Illustration : massacre des Jacques par la chevalerie d'Île de France à Meaux (juillet 1358), enluminure des Chroniques de Froissart (v. 1400).
Introduction :
Du final de Notre-Dame de Paris, dans lequel Hugo met en scène la révolte des Parisiens contre l’exécution d’Esméralda à la conclusion du Nom de la Rose, où Umberto Ecco décrit la déroute de l’inquisition face à la rébellion des villageois, en passant par le Brave Heart de Mel Gibson, le soulèvement populaire est un passage presque obligé du roman et du film historique médiéval, qui est instrumentalisé comme le moment de l’entrée du peuple dans l’histoire (v. mise en scène de Anaud avec le peuple qui se (sou)lève au sens propre, qui relève la tête). Ce mythe littéraire et cinématographique s’appuie-t-il sur une réalité historique ?
Définitions :
3 termes (soulèvements, révoltes, contestations) qui sont plus ou moins synonymes et varient surtout dans leur ampleur et leurs conséquences à long terme. Les deux premiers ont un sens plus restreint, qui implique l’usage de la violence contre une autorité qui se présente comme légitime, tandis que le troisième englobe un champ plus large de mise en cause du pouvoir, qui peut également recourir à des moyens pacifiques.
De tels mouvements, circonscrits à des événements locaux et sans lendemain et au domaine de la contestation religieuse (catharisme, valdéisme) dans les premiers siècles du Moyen Âge, prennent une ampleur et une importance sans commune mesure avec ce qui précède à partir du XIVème siècle. Le phénomène marque toute l’Europe, avec une plus grande précocité des révoltes urbaines en Italie : souvent très violentes dans leur déroulement comme dans leur répression, elles s’inscrivent dans le contexte complexe de temps troublés par la guerre, la famine, la crise économique et les épidémies. Il faut néanmoins introduire une distinction entre l’Italie, l’Espagne et le monde germanique d’une part, qui ne sont affectés que par des révoltes urbaines, et les royaumes de France et d’Angleterre qui se heurtent à des soulèvements de plus grande ampleur affectant aussi bien les villes que les campagnes et pouvant s’étendre à des régions entières (Flandre, Ecosse), dans le cadre de guerres étrangères (guerre de Cent ans) et civiles (guerre des Armagnacs et des Bourguignons, guerre des Deux Roses).
Ces révoltes et soulèvements populaires anglais et français ont en outre un statut particulier dans la mesure où l’historiographie classique s’en est emparé pour en faire les prémices des révolutions des XVIIème et XVIIIème siècle. Plus récemment, les historiens, abandonnant cette attitude a posteriori, ont insisté sur la précocité de la construction de l’Etat-nation en France et en Angleterre, insistant sur le rôle que deux des attributs de ces Etats, la fiscalité et le monopole de la violence, ont joué dans le déclenchements de ces contestations au sein d’un peuple attaché à ses « coutumes et libertés ». Loin d’être annonciatrices des révolutions libérales, ces révoltes furent donc plutôt des combats d’arrière-garde contre la mise en place de l’Etat moderne, lors desquels le peuple fut souvent instrumentalisé par les bourgeois et la noblesse contre le roi et ses conseillers. Malgré leur instrumentalisation, elles témoignent malgré tout d’une place nouvelle du peuple, en particulier des villes.
Problématique : lien entre construction de l’Etat moderne et multiplication des contestations violentes et des remises en cause de ses acquis.
I- Révoltes fiscales et contestations de l’impôt :
Á partir de Philippe le Bel (+ en 1314) et d’Edouard II (+ en 1321), l’Etat se construit sur la mise en place d’un système fiscal royal permanent, affermé à des officiers de la couronne qui abusent souvent de ce système pour s’enrichir. Ces abus, associés à l’idée tenace que le « roi doit vivre du sien », c’est-à-dire des seuls revenus du domaine (qui ne représentent plus que 2% du budget de l’Etat vers 1450) et que l’impôt doit être « consenti » par le peuple fut la première cause des révoltes aux XIVème et XVème siècles, dans un contexte où la guerre entraîne une hausse sans précédent de la pression fiscale (jusqu’à 68% des revenus en 1378-1379).
