Illustration : saint Eloi ordonné évêque par saint Ouen, miniature du XIVème siècle.
Définition : chef de l’Eglise dans un diocèse, circonscription ecclésiastique calquée sur la cité antique dans laquelle il est le seul habilité à consacrer prêtres et diacres, à confirmer et à bénir les saintes huiles. A l’origine et dans les zones peu christianisées, il est aussi le seul à prêcher et à remettre tous les sacrements (baptême, eucharistie, réconciliation, onction des malades), mais l’extension du christianisme le contraint à déléguer cette autorité aux prêtres paroissiaux.
Contexte : Epoque mérovingienne : 481-751, période qui voit la fusion des élites gallo-romaines, qui s’étaient réservé l’épiscopat, et des élites franques, récemment christianisées et qui y accèdent à partir du début du VIIème siècle. L’Église est un important relais du pouvoir du roi des Francs, en particulier en raison de son maillage territorial qui permet de couvrir tout le royaume. Les évêques sont donc non seulement des personnages religieux, mais aussi des hommes publics servant leur roi. De plus, les missions qui visent à étendre la foi chrétienne contribuent à l’unité d’un royaume de plus en plus pensé comme chrétien et accompagnent son extension dans les terres germaniques restées païennes.
Pbic : tension entre idéal religieux et implications politiques, entre sainteté et vie publique.
Plan : 3 échelles auxquelles appréhender l’action de l’évêque : sur le plan local, dans le cadre du royaume et enfin dans son rapport au monde, à l’espace et au temps.
I- L’évêque en sa cité : l’administrateur local.
A- De son vivant :
a- chef religieux et administrateur.
Par fonction, l’évêque est un chef religieux. L’extrême cloisonnement des Églises aux VIème et VIIème siècles fait même de chaque évêque une sorte de petit chef de son Église, élu par les nobles et les clercs de son diocèse, de petit pape qui définit la doctrine, la discipline, fixe la liturgie… => micro-chrétientés. Pouvoir symbolisé par son trône, la cathedra, d’où il dirige la messe dans son église.
Ex. : Didier de Cahors : développement de la pastorale et des paroisses rurales + réfection des murailles de Cahors et service d’approvisionnement des citadins pauvres durant les disettes.
L’évêque est également un administrateur qui lève les taxes, en particulier les tonlieux, droits de passage aux portes de la ville, sur les ponts, dans les ports…
Pour l’assister dans ses tâches, il est entouré d’un important personnel de clercs qui assurent les offices de la cathédrale et des autres églises et gèrent les biens du diocèse et la cité = les chanoines.
b- Le quartier cathédral, cœur de la cité.
Cité = domaine de l’évêque car comtes résident dans les villae rurales.
L’évêque y est le principal pouvoir et façonne la cité selon les normes et les besoins de l’Église : palais du gouverneur romain ou décurie devient la résidence de l’évêque. Autour du croisement du Kardo et du decumanus, qui définissait le centre de la cité, il réinvestit les centres du pouvoir civil et religieux, transformant basiliques et temples en églises aux usages spécialisés :
La cathédrale, qui est l’église de l’évêque où il célèbre la messe.
Le baptistère, qui est l’église où l’on baptise.
Parfois, d’autres églises dédiées à des saints particuliers.
Ex : Poitiers au VIIème siècle.
Saint-Pierre (Cathédrale)
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c- Le protector civitatis.
L’évêque a une double fonction de protection : religieuse puisque par ses prières et sa vie droite il doit attirer la faveur divine sur la cité, mais aussi concrète en cas de danger la menaçant ou pour obtenir des avantages matériels.
Ex. 1 : pendant la grande faide, lors du siège de Soissons par Childebert, c’est l’évêque de la ville qui se porte à sa rencontre pour négocier la reddition de la cité contre la promesse qu’elle ne serait pas pillée.
Ex. 2 : Ouen, en tant qu’évêque de Rouen, obtint certains privilèges pour sa cité du roi (droit de marché, tonlieu du port).
Ex. 3 : plus fantastique : Marcellus, évêque de Paris, aurait chassé le dragon qui hantait les marécages proches des murailles de la cité (= quartier du Marais) => symbole du paganisme.
B- Et après sa mort :
a- De saints évêques, protecteurs de leur cité.
