Intro :
Source et auteur : v. corrigé de la semaine dernière pour l’Histoire de Charles VII et Thomas Basin. Il est nécessaire de rappeler tout de même la vive hostilité de Basin envers Louis XI, sans laquelle il n’est pas possible d’expliquer les vives attaques portées dans le texte 3.
Ordonnance : v. corrigé sur l’ordonnance testament de Philippe Auguste. Á partir du règne de Charles V, l’ordonnance devint la forme habituelle de la législation royale et le resta jusqu’à l’apparition des arrêts du conseil au XVIIème siècle.
Placée sous l’autorité royale, cette ordonnance a été rédigée par les juristes de la cour et on y reconnaît l’influence de Pierre de Brézé et de Guillaume Juvénal des Ursins, les proches conseillers de Charles VII, et des frères Bureau, les chefs de son armée et chevilles ouvrières de sa réforme.
Date et contexte : Elle ne pose pas de problème puisqu’elle est clairement donnée dans les documents. L’ordonnance de 1445 suit de peu la trêve de Tours qui met un terme provisoire aux affrontements franco-anglais des années 1430 à l’issue desquels Charles VII a reconquis l’essentiel des terres au nord de la Loire et de l’Aquitaine. Seule la Haute Normandie, la Gascogne et Calais restent alors aux mains des Anglais. Charles met à profit cette trêve pour réorganiser et moderniser une armée qui reste fondée sur la chevalerie féodale, discréditée après Azincourt, et des troupes de mercenaires que les aléas du trésor royal sur lequel ils sont payés rend indisciplinés et difficiles à maîtriser. Ces « écorcheurs », qui vivent sur le terrain, sont parfois plus mal perçus par les populations que l’ennemis, et les habitants de Tours applaudissent même, en 1443, à la défaite face aux Anglais des mercenaires écossais qu’ils devaient logés et avaient multiplié les exemptions. La construction d’une armée professionnelle permanente était donc nécessaire pour finir la guerre et s’attacher les populations des territoires reconquis. L’application de ces réformes conduisit à la victoire de Castillon (1453), prélude à l’évacuation du continent par les Anglais, qui est annoncée à la fin du 1er texte.
Analyse : Les trois textes se combinent pour donner une description de la nouvelle armée permanente épaulée par des unités de réserves territoriales, mais aussi mettre en valeur les critiques que son établissement suscita.
Bilan critique :
A part le premier, les textes mettent clairement en valeur le lien étroit qui exista entre armée permanente et impôt permanent. Ils illustrent donc la construction de l’Etat moderne qui s’arroge le monopole de la violence (depuis 1438, le roi peut seul lever des gens d’armes) et de la fiscalité, malgré la survivance des redevances seigneuriales dont témoigne le texte 3, sans pour autant rendre compte de la modification profonde de leur signification à la fin du Moyen Âge : face à l’omniprésence de l’impôt et de l’Etat royal, elles prennent en effet la forme de redevances foncières qui traduisent moins un lien politique de protection que la propriété éminente des seigneurs sur la terre. Ainsi, le texte 2, qui ne fut en fait appliqué qu’une fois en 1453, traduit plus un soucis de retour de l’administration centrale dans les campagnes que d’efficacité militaire. Cela n’alla bien sûr pas sans critiques, et c’est ce dont témoigne le texte 3, dans lequel Thomas Basin s’en prend avec virulence au nouvel Etat centralisé symbolisé par l’armée et l’impôt destiné à son entretien et lui oppose le modèle ancien de l’armée féodale financée par les revenus des fiefs. Mais derrière cet apparente passéisme, c’est en fait la politique fiscale et administrative de Louis XI, avec qui l’auteur est brouillé, qui est visée. C’est ce roi que Basin, sans le nommer, traite de tyran. Par sa formation et son histoire personnelle, Basin était favorable à un Etat respectueux des traditions et coutumes locales, décentralisé et « fédéraliste », plus proche du modèle bourguignon. Il ne pouvait donc ni comprendre ni accepter la construction de l’Etat français centralisé et gouverné par la seule administration royale depuis Paris que mettait en place Louis XI.
