Ce texte s’intéresse à l’échelon supérieur du monde féodal, celui des principautés territoriales, au sein desquelles les princes, comtes et ducs, agissent de façon autonome.
Nature de la source :
Une chronique : récit historique qui, au contraire des Annales, fait l’objet d’une construction élaborée. Le récit semble construit chronologiquement, par année, mais en réalité, c’est l’aspect thématique qui prime (ici deux thèmes : la largesse et les tournois).
La chronique se distingue de la chronique universelle et de l’histoire par sa dimension locale, alors que les deux autres relatent l’histoire du monde. Elle conserve en outre un cadre chronologique formel qui disparaît dans l’histoire, organisée en chapitres.
Cette Chronique de Hainaut a une dimension familiale, dynastique. C’est en fait la Chronique de la famille de Hainaut, branche cadette des comtes de Flandre. Ce genre de la chronique familiale est en vogue au XIIème siècle : les grands lignages nobles, implantés dans leurs seigneuries ou principautés depuis plus de cent ans (= 3 génération, limite de la mémoire humaine) font consigner leur histoire pour conserver le souvenir des hauts faits de leurs ancêtres et justifier leur position, en particulier face au renouveau du pouvoir royal. Les deux plus célèbres sont la Chronique des Comtes d’Anjou, (c. 1120) vouée à la gloire de la dynastie Plantagenêt, et l’Histoire des Comtes de Guînes et Seigneur d’Ardres (c. 1200) de Lambert d’Ardres (v. intro des documents sur la motte castrale). En général, ces histoires sont écrites par un clerc proche de la famille dont elle rapporte les exploits.
L’auteur : C’est le cas ici, puisque Gislebert de Mons était le chapelain de Baudouin V de Hainaut. On en sait guère plus sur lui, sinon qu’il était originaire de la ville de Mons, en Belgique, ou de Mons-en-Pévèle, au sud de Lille.
Date : Il écrivit sa chronique entre 1180 et 1190 à la demande de Baudouin V et l’acheva sous son fils Baudouin IX de Flandre. Les faits rapportés sont datables de 1171-1172 (remarquer le changement d’année à Pâques), qui sont les deux premières années du gouvernement de Baudouin, sont père Baudouin IV étant mort en 1171. Le récit est donc proche des faits, quasi-contemporain, et factuellement fiable. Mais il comporte un fort parti-pris en faveur de Baudouin, présenté comme un véritable héros.
Contexte : Depuis 1070, deux branches de la même famille occupaient les comtés de Flandre et de Hainaut. Les comtes de Hainaut, issus du fils cadet de Baudouin IV de Flandre, et titulaire d’une principauté moins importante que le puissant comté de Flandre, demeurèrent dans la dépendance de leurs cousins dont ils étaient vassaux. Baudouin V, qui avait hériter d’une habile politique d’alliance politique et matrimoniale de son père, reçut en héritage non seulement le Hainaut, mais aussi les comté de Namur et de Vermandois (région de Saint-Quentin). En 1180, il maria sa fille Isabelle au roi Philippe II Auguste. Enfin, en 1191, suite à la déshérence de la branche aînée, il recueillit le comté de Flandre, devenant Baudouin VIII de Flandre et réunifiant les deux principautés familiales. Son fils Baudouin IX devint ensuite empereur de Constantinople (1205).
Dans une société où, hors du domaine royal, le pouvoir est aux mains des princes territoriaux, Baudouin apparaît donc comme un homme puissant qui fait accéder son lignage aux plus hautes dignités et tire sa revanche de la branche aînée flamande.
Bilan critique : Quand Gislebert raconte son histoire, il ne se borne donc pas à rappeler la vie d’un homme aussi puissant soit-il, mais il narre le destin d’un héros qui porte le comté de Hainaut à son apogée. Même si les faits rapportés dans le texte sont antérieurs à ces succès, il se doit donc de montrer que, dès sa jeunesse, Baudouin fut un prince idéal, et que cette perfection justifierait sa réussite à venir.
Analyse : Gislebert nous rapporte donc les premiers mois du gouvernement de Baudouin, nous dressant au passage son portrait. Il montre comment il prête hommage à ses seigneurs pour la succession de son fief, tout en assurant son pouvoir par une série d’actes de prestige (banquets, participation à des tournois) qui ont pour but de souder ses vassaux et ses chevaliers autour de lui.
Problématique : ce texte permet ainsi d’étudier le fonctionnement de la société féodale, fondée sur des liens personnels et sur une éthique spécifique, issue des usages aristocratiques et de la vie chevaleresque.