Ce rôle de protection se perpétue au-delà de la mort, surtout si l’évêque, par la pureté de sa vie a mérité d’être considéré comme saint. Sur les tombeaux des premiers évêques de chaque cité et d’évêques remarquables s’élèvent des basiliques funéraires, hors les murs car à l’époque les cimetières sont hors des villes, où l’on rend un culte à ses saints évêques qui continuent à veiller sur leur cité et à intercéder pour elle dans la mort.
Ex. : Saint-Martin de Tours, Saint-Rémi de Reims, Saint-Germain d’Auxerre, Saint-Gerry de Cambrai, Saint-Vaast d’Arras, Saint-Marcel de Paris, Saint-Arnoul de Metz….
b- L’inhumation ad sanctos et le développement des basiliques funéraires.
La croyance dans les pouvoirs miraculeux de ces saints évêques provoque l’essor des basiliques funéraires, en particulier en raison des rites funéraires : situées hors les murs, elles autorisent l’inhumation ad sanctos des fidèles, ce qui est impossible dans la cathédrale. Commence alors une compétition entre les évêques et les communautés de moines groupées autour de ces tombeaux pour le contrôle des reliques, d’autant que l’espoir des miracles fait venir des pèlerins parfois de très loin (Saint-Martin). Les évêques assurent la promotion de ces saints par des écrits (Grégoire de Tours compose une Vie et des Miracles de saint Martin). Quand les communautés restent peu développées, comme à Saint-Géry de Cambrai, ils en gardent le contrôle, mais quand elles se structurent autour d’une règle, elles leur échappent pour former un monastère, comme à Saint-Vaast d’Arras.
Maître de sa cité et en partie du territoire qui l’entoure, l’évêque est un rouage essentiel de l’administration du royaume.
II- L’évêque et le roi : un royaume chrétien ?
A- le conseiller et l’auxiliaire du roi :
Tradition inaugurée par Rémi de Reims aux côtés de Clovis et poursuivie par Grégoire de Tours auprès, entre autre, de Gontran de Bourgogne.
Particulièrement remarquable sous les règnes de Clotaire II et Dagobert Ier (613-629 et 629-639), avec toute une génération de jeunes issus de la noblesse, élevés au palais, qui remplissent des fonctions palatines puis sont nommés évêques et constituent un réseau d’administrateurs efficaces et d’une grande fidélité envers le roi : Eloi de Noyon-Arras, Ouen de Rouen, Didier de Cahors, Arnoul de Metz pour citer les principaux.
Tradition de l’élection de l’évêque est battue en brèche par l’habitude prise par les rois de désigné un candidat qui est ensuite docilement élu par le clergé et le peuple de la cité.
B- la critique des puissants au risque de la mort :
Néanmoins, cette collaboration ne se fait pas toujours sans problème, car les évêques peuvent entrer en rivalité avec les comtes.
Affaiblissement du pouvoir royal après la mort de Dagobert entraîne un affaiblissement politique de l’épiscopat qui était son principal soutien.
Ex : Arnoul de Metz, imposé comme évêque par le roi, est chassé de sa cité par une révolte qui lui donne un successeur issu de clergé local.
Les évêques se trouvent pris dans tourbillon des ambitions et des affrontements pour le pouvoir.
Ex. Didier d’Autun, prélat bourguignon fidèle aux maires du Palais austrasiens Pippinides et supplicié sur ordre du maire du Palais neustrien Ebroïn, issus du d’un lignage opposé.
C- les risques de l’accommodation avec le pouvoir : un clergé corrompu et illettré ?
Les sources du milieu du VIIIème, à l’époque où siècle les Carolingiens s’emparent du pouvoir et lancent la réforme de l’Église franque, donnent une vision catastrophique de l’épiscopat franc après un siècle de crise : plus de synode ou de concile depuis les années 650, des évêques illettrés, vivant avec leur femme et plusieurs concubines, préférant la chasse et la guerre à la messe, s’appropriant sans vergogne les biens de leur église pour leur profit et celui de leur famille.
Certes, il y a des cas biens avérés d’évêques incompétents ou inaptes, comme l’évêque de Rouen Ragenfred, qui fut déposé en 755, et qui est qualifié d’évêque « illettré et incompétent ». Mais le patrimonialisation des charges épiscopales, si elle a bien entraîné une baisse du niveau religieux et culturel des évêques, n’a pas toujours été systématiquement synonyme de corruption et de simonie : les biens des diocèses sont restés dans l’ensemble bien gérés dans l’intérêt des familles qui occupaient les sièges épiscopaux. (ex. Zacconides de Coire).