1- Le principe du « consentement » (« quod omnes tangit ») et la contestation de l’impôt royal :
Jusqu’en 1451 en France, le roi ne peut décider seul de nouveaux impôts. Il doit obtenir l’accord des Etats (généraux ou de Languedoc et de Languedoïl). Le roi d’Angleterre ne put jamais s’affranchir de la tutelle fiscale du parlement (mais pouvait être contourné par la mise au pas du Parlement, comme sous les Lancastre, début XVème siècle).
Or les XIVème et XVème siècle voient une hausse des besoins des Etats royaux, en raison de la multiplication des officiers qui permettent une meilleure administration, du développement du faste de la cours, et surtout de la guerre. L’impôt royal, d’abord exceptionnel, local et lié à une situation précise (financement d’une campagne, de grands travaux) devient progressivement permanent, sans justification et applicable dans tout le royaume, où il se superpose aux redevances seigneuriales. Aux impôts directs (taille, fouage) viennent s’ajouter des droits indirects (gabelle, aides).
Dans le même temps, les malheurs de la guerre se combinent aux épidémies et à une période de récession économique (cycle B de Kondratief de 1350 à 1500) pour créer une grande misère dans le peuple, à qui cette nouvelle pression financière paraît insupportable, d’autant qu’elle vient doubler les redevances seigneuriales.
NB : c’est bien l’impôt royal et les nouvelles obligations liées à la construction de l’Etat que les paysans refusent, car dans le même temps, dans les années 1380-1390, les hausses des prélèvements seigneuriaux ne provoquent pas de révoltes et de très rares contestations.
La pratique des mutations monétaires, qui consistent à jouer sur la quantité de métal précieux dans la monnaie pour faire baisser ou augmenter les prix selon les besoins du trésor royal, aggrave encore cette situation. La première grande émeute en France (Paris, 1306, v. texte) est d’ailleurs liée à une telle mutation qui avait provoqué le triplement des loyers dans la capitale.
Cette insurrection ouvre un cycle de près d’un siècle de soulèvements populaires qui deviennent progressivement le vecteur de contestation de l’ordre politique.
2- La « grande jacquerie » (1358) , et la révolte des paysans anglais ou « Tyler’s revolt » (1381-1382).
Deux situations proches d’absence du pouvoir royal (Jean II prisonnier en Angleterre, Richard III âgé de 14 ans) avec reproches adressés non au roi mais aux hommes qui l’entourent et gouvernent à sa place (régence). Dans les deux cas, la combinaison :
- d’un mouvement rural de protestation contre la hausse excessive des impôts (crue de taille en France, troisième poll tax en Angleterre) liée aux activités militaires de la guerre de cent ans, concentrés dans les régions bordières de la capitale (Vexin, Île de France et Picardie en France, Essex et Kent en Angleterre) ;
- d’un mouvement urbain dans la capitale du royaume (Etienne Marcel à Paris, John Ball à Londres) ;
- d’une effervescence sociale et politico-religieuse (« réformation du royaume » en France, Lollards adamites et partisans de Wycliff en Angleterre).
Dans les deux cas, la révolte s’achève par le massacre des paysans, la reprise en main violente de la capitale et la réaffirmation du pouvoir royal (prise de pouvoir personnelle de Richard III, régence de Charles V).
Dans les deux cas également, la contestation purement fiscale débouche sur des revendications sociales et politiques, ce qui va se généraliser par la suite.
3- L’insurrection anti-fiscale de 1378-1382, Maillotins et Cabochiens, … ou quand les révoltes fiscales deviennent politiques.
Dans les années 1380, les révoltes fiscales prennent un tour plus nettement politique, d’abord en Angleterre avec la coalescence des revendications paysannes et des théories sociales et politiques de John Wycliff, qui revendiquait l’élection par le peuple de ses gouvernants, la saisie des biens du clergé et le partage égalitaire des biens.
Après l’échec de l’insurrection d’Étienne Marcel, la grande révolte anti-fiscale de 1378-1382 débouche malgré tout sur un rapprochement d’intérêt entre le peuple des villes et les bourgeois pour défendre les coutumes et libertés et les opposer aux exigences croissantes du pouvoir royal (=> se traduit par suppression des communes au moment de la répression entre 1383 et 1389). Moins ambitieuse qu’Etienne Marcel, la bourgeoisie n’en profite pas moins pour poser des exigences de participation aux affaires du royaume qui trouveront une réalisation à partir des années 1390.
