Le Document : Type de doc = témoignage hagiographique (vies de saints et récits de miracles). Documents qui posent problèmes d’interprétation car écrit dans un but édifiant = montrer grande valeur du saint de son sanctuaire et les nombreux miracles qu’il a accompli pour y atttirer les pélerins et donc les revenus. Compétitions entre les différents sanctuaires amènent des imitations entre les récits => des topos hagiographiques. Svt aussi, les textes ont été rédigés plusieurs fois => éléments d’origine disparaissent sous les réécritures qui témoignent plus de leur époque que de ce qu’elles prétendent rapporter (pas le cas ici, les moines de St-Philibert ont pris la peine d’écrire un second récit, très différents du premier).
ð cas rare en hagiographie = un texte de première main (phénomène en général limité au IX° siècle et à la fin du Moyen Age = rédaction d’un récit hagiographique immédiatement après les faits rapportés et non modifié ensuite).
ð Ici doc qui pourrait laisser croire qu’il n’a pas de mission édifiante et qu’il se contente de rapporter objectivement les faits qui ont contraint à la fuite la communauté de Noirmoutiers. En réalité, tendance à l’exagération pour deux raisons :
- hagiographique : dangers traversés témoignent de l’efficacité de la protection de saint Philibert qui a permi à la communauté de survivre.
- humaine : justifier la « désertion » des moines de Noirmoutiers qui ont préféré fuir devant l’ennemi plutôt que d’affronter le martyr.
+ insertion dans contexte monastique de deuxième moitié du IX° siècle : moines = ceux qui ont le plus durement subi les invasions normandes car monastères = proies idéales pour les pillards. + pensée ecclésiastique qui fait des invasions normandes une punition divine contre les péchés des grands et la division de l’empire. => sauvagerie des normands et division des laïcs = deux grands topos hagiographiques de la période (miracles de Saint-Riquier, Vie de Saint Anchaire). Par opposition, miracles accomplis par les reliques = signe de la force de l’Eglise qui peut seule mener le peuple au salut et à la paix grâce à l’intercession des saints, d’autant plus que la fin des temps semble proche (Normands mis en rapport avec les cavaliers de l’apocalypse, qui annoncent la venue de la fin de monde) = millénarisme.
Rédigé vers 875, après l’installation définitive des moines de Saint-Philibert de Noirmoutiers à Tournus, en pleine Bourgogne, hors d’atteinte des attaques normandes, dans le but de rappeler le périple de la communauté depuis qu’elle a quitté Noirmoutiers en 848 devant la multiplication des raids normands (1° raid en 824) et les miracles accomplis par le saint durant cette longue translation, qui montrent son accord => but très matériel = attirer les pélerins pour reconstituer le patrimoine de la communauté ruiné par les attaques normandes et les années d’errance. Auteur inconnnu par ailleurs. Son nom semble le rattacher à la famille du sénéchal Adalard, puissante dans toute la vallée de la Loire et proche de Charles le Chauve (Ermentrude, sa femme = nièce d’Adalard). Il donne un résumé des grands événements des années précédentes, sans doute + ou – de mémoire (erreur de chronologie) => un document qui nous informe moins sur les faits que sur la manière dont ils ont été ressentis par les contemporrains.
Problématique : Lien étroit entre discordes intestines, invasions normandes et territorialisation du pouvoir, qui montre qu’il n’y a pas d’explication simple et unilatérale au déclin de la monarchie carolingienne dans la deuxième moitié du IX° siècle.
Commentaire du texte exigeait identification claire de 2 événements que Ermentaire sous-entend :
- « leurs rivalités réciproques » : allusion aux luttes entre Robert le Fort, Lambert de Nantes, et Charles le Chauves représenté par Ranoux de Poitiers pour le contrôle de la basse-vallée de la Loire dans les années 850, qui s’étaient accompagnées d’alliance des différents partis avec les Normnds et les Bretons.
- « l’année 857 de l’incarnation du Christ s’était écoulée dans ce déchaînement général des guerres civiles et étrangères » = allusion à l’invasion de royaume de Charles par son frère Louis le Germanique en 857/858, alors qu’il était occupé à assiéger les Normands sur une île de la basse vallée de la Seine.
Plan :
I- En toile de fond : les invasions normandes.
A- La litanie des pillages : texte très littéraire, qui montre l’ampleur du désastre par des procédés divers, parmi lesquels l’accumulation litanique, l’hyperbole (anéantissement), la périphrase (aussi est-il plus exact de dire qu’on l’a arraché aux mains des Normands) => texte vivants, faits pour être lu durant la liturgie, dans le sanctuaire du saint.
B- Une punition divine qui frappe toute la terre.
II- Rivalités aristocratiques et pouvoirs territoriaux.
A- Un monde déchiré par les querelles intestines.
B- Le refus de résister : une idée à nuancer.
C- Les gains de ceux qui résistent : trajet des moines de Saint-Philibert suit possession de Robert le Fort et de ses alliés.
III- La fin d’un monde.
A- Références apocalyptiques et millénarisme.
B- La conscience qu’un monde est en train de disparaître = le monde franc tel qu’il avait existé, globalement, depuis Clovis. Pour la première fois, le pouvoir central est véritablement mis à mal. Processus de décomposition.
Conclusion : Texte complexe car il mêle plusieurs niveaux de compréhension et ne se donne pas ouvertement pour ce qu’il est = une critique cléricale de l’évolution de la société carolingienne à la fin du IX° siècle (texte + ou – contemporain de mort de Charles le Chauve et de la décomposition du royaume de Francie Occidentale) qui montre bien que au-delà des invasions normandes, c’est l’incapacité des souverains carolingiens à grouper autour d’eux leur aristocratie pour assurer la défense du royaume (incapacité aux causes elles-aussi multiples) qui mène à leur déclin.