Problématique :
Pourquoi la création d’une armée permanente marque-t-elle le renouveau de l’autorité royale et la reprise de la construction de l’Etat moderne ?
NB : Observez la façon dont ces textes, portant sur un thème restreint, conduit à s’interroger sur une problématique beaucoup plus vaste et englobante. Le choix des textes donnés au commentaire aux examens correspond en général à de tels critères : ils ont pour but de vous faire dire des choses au-delà du seul thème immédiat du texte. Ainsi, le récit d’une révolte de paysans sera l’occasion d’étudier le système seigneurial dans son ensemble, la biographie d’un prince féodal, celle de s’intéresser au fonctionnement du système féodo-vassalique (v. Baudouin de Hainaut). Toute la difficulté est de commenter à la fois le contexte immédiat (que se passe-t-il dans le texte et pourquoi) tout en élargissant le commentaire à une thématique plus vaste (qu’est-ce qui dans ce texte permet de comprendre l’ensemble de la période).
I- Une armée permanente :
A- La grande ordonnance :
Début du texte 1 : Le préalable à cette réforme est l’élimination des « écorcheurs » (mercenaires) qui sont envoyés se battre en Alsace et en Lorraine (conflits avec les Bourguignons). Une fois ces mercenaires chassés du royaume, seule la mise en place d’une armée permanente peut éviter leur retour à la reprise des hostilités.
= cavalerie lourde cad chevalerie (nobles) (à compléter par la petite ordonnance : cavalerie légère = cavaliers non nobles, qui fait l’objet d’une ordonnance la même année, non donnée au commentaire)
Crée une armée permanente, hiérarchisée et centralisée. De plus les uniformes sont standardisés afin de faciliter l’identification des combattants (texte 2 : port de la jaque).
Structure de cette armée :
Connétable de France
Maréchaux (1 par province)
15 capitaines (cavalerie lourde) et 15 maîtres de camp (cavalerie légère et infanterie)
100 compagnies de grande ordonnance et 100 compagnies de petite ordonnance
L’unité de base des compagnies est la lance, groupe de combattant constitué autour d’un cavalier (d’où son nom).
La grande ordonnance de 1445 institue 5 servants autour d’un chevalier.
Cette structure permet de mobiliser en permanence 12 000 hommes dès 1445, et 25 000 à la fin du XVème siècle, ce qui fait de l’armée française la plus puissante d’Europe. S’y ajoute les compagnies d’infanterie chargées de la garde des places fortes et les unités d’artillerie, associées aux lances de petite ordonnance, qui donnent une supériorité décisive aux Français (en 1453, à Castillon, les troupes anglaises sont désorganisées par le tir des canons français qui précèdent la charge).
Néanmoins, pour répondre aux situations d’urgence et conserver un lien entre la population et son armée, le roi adjoint à cette structure professionnelle une réserve territoriale (troupes non professionnelles mobilisables en cas de conflit = ancêtre du service militaire).
B- La réserve :
L’ordonnance de Montil-les-Touts institue l’obligation pour les membres les plus aptes de chaque paroisse de recevoir une formation militaire initiale régulièrement renouvelée par des entraînements collectifs. Chaque paroisse doit donc désigner un ou deux hommes pour servir comme archer ou arbalétrier en cas de guerre. Cette réforme est en fait la généralisation des compagnies de francs-archers qui existaient dans les villes depuis le XIVème siècle.
Ces francs-archers tiraient leur nom des exemption d’impôts directs dont ils bénéficiaient en raison du temps passé à s’entraîner et, en cas de besoin, à combattre.
Cette réforme associe tout un chacun à la défense du royaume : les archers eux-mêmes donnent leur temps et leur sang, mais toute la communauté, en participant à leurs frais d’équipements et en prenant à sa charge la part d’impôt dont ils sont exemptés est également associée. Le service du roi et la défense du royaume est donc désormais l’affaire de tous, et plus de la seule noblesse (ce que regrette Basin dans le texte 3). On y devine peut-être l’influence de Jeanne d’Arc, fille du peuple à qui Charles VII devait son royaume. Cette dimension de plus en plus territoriale et collective du royaume est l’un des traits qui marquent la naissance de la nation.