Cette plus grande modestie des revendications entraînent néanmoins la perte de la spécificité des révoltes urbaines au XVème siècle. Sous couvert de réforme politique, la révolte cabochienne de 1413 est en fait instrumentalisée par les Bourguignons qui lâchent les insurgés dès qu’ils ont obtenu ce qu’ils voulaient. La même tragique mésaventure marque la révolte parisienne de 1418.
En Angleterre, la chute de Richard III et la lutte entre les Lancastre et les Bedford, puis la guerre des Deux Roses s’accompagnent de la même instrumentalisation des révoltes urbaines.
Malgré leur retentissement immédiat et leurs conséquences à cours terme (suppression des fouages et tailles en 1380), les grandes émeutes fiscales des années 1370-1380 échouèrent. A partir des années 1390, l’impôt devient une composante normale du gouvernement royal. Les derniers mouvements anti-fiscaux se font moins violents (le Puy, 1477 ; Mutemaque de Reims en 1461 => destruction des registres ; Albret, 1477 : les paysans fuient dans les bois pour échapper à l’impôt) ou changent de nature : en 1481, le « populaire » d’Agen se révolte, mais contre les bourgeois et les consuls de la ville accusés de répartir l’impôt à leur avantage et d’accabler les plus pauvres.
ð problème = manque persistant de légitimité des Valois qui les obligent à s’appuyer sur les factions nobles, les princes et les Etats généraux pour gouverner // parallèle en Angleterre avec la fin des Plantagenêt et la multiplication des crises de succession, qui donne un rôle croissant au parlement.
II- Monopole d’Etat de la violence et contestations de ce monopole :
Or cette légitimité était le seul moyen, pour le roi, d’imposer la mise en place de l’autorité d’un Etat qui, dans le contexte de la guerre extérieure, devait imposer son monopole de la violence afin d'éviter rivalités et affrontements internes.
1- La mise au pas de la population et le contrôle de la violence :
Á travers son action fiscale et judiciaire, l’Etat en construction pose une différence fondamentale entre violence légitime, qu’il est le seul à pouvoir exercer pour se faire payer son dû et punir les coupables, et criminalité, terme qui désigne désormais tout acte violent exercé en dehors du monopole de l’Etat.
Des faits jugés jusque là normaux (bagarres) ou justifiant la mansuétude des juges (meurtres dans le cadre d’une vengeance familiale ou villageoise, viol) sont désormais des crimes passibles de la mort ou de lourdes peines (bannissement, prison). Les XIVème et XVème siècles inventent également la prison comme moyen généralisé de coercition.
Ex : minutes du tribunal prévôtal du Châtelet : à partir des années 1430, multiplications des procédures visant à condamner les auteurs de rixes et bagarres, qui étaient jusque là un exutoire naturel à la densité des villes médiévales. S’accompagne d’une croissance exponentielle des condamnations à des châtiments violents (peine de mort, bastonnade, mutilations).
Or, les premières victimes des émeutes et révoltes populaires sont les prévôts, officiers collecteurs et surtout sergents qui, plus proches des administrés, incarnaient l’autorité dans ce qu’elle avait de plus violente et arbitraire, emprisonnant les réfractaires à l’impôt, saisissant leurs biens et appliquant les peines de justice. Les officiers des parlements, surtout de moindre rang, et les officiers de justice étaient également la cible des attaques du peuple, qui leur reprochait le caractère de plus en plus coercitif de la justice (libération de prisonniers, émeutes contre le châtiment des meneurs de la Harelle à Rouen ou de la grande Jacquerie à Paris, ou plus simplement refus des peines infligées dont témoigne là encore les registres de Châtelet). Il était fréquent qu’ils soient accusés également de s’enrichir aux dépends des administrés (système de la ferme : les officiers avancent l’argent au roi, puis se remboursent par les prélèvements).
2- Une extrême violence dans les révoltes :
Chaque révolte ou soulèvement est l’occasion de meurtres et de violences à l’encontre des représentants du pouvoir royal. Tant qu’ils se limitent à des émeutes ponctuelles d’un ou quelques jours, elles vont rarement plus loin.