Plan : Pour comprendre l’action de Baudouin, il faut d’abord étudier son cadre en montrant que le texte témoigne du morcellement de l’autorité publique, que ne peuvent compenser que les liens féodo-vassaliques et familiaux, ciments des relations politiques, or ceux-ci reposent également sur un mode de vie caractéristique qui est celui des nobles et des chevaliers.
I- Le morcellement de l’autorité publique.
Le texte fait apparaître une série de personnages et de lieux qui donnent une image de l’organisation de la société au XIIème siècle, au moment ou le système féodal, bien établi, atteint son apogée.
A- Le comte de Hainaut : un prince de rang moyen.
Il apparaît comme un prince qui administre son comté de façon très autonome :
l. 3 : il peut distribuer des fiefs pris sur ses terres.
Dernier § : il peut faire la guerre.
Baudouin se livre en outre à une imitatio regis (comportement inspiré de la pratique des rois carolingiens dont les princes ont accaparé les droits publics au Xème siècle) :
- l. 5-8 : c’est un bon chrétien qui protège les pauvres (captation du ministère royal).
- Il a une cours où il rassemble ses fidèles : « grandes assemblées » (texte latin : « in magnarum celebrationem curiarum » m. a m. : dans les célébrations des grandes cours) : les « cours » sont les cours de justices, les plaids comtaux.
li. 11 : cour de Valenciennes, où il réunit tous ses vassaux (« 500 chevaliers »), sorte d’assemblée générale qui fait office de manifestation publique de sa puissance. Cette « cours comtale » se réunit à date fixe pour les grandes fêtes religieuses (Noël, Pâques, Pentecôte).
- Cette cour est organisée sur le modèle royal : le comte à des officiers (sénéchal, échanson) et des « serviteurs » (lat. servientes, ceux qui accomplissent un service), qui ne sont pas des domestiques, mais des nobles accomplissant un service à la cour du comte.
Il a également une chapelle, puisque l’auteur du texte était son chapelain et, en tant que spécialiste de l’écriture, sans doute aussi le chef de sa chancellerie.
Un autre personnage de rang équivalent à celui de Baudouin apparaît dans le texte, c’est le comte Guy de Nevers, qui est vassal du duc de Bourgogne.
Baudouin, lui aussi, n’est pas totalement indépendant : il prête hommage à des personnages plus puissants que lui.
B- Ducs, évêques et rois : les suzerains.
« L’hommage dû pour le Hainaut » : le comté n’est pas la pleine propriété de Baudouin, c’est un fief « tenu de son cousin Raoul, l’évêque de Liège ». L’évêque de Liège, comme souvent dans l’empire germanique, est également comte (comte-évêque de Liège) et est seigneur des terres situées :
- au sud de l’actuel département du Nord ;
- au sud de l’actuelle Belgique (+ ou – Wallonie) ;
- au Luxembourg.
Baudouin lui prête hommage (= fidélité du vassal envers son seigneur, en échange de laquelle le vassal reçoit son fief) pour son comté principal = hommage lige (supérieur aux autres). A l’origine, le Hainaut était un fief de Flandre. En en transférant l’hommage au comte-évêque de Liège au début du XIIème siècle, les comtes de Hainaut ont assuré leur indépendance à l’égard de leurs cousins flamands.
« Henri, roi des Anglais … et lui fit hommage » : Henri II Plantagenêt est un roi placé au sommer de la pyramide féodale, et à qui Baudouin prête également un hommage secondaire.
Gislebert néglige toutefois de parler de deux autres seigneurs de Baudouin :
- le comte de Flandre, son cousin, est aussi son seigneur dont il tient en fief le Vermandois, l’Avesnois et les seigneuries qui font la limite entre la Flandre et le Hainaut (Pévèle).
- Le roi de France, son suzerain (seigneur du seigneur) à qui Baudouin prête un hommage indirect par l’intermédiaire du comte de Flandre.
ð la situation est donc plus complexe que ne le laisse imaginer le texte, car Baudouin prête en fait trois hommages, et est arrière-vassal ou vassal de trois souverains : le roi de France (par l’hommage au comte de Flandre), l’empereur de Germanie (par l’hommage au comte évêque de Liège) et le roi d’Angleterre (par hommage direct).
ð Ces hommages croisés, qui rendent difficile de déterminer qui est son seigneur lige, lui permettent d’assurer son autonomie par rapport à ses différents princes.
Le texte nous montre un autre de ses grands princes qui reçoit l’hommage des comtes : leduc de Bourgogne.
