour de renverser la nouvelle dynastie. Eginhard tait un certain nombre d’aspects : le fait que Pépin et Carloman ont du désigner un nouveau roi en 741, après quatre ans de « règne » de Charles Martel sans roi ; les rivalités internes au monde franc après 751, et surtout avant 754. Il doit au contraire insister sur les qualités des Carolingiens, le fait qu’avant même l’usurpation ils sont considérés comme des rois (épisode de Carloman) et la nouvelle légitimité forgée par Charles Martel comme réunificateur du royaume et défenseur de la chrétienté.=> prouver que les Carolingiens ont une légitimité dynastique qui remonte bien au-delà de l’usurpation de 751, jusqu’à Pépin II.
=> Eginhard décrit bien le processus de déchéance des Mérovingiens, mais "oublie" de souligner la responsabilité écrasante des Pippinides, qui les privent progressivement de tout moyen d'action, dans cette décadence.
Plan possible :
I- Un roi qui n’a plus que l’apparence du pouvoir royal.
II- Un maire du palais qui détient la réalité du pouvoir royal.
III- L’usurpation et l’installation de la dynastie franque.