Par contre, dès lors que ces mouvements s’installent dans le temps, ils prennent un caractère de violence extrême exercée à l’encontre de ceux qui sont perçus comme des opposants ou des ennemis. La grande Jacquerie ou la révolte des paysans anglais s’accompagnent d’assassinats souvent brutaux de nobles, de véritables mises à sac des châteaux qui sont incendiés. Les viols de dames et demoiselles sont également nombreux, et sont utilisés comme un moyen symbolique pour déshonorer les nobles auxquels s’en prennent les révoltés.
Maillotins et cabochiens font régner la terreur à Paris, exécutant sans procès leurs opposants. Leurs surnoms sont d’ailleurs évocateurs : les maillotins étaient armés de maillets de plomb avec lesquels ils fracassaient le crâne de leurs ennemis. Les cabochiens étaient encadrés par la confrérie des bouchers écorcheurs qui n’hésitaient pas à égorger les bourgeois ou Armagnac comme du bétail. Cette violence et les nombreux pillages qui l’accompagne expliquent d’ailleurs la façon dont la population et la bourgeoisie de Paris se désolidarisent très vite de ces mouvements.
A l’extrême violence des émeutiers répond donc une grande cruauté de la répression.
3- L’extrême violence de la répression :
Avec Charles V, les marmousets ou le dauphin Louis, fils de Charles VI et régent jusqu’en 1407, comme avec les Lancastre, apparaît une nouvelle vision de l’exercice du pouvoir : au compromis typique de la période féodale succède l’exercice supérieur de l’autorité royale. Les sujets, des plus humbles aux plus nobles, doivent obéir au roi car il est le roi. Tout refus d’obtempérer, et en particulier tout refus d’acquitter l’impôt, doit être châtié de façon exemplaire, mais également tout abus nuisant au pouvoir royal.
Ex. en 1383, la révolte fiscale du Languedoc est écrasée dans le sang, mais le fermier général de Languedoc, convaincu de détournement de fonds, est également brûlé vif.
Cette répression va croissante au XVème siècle, avec la raréfaction des émeutes anti-fiscales.
Ex. : en 1461, après la Mutemaque de Reims, pour de simples destructions de registres fiscaux, Louis XI fit prononcer 9 condamnations à mort et plusieurs dizaines de banissements perpétuels et de mutilations de la main droite ou des oreilles. En 1477, 800 personnes sont jugées après les émeutes du Puy, alors qu’il n’y a eu aucun mort.
Au XVème siècle, la mutilation des oreilles ou du nez devient la punition normale de ceux qui refusent d’acquitter l’impôt, ce qui a clairement pour but d’impressionner et de faire peur.
C’est donc en partie par la violence et surtout l’exercice d’une violence légitime et fondée en droit que l’Etat moderne s’affirme et brise ceux qui résistent à sa mise en place. Mais cela ne pouvait suffire à asseoir sa légitimité : à côté de ces moyens concrets, les rois français et anglais se sont aussi appuyés sur la construction d’une identité commune, dont la mise en place a été favorisé par la guerre de Cents Ans. Le problème se posait alors de l’acceptation de cette identité par tous les sujets de la couronne.
III- La « fabrique des nations » :
D’une part, malgré leur violence, les révoltes populaires marquent l’adhésion du peuple des villes et des campagnes à l’Etat royal sur lequel ils essaient désormais de faire pression. Le contact entre le roi et le peuple, longtemps oblitéré par les seigneurs, redevient possible, en particulier dans les villes. Mais ces peuples pouvaient aussi, comme en Flandre ou en Ecosse, refuser ce pouvoir royal et aspirer à fonder leur propre Etat.
1- Contestation des actions concrètes de l’Etat mais reconnaissance de son autorité.
Á part les Turlupins, le millénarisme révolutionnaire, fréquent dans l’empire, en Italie et en Europe centrale (Hussisme au début du XVème siècle) n’eut pas d’influence en France, ce qui témoigne d’une réelle autonomisation du politique à l’égard du religieux. Les soulèvements et contestations qui y ont lieu sont clairement dressés contre l’Etat et la noblesse accusée de confisquer le pouvoir et d’être incompétente.