C- Vassaux et chevaliers au service des princes.
Á l’autre extrémité de la pyramide féodale, on trouve les simples seigneurs et chevaliers qui sont vassaux du comte de Hainaut :
- des seigneurs titrés (d’Aunoit (=Aulnoye), de Landast).
- une masse anonyme confondue sous les termes « chevaliers » et « serviteurs ».
Cela constitue à la distinction entre ceux qui, par leur service (« les bons chevaliers… », ont mérité un fief = vassaux fieffés, et ceux qui accomplissent leur service dans l’entourage du comte = chevaliers.
Les vassaux fieffés portent un titre qui est le nom de la seigneurie qu’ils tiennent en fief (ici Aulnoye-Aimery, au sud de Valenciennes, et Landas, au Nord de la ville). Le maillage du territoire en seigneuries apparaît à l’occasion des tournois, car en général, ceux-ci se tiennent toujours à la limite entre deux seigneuries. Chaque nom de lieu cité dans le texte est donc une seigneurie :
- parfois la limité est matérialisée par un obstacle naturel : « le gué de Lizy » = passage sur la rivière Ourcq).
- pour deux seigneuries, Bussy et Rougemont, on sait que la seigneurie est centrée sur un château (seigneurie châtelaine).
- dans un cas, Châlons, la seigneurie est une ville (seigneurie urbaine).
Une seigneurie peut être isolée, former un fief à elle-seule (Aulnoye, Landas) ou appartenir à un ensemble plus vaste (« domaine du comte de Nevers » = l’ensemble des seigneuries qu’un prince territorial administre directement, sans les donner en fief, comme Valencienne pour le comte de Hainaut).
Le fondement de ce système politique qui assure la cohésion entre seigneurs et vassaux est donc le fief, et le lien qu’il crée entre celui qui le donne et celui qui le reçoit.
II- Les liens féodo-vassaliques et familiaux.
La circulation des fiefs instituent des relations d’autant plus complexes que seigneurs et vassaux sont également liés par des relations familiales qui renforcent les engagements féodaux.
A- Les liens féodo-vassaliques :
Trois degrés de hiérarchie :
Les suzerains (seigneurs de seigneurs)
Les seigneurs (prêtent hommage aux suzerains et reçoivent l’hommage de leurs vassaux)
Les vassaux (prêtent hommage et n’ont pas de vassaux)
NB : on utilise souvent comme des synonymes les mots suzerains et seigneurs, afin d’éviter la confusion entre le système féodal (relations entre nobles) et le système seigneurial (domination du seigneur sur les non-nobles).
« Alla prêter l’hommage dû pour le Hainaut… » « se rendit auprès d’Henri, roi des Anglais… » : Baudouin se rend librement auprès de ses suzerain. L’hommage, rite par lequel le vassal jure fidélité et s’engage à servir son seigneur, et en échange duquel il reçoit son fief, est un engagement libre et sans contrainte. Ce qui explique qu’un même prince ou seigneur puisse prêter hommage à plusieurs personnes, car son suzerain lige ne peut pas l’empêcher de jurer fidélité à un autre.
Les relations d’hommage sont complexes : on a vu que Baudouin prête hommage à trois suzerains différents. « Henri roi des Anglais et duc d’Aquitaine et de Normandie » : Henri Plantagenêt était comte d’Anjou, par mariage avec Aliénor, seule héritière du duché, il est devenu duc d’Aquitaine. Par héritage, il est devenu en 1162 roi d’Angleterre, hors depuis 1066 (conquête de Guillaume, v. séance du 16/02), le roi d’Angleterre est aussi duc de Normandie. Il est donc suzerain en Angleterre, mais prête hommage au roi de France pour ses principautés de Normandie, d’Aquitaine et d’Anjou.
Par ses hommages, Baudouin tient donc des fiefs de trois personnages différents, et lui-même remet des fiefs à « ses bons chevaliers » => explique mécanique des hommages multiples : Baudouin, pour avoir toujours des fiefs à fournir à ses vassaux sans lui-même s’affaiblir en réduisant son domaine, a besoin de trouver sans cesse de nouvelles seigneuries et de nouvelles sources de revenus. Que sont alors ces fiefs tellement recherchés ?0
B- Le fief et sa transmission :
A l’origine, le fief résulte d’une évolution du bénéfice carolingien. Comme lui, c’est une terre concédée en échange du service et de la fidélité du vassal. Mais au contraire du bénéfice, il est héréditaire, patrimonial est constitue la pleine propriété du vassal qui le tient. (le seigneur ne peut le reprendre qu’à certaines conditions très précises, v. Convention féodale en Catalogne).