C- La professionnalisation :
De façon générale, tous, par les impôts (texte 3) contribuent au financement de la nouvelle armée.
Car les hommes qui la constituent sont désormais « soldés » (payés mensuellement par l’Etat), d’où leur nom de « soldats ». Ils ne vivent plus sur le terrain, mais dans des lieux de garnison spécifiques qui vont contribuer à la naissance d’une culture militaire distincte, qui n’est plus liée à la chevalerie et à la noblesse.
La noblesse perd donc son monopole sur la défense du royaume : même si le critère de naissance subsiste (les chevaliers de grande ordonnance doivent être nobles, les capitaines sont choisis pour leur « naissance et leur notoriété », synonyme de noblesse, et de façon générale, les postes d’officiers restent réservés à la noblesse jusqu’en 1789), la noblesse ne représente plus que les 2/3 des effectifs de cette nouvelle armée.
De plus, la professionnalisation introduit le critère d’efficacité et de compétence (t. 2 : « Les meilleurs et pas les plus riches ou les mieux vus ») dans le recrutement : il ne suffit pas d’être noble, il faut aussi être bon combattant. Certains nobles sont donc exclus, par leur âge ou leurs aptitudes, du métier des armes, tandis que certains roturiers y accèdent pour les raisons inverses.
Ces innovations posent en terme nouveau le problème de la place de la noblesse dans le royaume (texte 3).
L’ensemble de ces réformes, par leur ampleur, exige un financement conséquent, pour solder des troupes, et une administration capable d’assurer le recrutement et l’entraînement de la réserve, mais aussi la levée des impôts nécessaires à ce financement.
II- Le renouveau de l’Etat : fiscalité et administration :
A- L’impôt, condition du financement de l’armée :
Le texte 3 insiste sur le lien entre impôts et armée.
Le texte 2 quant à lui, montre que l’administration fiscale était présente dans chaque paroisse, et les exemptions accordées aux francs-archers témoignent de la généralisation de l’impôt direct (taille, officiellement destiné au financement de l’armée, ce qui explique que les archers en soient exemptés) et indirect (gabelles sur le sel et aides sur le commerce, dont ils ne sont pas exemptés, et qui sont devenues les principaux revenus de la couronne au XVème siècle).
B- Le retour de l’administration royale :
Le texte 2 en particulier témoigne bien de ce retour de l’administration dans les campagnes, avec une nouvelle tentative de recensement des paroisses et feux afin de connaître l’état exact des réserves, et qui ne sera finalement pas menée à terme, par l’envoi de commissaires + rappel de toute la pyramide administrative, évocation des rôles de l’impôt…
Combiné au texte 3, il montre bien l’évolution des systèmes seigneurial et féodo-vassalique : les seigneurs châtelains deviennent des rouages de l’administration royale, dont la châtellenie devient la circonscription de base. Les revenus seigneuriaux, que Basin interprète encore comme la rétribution du service militaire de la noblesse sont en fait devenus les émolument par lesquels le roi récompense ses vassaux pour leur participation à la gestion du royaume. Pyramide féodale et pyramide administrative se sont donc progressivement fondues, même si des instances de contrôles hors féodalité (baillis, commissaires) se développent ou se généralisent.
C- Le monopole royal :
Avant même la fin de la reconquête du royaume, le roi le tient donc beaucoup mieux, grâce à une administration plus efficiente qui s’appuie sur des agents royaux, mais aussi sur les seigneurs locaux et sur les communautés urbaines et villageoises.
Le texte 2 fait ainsi mention (c’est l’un des premiers cas) de la différence entre pays d’Etats (ou les Etats provinciaux d’Oc ou d’Oïl répartissent l’impôt royal entre les communautés) et les pays d’élection (où cette répartition se fait dans chaque paroisse sous le contrôle direct de l’administration royale).
De même, les événements locaux comme les fêtes sont utilisées pour rappeler les obligations des sujets, puisqu’elles sont par exemple, ici, l’occasion pour les archers de s’entraîner, et donc de rappeler publiquement à tous leur engagement au service du roi.