Cette référence étatique et nationale est confirmée par les pogroms qui les accompagnent en 1380 et 1382, les Juifs étant désormais jugés comme des étrangers venus appauvrir les Français plus que comme des déicides.
Cette composante « pré-nationale » de la contestation apparaît encore plus clairement dans le parcours des femmes qui, comme Jeanne d’Arc, Piéronne la Bretonne (jeune mystique parisienne qui s’en prit aux Anglais et fut brûlée vive en 1430) ou Jeanne Hâchette (bourgeoise de Beauvais qui prit la tête des femmes de la ville pour aider à la défense des murailles de la ville) rejetèrent la condition dans laquelle les enfermait la société de l’époque pour prendre les armes au nom du roi et de la France.
Le chemin restait néanmoins long à parcourir jusqu’à une véritable « identité nationale » : les soulèvements normands contre la conquête anglaise en 1434-1436 relevaient encore d’avantage de la protestation anti-fiscale, la « conquête devant payer la conquête » pour les Anglais, que de la résistance patriotique. L’aide française aux révoltés (Caen, 1436) fut tardive et peu importante, et il n’y eut jamais de jonction entre les émeutiers paysans et les nobles pro-français qui poursuivaient la lutte contre l’occupant, les seconds méprisant les premiers.
L’apparition de cette idée pré-nationale est plus nette dans les contestations pacifiques qui se manifestent aux Etats de 1357-1358, de 1413 et de 1428 : les défaites de Crécy (1346), Poitiers (1356) et Azincourt (1415) qui ont vu l’effondrement de la chevalerie anglaise sont attribuée à la lâcheté et à l’incompétence de la noblesse. On voit donc se développer dans le Tiers Etat, mais aussi chez certains clercs issus de l’université, un parti dit des « populaires » qui porte l’idée de « réformation du royaume ». Cette réforme doit rétablir un lien direct entre le roi et son peuple, en particulier par l’entrée de représentants des 3 ordres au conseil royal. Repris par Etienne Marcel et les Cabochiens, ce projet ne trouve jamais de réalisation dans une société ou les nobles restent le principal soutien du pouvoir royal, mais témoigne de la conscience du peuple de former une unité autour de son roi.
Le millénarisme révolutionnaire connut au contraire l’une de ses grandes heures de gloire en Angleterre, avec la jonction des paysans révoltés et des partisans de la réforme religieuse de John Wycliff dans les années 1370-1380. Mais au contraire d’autres mouvements proprement religieux et sociaux (v. Patarins en Italie, Giordano Bruno, adamites dans l’empire), la doctrine de Wycliff, fondée sur le rejet de Rome et l’établissement d’une liturgie anglaise comportait des éléments clairement pré-nationaux qui inspirèrent Jan Huss, et en font donc un ancêtre direct des réformes luthériennes et anglicanes.
Au final, aucune pression ou contestation populaire n’est efficace à long terme, faute d’un projet politique cohérent et organisé qui remettent vraiment en cause le système en place. Les cibles sont les officiers et sergents, accusés de mal exécutés les ordres du roi, plus rarement la noblesse, taxée d’incompétence, jamais le roi lui-même. Contrairement à une légende tenace, et hormis dans le cas particulier de la révolte de Wycliff, ces mouvements et contestations populaires n’ont rien de démocratiques. Ils montrent au contraire les progrès du pouvoir royal et l’attachement du peuple à la personne du roi, dernier recours face aux difficultés du temps, et donc les premiers balbutiements d’une appartenance commune au sein de ce qui commence à devenir une nation. Mais cette nation et son Etat pouvait aussi s’opposer à la volonté d’un groupe concurrent de s’ériger lui-même en entité indépendante. C’est ce qu’illustrent les exemples de la Flandre et de l’Ecosse.
2- Etat en construction contre Etat en devenir (1) : la révolte de Flandre.
Observer que dans le cas flamand, l’identité linguistique ne précède pas l’identité politique mais au contraire s’agrège à elle dans le cadre des luttes entre noblesse favorable au roi (Léliarts), qui adopte le Français alors qu’elle avait été flamingante jusqu’au XIIIème siècle, et municipalités et paysans partisans de l’indépendance (Klauwaerts), qui adopte le Flamand alors que beaucoup de bourgeois avaient été, pour des raisons commerciales, longtemps francophones.