Un fief peut être de dimensions très variables : certains sont des principautés immenses, comme l’Aquitaine, la Bourgogne, que leurs ducs tiennent en fief du roi de France. D’autres sont à l’échelle d’un département moderne, comme le comté de Hainaut. La plus grande partie, enfin, sont constitués d’une unique seigneurie équivalente à une commune actuelle (Saint-Obert, Landas, Aulnoye).
Lors de la cérémonie de l’hommage, le vassal reçoit un objet symbolique qui représente son fief (une motte de terre, une bannière, une clé…).
« de droit héréditaire » ; « ainsi que son père avait tenu le même fief du même roi » : Le vassal a la propriété héréditaire de son fief. L’héritier doit renouveler l’hommage = reprise de fief (ce que fait Baudouin dans ce texte), mais le suzerain ne peut l’empêcher d’en hériter, puis de le transmettre à ses enfants.
Obtention et transmission des fiefs :
- le fief est transmis héréditairement par filiation patrilinéaire directe (de père en fils par droit d’aînesse). Il ne peut être divisé entre les héritiers, seul l’aîné le reçoit.
- En l’absence d’héritier mâle, il peut être transmis par mariage : Arnoud de Landas, en épousant la femme de Gilles d’Aulnoye, mort sans héritier, reprend sa charge héréditaire d’échanson. C’est également par ce biais que Baudouin époux de la fille du comte de Flandre, reçoit se comté à la mort du comte sans héritier, en 1191.
- « distribution de fief aux bons chevaliers » : tous les vassaux ne sont pas fieffés. Les meilleurs chevaliers reçoivent, à l’issu de leur service, une terre en fief, soit par don du seigneur, soit par mariage avec une héritière. => moyen de les motiver à servir le mieux possible leur seigneur.
Le texte témoigne de deux évolutions qui interviennent au XIIème siècle : pour préserver leurs domaines, les princes développent de nouvelles formes de fiefs pour récompenser leurs fidèles sans amenuiser leur patrimoine foncier :
- « et tous les serviteurs de droit héréditaire » : offices héréditaires : au lieu de concéder une terre, le comte concède des charges héréditaires à sa cour, accompagnée d’un revenu.
- « lui fit hommage pour 100 marcs sterling de bon poids » (le marc est une unité de poids utilisée pour mesurer la masse de l’or et de l’argent ; sterling vient de l’Angevin « esterlin » qui désignait la monnaie d’argent des comtes d’Anjou qui, avec l’accession d’Henri II au trône d’Angleterre, devient la monnaie du royaume d’Angleterre, 100 marcs sterlings représentent donc une forte quantité d’argent) = fief monétaire. Au lieu d’une terre, le suzerain concède à son vassal une somme d’argent annuelle pour son entretien.
C- L’importance des liens familiaux : hypergamie et alliances :
Ces liens féodaux complexes et très entremêlés sont doublés et renforcés par des liens familiaux.
v. table généalogique.
ð les liens féodaux et familiaux doivent assurer la cohésion de la société. Mais le seigneur doit aussi, par son comportement, s’attacher ses vassaux et les souder autour de lui.
III- Ethique chevaleresque et modes de vie aristocratique.
Le texte décrit Baudouin de Hainaut comme un prince idéal dont le comportement, à la fois conforme au code aristocratique et marqué par la bravoure chevaleresque, fait un bon administrateur de son comté et un valeureux chef de guerre.
3 grands moments assurent la rencontre du comte et de ses chevaliers, qui sont pour lui 3 occasions de les souder autour de lui pour garantir leur fidélité et la cohésion de son comté :
- la cour féodale et le festin (assemblée de Valenciennes)
- les tournois
- la guerre
A- Festins et grandes assemblées : une mise en scène des hiérarchies.
La description du festin de Valenciennes met en valeur deux traits essentiels :
- la commensalité : le seigneur nourrit ses vassaux et chevaliers et les accueille à sa table. Cette commensalité est étendue symboliquement à tout le peuple du comté, par l’aumône du seigneur qui offre les reliefs du repas aux « pauvres » = les faibles, ceux qui sont sous sa protection.
- L’hospitalité : le seigneur accueille ses vassaux dans son palais de Valenciennes.