Cette crise de l’épiscopat franc dans la deuxième moitié du VIIème siècle montre son lien étroit avec la royauté. Mais elle est aussi le reflet de critiques adressée par des hommes issus de l’autre grande force de la chrétienté : le monachisme, qui a un projet qui entre partiellement en rivalité avec celui des évêques. Enfin, elle vient s’insérer entre deux grandes phases missionnaires et n’entraîne pas, paradoxalement, l’arrêt des missions , mais plutôt un changement de leur nature.
III- L’évêque missionnaire et prédicateur : l’ouverture sur le monde.
A- Des hommes de culture et d’écrit, héritiers de l’aristocratie gallo-romaine :
Cf. Grégoire de Tours, Vénance de Poitiers.
But de l’érudition, du travail des lettres : améliorer l’administration et la prédication, arme essentiel de la mission. Trois des grands évêques du VIIème siècle sont des Aquitains à une époque où l’Aquitaine est un conservatoire des savoirs antiques : Didier de Cahors, Eloi de Noyon et Amand de Maastricht.
B- La mission : au nom de Dieu et du roi : Mission = mouvement essentiel des VIème et VIIème siècles, dans une Église qui se voit comme en mission permanente pour achever la christianisation du monde. Idéal de la peregrinatio pro Deo, de la mise en danger au service de la foi, qui porte à des missions lointaines parmi des peuplades barbares, mais aussi service du roi dont le but est d’entretenir l’unité du royaume. Or, la christianisation des peuplades encore païennes est un moyen de cette unité autoiur du roi des Francs chrétiens.
Il faut distinguer mission dans le royaume (l’essentiel dans la période) dont le but est d’achever sa christianisation, et missions en marches, qui accompagnent les premières tentatives d’expansion à l’Est (cf. saint Wulfran en Frise, saint Amand chez les Wascons et les Slaves). Paradoxalement, la crise de l’épiscopat coïncide avec l’achèvement de la christianisation du monde franc. Dès lors les missions sont plutôt menées hors du royaume, en collaboration avec les pouvoirs qui soutiennent l’expansion, comme les Pippinides en Austrasie ou les Odonides en Aquitaine. Ces missions hors du royaume attire la collaboration de missionnaires étrangers, en particulier anglo-saxons (Wilfrid, Boniface), qui deviennent évêque dans le RF (Wilfrid = évêque d’Utrecht) et sont ensuite à l’origine de la réforme de l’Église franque.
C- La concurrence des moines colombaniens.
Cette influence insulaire est déjà perceptible dans la première moitié du VIIème siècle avec la mission de Colomban, moine irlandais venu approfondir la foi des grands dans le royaume des Francs. De son action naît un monachisme iro-franc qui contribue à l’achèvement de la christianisation des Gaules par un réseau dense de monastères et d’églises rurales fondés sur les propriétés des grands. Mais ce mouvement se heurte aux évêques qui y voient une menace : en effet, les monastères colombaniens sont exempt de l’ordinaire, donc ne dépendent pas de l’évêque du diocèse, et les églises fondées par les grands sont des églises privées régies par le droit de patronage. De larges fractions des diocèses échappent donc aux évêques, ce qui explique aussi leur affaiblissement. Colomban est chassé d’Austrasie par un synode d’évêque.
Mais l’opposition ne dure pas, les colombaniens s’intègrent dans le paysage franc et certains d’entre eux, comme Amand, deviennent évêque, prouvant que épiscopat et monastère pouvait œuvrer ensemble à une meilleure administration de l’Église et à l’œuvre missionnaire.
Conclusion :
Très lié au pouvoir royal, l’évêque mérovingien voit on influence régresser avec lui au profit des moines, soutien des grandes familles aristocratiques. Si l’époque mérovingienne a été celle des saints évêques, cette sainteté est à relativiser, car l’évêque reste avant tout un noble et un grand administrateur fidèle à son roi autant qu’à Dieu et très impliqué dans les affaires de son temps. Cette sainteté active, au service du pouvoir mais aussi du peuple ainsi administré et protégé, est la conséquence de la tension constante entre idéal religieux et réalité politique à laquelle se confrontaient quotidiennement ces hommes.