Cette opposition transparaît militairement dans les batailles comme Courtrai (1302) ou Cassel (1328), qui voient l’affrontement de la chevalerie française et des milices urbaines et paysannes flamandes.
D’ailleurs, à l’origine, la révolte de Flandre n’a rien de « nationale » mais est une révolte fiscale : les « mâtines de Bruges » (1302) répondent à la hausse des impôts par Philippe le Bel. Jusqu’à la révolte de Gand (1358), ce caractère anti-fiscal reste présent et même dominant, Mais la lutte de succession entre Louis de Nevers, soutenu par le roi de France, et Robert de Cassel (1320-1322) puis l’accession au comté de Louis de Mâle (mort en 1384) et enfin de son gendre Philippe le Hardi, vainqueur des Gantois à Roosebeke en 1382, donne à la révolte un tour de plus en plus politique. Le but des cités flamandes devient de plus en plus clairement, à la fin du XIVème et au XVème siècle, de s’affranchir de la tutelle du roi de France, ce que permet paradoxalement l’annexion aux Etats de Bourgogne : après avoir soutenu la politique du roi pour obtenir son héritage flamand, Philippe le Hardi puis ses descendants se montrèrent de plus en plus indépendants, ce qui favorisa le détachement de la Flandre du royaume de France.
3- Etat en construction contre Etat en devenir (2) : la guerre d’Ecosse.
L’intervention d’Edouard II dans la succession au trône d’Écosse lui avait permis d’exiger l’hommage vassalique du nouveau roi. Cette situation allait déboucher sur une révolte qui est l’une des rares, au Moyen Âge, à voir la coalescence d’un mouvement aristocratique suscité par Robert Bruce, prétendant déçu au trône d’Écosse, et d’un soulèvement populaire encadré par de petits chevaliers dont l’exemple le plus fameux est William Wallace, dit Braveheart, qui forma et entraîna les paysans écossais au combat, au point de leur permettre de remporter une victoire sans précédent sur la chevalerie anglaise en 1322. Sa stratégie, consistant à privilégier l’archerie et à dresser des piques en avant de ses troupes pour briser la charge anglaise devait d’ailleurs être reprise avec succès par les mêmes Anglais contre les Français lors des batailles de Crécy, Poitiers et Azincourt.
De tous les soulèvements de la fin du Moyen Âge, la guerre d’Ecosse apparaît comme celui qui correspond le mieux à un conflit proprement national, les Écossais luttant d’abord pour leur indépendance, même si ici comme ailleurs, la composant anti-fiscale fut présente : l’une des premières mesures d’Edouard II une fois sa suzeraineté établie sur l’Écosse avait en effet été d’y établir l’impôt royal.
Conclusion :
Mise en cause d’un système féodal qui paraît de plus en plus inutile au fut et à mesure que les nobles font la preuve, en particulier sur les champs de bataille, de leur incompétence, mouvement de revendication des bourgeoisies urbaines qui revendiquent une participation au pouvoir royal, refus des nouvelles obligations liées à l’établissement d’un Eta royal centralisé, attaques contre une Eglise jugées trop riche et corrompue, les révoltes et contestations populaires des XIVème et XVème siècle mêlent de façon inextricable des aspects qui annoncent les temps modernes à des réactions de crainte face à la modernité qui se met en place. Loin d’être les premières prémices des révolutions de la fin de l’Ancien Régime, elles sont plutôt le symptôme d’un Etat féodal en crise que l’Etat moderne peine encore à remplacer. Incapables d’établir un programme de réforme cohérent sur la durée, elles ne permirent que l’accession partielle de la frange supérieure des patriciens urbains aux responsabilités, par leur agrégation à une noblesse qui, en tant que principal soutien du roi, garde sa place prépondérante. Elles ne parviennent pas non plus à renverser le système féodal, la grande mutation de la seigneurie classique en seigneurie purement foncière, ce que l’on a appelé la néo-féodalité, étant plutôt la conséquence du renforcement du pouvoir royal. Il faut néanmoins noter que les rois, en France comme en Angleterre, ont su à propos s’appuyer sur ces mouvements pour briser certains des privilèges de l’aristocratie féodale et mieux la soumettre à leur autorité. Cette mise au pas de la noblesse dans un gouvernement royal devenu un Etat de finances plus que de justice est le principal syndrome de l’entrée dans les Temps Modernes.