ð le comte fait preuve de largesse à leur égard : « à ses dépens », « d’importantes dépenses », or la largesse est par excellence une vertu aristocratique : le noble affirme sa puissance et sa richesse en distribuant largement à ses inférieurs, preuve qu’il ne manque de rien. Il fait servir du vin, boisson noble par excellence dans un pays de buveurs de bière. Enfin, il affirme par là sa supériorité sociale : il peut donner à ses vassaux plus qu’ils ne pourront jamais lui rendre, sinon par leur service.
ð Le festin est donc un cadre propice à la mise en scène des hiérarchies, avec au sommet le comte et la comtesse (associée à son pouvoir car d’un rang supérieur à lui, puisqu’elle est la fille de son suzerain), puis les officiers de la cour, les chevaliers servants, et enfin les simples chevaliers. La puissance et la richesse distinguent le comte des simples seigneurs et chevaliers et justifient sa position sociale dominante.
Mais pour assurer la cohésion de l’ensemble, le comte se doit aussi de partager avec eux des valeurs et des plaisirs communs, issus du monde chevalesresque.
B- Les tournois.
A la fin du XIIème siècle, il y a une véritable équivalence entre noblesse et chevalerie : le chevalier est forcément noble, et le noble se doit d’être un bon chevalier.
La grand’messe de la chevalerie est le tournoi, auquel le comte de Hainaut participe à plusieurs reprises au cours de sa première année de gouvernement. Ce sont des exercices violents, par lequel les chevaliers s’entraînent à la guerre.
Les tournois au XIIème siècle sont encore des mêlées mettant aux prises des troupes de chevaliers groupées autour de leur prince, qui le mène au tournoi comme il les commande à la guerre. Le but n’est pas de tuer, mais de capturer l’adversaire pour s’emparer de ses armes et tirer rançon. Pour les vainqueurs, les tournois sont donc une occasion de s’enrichir, mais aussi d’acquérir prestige et renommée. Les grands tournoyeurs jouissaient d’une renommée internationale, comme Guillaume le Maréchal, surnommé « le meilleur chevalier du monde ». Pour un prince territorial comme Baudouin, les tournois sont donc une façon efficace pour maintenir leurs chevaliers prêts au combat, acquérir gloire et prestige et souder leurs vassaux en leur redistribuant le butin et les rançons prises sur les vaincus.
Mais le tournoi peut entraîner des combats réels, comme dans l’épisode du combat entre Baudouin et le comte de Nevers, en particulier lorsque l’honneur de l’un des participants est attaqué.
C- Une société d’honneur.
« valeur et réputation » = les deux éléments constitutifs de l’honneur, que le noble et le chevalier se doivent d’accroître et de conserver. L’honneur est la valeur noble par excellence et le fondement de l’éthique chevaleresque.
Le chevalier, guerrier professionnel, recherche d’abord la gloire. Et le comte, qui mène ses chevaliers au tournoi et à la guerre, se doit d’être un chevalier irréprochable. Ils se doivent donc de réagir contre toute atteinte à l’honneur qui pourrait leur faire perdre la face. Cela explique la réaction de Guy de Nevers à la provocation de Baudouin V, qui très vite dégénère en un véritable conflit entre les deux hommes.
De même, Gislebert insiste, parmi les qualités de Baudouin, sur sa courtoisie envers ses chevaliers : en ne leur parlant jamais mal, en ne les insultants pas, en les traitants pas comme des non-nobles (« grossiers ou inconvenants »), il ne porte pas atteinte à leur honneur.
Les chevaliers et le comte partagent donc des valeurs communes :
- la vaillance au tournoi et à la guerre : le comte Baudouin fait preuve de « prudence et de courage », la prudence étant la qualité du stratège et le courage celle du combattant. Dans ke récit que donne Gislebert de l’escarmouche avec Guy de Nevers, il se trouve seul contre tous, comme en échos au culte de l’exploit des chansons de gestes, qui chantent les exploits des chevaliers.
- Le christianisme (fin du 1er §) : le chevalier est d’abord un bon chrétien.
Conclusion :
La pyramide féodale, malgré la complexité induite par les hommages multiples, assure efficacement l’administration des populations et la cohésion de la société du XIIème siècle, en plaçant le pouvoir entre les mains d’un groupe dominant, la noblesse, soudée par des valeurs et un éthique commune. Mais ce modèle est remis en cause, autour de 1200, par le renouveau du pouvoir royal. Ainsi Gislebert de Mons nous présente-t-il un bel exemple de ce que furent les principautés féodales, mais le comte idéal dont il nous dresse le portrait est aussi l’un des derniers grands princes, avant que le roi ne viennent brider leur pouvoir et leur autonomie au XIIIème siècle.