Enfin, ce corps de francs archers qui ne fut partiellement utilisé qu’une fois à la guerre, en 1453, est à l’origine des compagnies du guet de la maréchaussée, ancêtre de notre police. Les francs archers étaient en effet chargés, dans chaque paroisse, de surveiller la population et de réprimer les violences.
Les réformes militaires sont donc pour Charles VII une occasion de rappeler et de renforcer ses exigences fiscales et administratives. En cela elles sont une étape sur la création de l’Etat moderne.
III- Construction et mise en cause de l’Etat moderne :
A- Le prestige retrouvé de la monarchie :
Grâce aux victoires qui encadrent les réformes militaires (texte 1), le roi devient l’incarnation du royaume et jouit d’une bonne image, dont témoigne Basin dans le texte 3 (« roi sage »). Occasion de rappeler le parcours de Charles VII, ses débuts difficiles, le sacre de 1429…
La position de Charles VII justifie donc sa place nouvelle dans le royaume.*
Mais des limites apparaissent.
B- L’ordonnance de Montil-lès-Tours : un texte plus idéologique que pratique :
Le texte 2 a des visées idéologiques claires : par cette ordonnance, Charles cherche à unifier le royaume en étendant au plat pays ce qui était jusqu’alors un privilège des villes. Désormais, tous les sujets sont traités à l’identique et ce qui était un droit pour certains devient un devoir pour tous. De même, le texte affirme le retour de l’administration royale dans les campagnes après la reconquête.
Néanmoins, l’impossibilité de le mettre en œuvre intégralement, grandement lie à l’incapacité de l’administration royale d’opérer un nouveau recensement des paroisses et feux montre que les moyens d’action de cette administration restaient limités.
C- Critique de l’Etat moderne et survie du féodalisme :
Mais la principale faiblesse de cet Etat moderne en voie de construction restait sa grande dépendance à l’égard d’une noblesse dont il remet en cause une part des privilèges, ici militaires. L’État du XVème siècle reste avant tout un Etat nobiliaire. Il n’abolit pas la féodalité, mais la recouvre et l’utilise en ménageant la susceptibilité d’une noblesse frustrée d’une partie de ses attributions par le retour du roi (v. ligue des barons qui se dresse contre Louis XI à son avènement). Cette négation du rôle de la noblesse et son coût pour le peuple fait le fond de la critique de Thomas Basin : pour lui, l’armée féodale financée par les revenus seigneuriaux est suffisante, et l’armée permanente n’est qu’un prétexte de l’Etat pour maintenir une fiscalité permanente, alors que le roi devrait vivre « du sien » (des revenus de son domaine).
Mais les juristes et les esprits les plus modernes sensibles à la redécouverte du droit antique adressent des critiques qui ne sont pas absentes, en arrière plan, du discours de Basin : la construction d’un Etat centralisé entre les mains d’un seul individu, le roi, porte en germe la tyrannie. Á sa façon, Basin pressent que l’aboutissement logique de la politique centralisatrice de Louis XI est l’absolutisme. Il critique donc le « bon vouloir » du souverain qui utilise l’impôt pour imposer son autorité à tous. Cette attaque est donc directement destinée à Louis XI, qui le premier ne soumet plus sa politique fiscale aux Etats généraux ou provinciaux.
Conclusion :
L’ensemble de ces documents illustre bien la réforme militaire de Charles VII qui, par la création d’une armée permanente, professionnelle et recrutée sur des critères de compétence, allait lui permettre d’achever définitivement, dans les années suivantes, de « bouter les Anglais hors de France ». Mais ils nous montrent aussi le lien étroit entre armée, impôts et construction d’un Etat moderne centralisé dont certains perçoivent déjà les dangers absolutistes, même si les rois de l’époque sont encore bien loin de pouvoir imposer un tel pouvoir, comme l’illustre l’application très partielle de l’ordonnance de Montil-lès-Tours.
Au fondement de l’Etat et à l’origine de la libération du territoire, ces deux textes sont donc bien des jalons essentiels sur la route qui mène à la France moderne.