Annexes : Principales révoltes et contestations fiscales en France aux XIVème et XVème siècles
1306 : révoltes des Parisiens contre les mutations monétaires.
1347, 1355, 1356-57 : rejet de la crue de taille par les Etats généraux.
Mars 1357 : révolte anti-fiscale à Toulouse et en Languedoc.
Mars - juillet1358 : révolte de Paris (Etienne Marcel)
Eté 1358 : « grande jacquerie »
Octobre 1358 : révolte parisienne contre la répression des partisans d’Etienne Marcel.
1363-1384 : révolte des Tuchins d’Auvergne (paysans sans terres, salariés sans emplois et nobles déclassés) qui refusent l’impôt et survivent en pillant et brigandant.
1372 : les Turlupins sont brûlés vifs à Rouen et Paris (Jeanne Daubenton) : Turlupins = mouvement hérétique adamiste prônant le retour à l’Eden (nudité, refus du travail et de la sexualité) qui se double, du XIIIème au XVème siècle, d’une vive contestation sociale (pillages, massacres de nobles et de patriciens urbains).Les Turlupins ont soutenu les révoltes urbaines de Flandre.
1375-1379 : le duc d’Anjou, lieutenant du roi en Languedoc, mène une politique fiscale oppressive.
Pâques 1378 : révoltes anti-fiscales au Puy, Nîmes, Alès.
Octobre 1379 : émeutes anti-fiscales à Montpellier.
Octobre – novembre 1380 : agitation anti-fiscale dans la vallée de l’Oise, à Rouen et à Chartres. Agression d’agents fiscaux à Paris.
Décembre 1380 – février 1381 : les Etats généraux refusent le rétablissement du fouage, puis l’accepte sous la pression du gouvernement royal.
Février 1381 : émeutes anti-fiscales à Saint-Quentin et en Languedoc.
24 février 1382 : Harelle de Rouen.
1er mars 1382 : révolte des Maillotins de Paris suivie de révolte à Laon, Reims, Orléans et en Languedoc. Prise de Bruges par les Gantois.
Printemps-été 1382 : révolte générale dans le Nord de la France au cri de « vive Gand ! vive Paris ! » menée par « merdaille comme de dignans (= dinandier), drapiers (= salariés des deux confréries les plus hiérarchisées) et gens de povre estoffe, enforcés de caïmans et gens d’estrange besoigne » (= casseurs et pilleurs)
Novembre 1382 : défaite des Gantois à Roosebeke.
Eté - 11 janvier 1383 : reprise en main par le duc Jean sans Peur de Bourgogne : exécution des meneurs de la Harelle et des Maillotins, occupation de Paris et Rouen par l’armée royale. Les institutions municipales sont supprimées dans de nombreuses cités jusqu’en 1389. A Paris, la prévôté des marchands est supprimée. Le roi n’accorde son pardon que contre d’énormes amendes (800 000 francs en Auvergne).
Janvier 1413 :
Commentaire de Vincent Thouvenot de La Membrolle sur Choisille (04/06/2009 20:30) :
Je trouve partial & m&disant le commentaire établi dans ce site au sujet
de la Comagnie de la Fraternité des Pauvres ; plus connu sous le sobriquet
irrespectieux des Turlupins .
Le massacre de la Fraternité des Pauvres a été commanditée par la
royauté et la papauté sous l'Inquisition qui utilisait la torture , le
meurtre !
Turlupin de = flûte & de pine sifflet des bergère & bergers . Ces
instruments servaient pour le rassemblement des pauvres .
J'ai appris beaucoup sur ce mouvement qui n'avait pas tout faux
loin de là contrairement à ce que prétendent les documents concernant cette
tragédie historiques . La Compagnie de la Fraternité des Pauvres ou la
Société des Pauvres était un danger pour les pouvoirs sexistes militaires ,
royaux & papaux !
vincent.thouvenot37@orange.fr |