Illustration : le village de Saint-Martin de Drômes. Le village actuel a conservé la structure du village médiéval, groupé autour de la "tour de l'horloge", ancien donjon seigneurial, et ceint d'un boulevard établi sur l'emplacement des murailles du castrum. Il présente un bel exemple d'encellulement, dont la forme rappelle celle des castelnaus.
Introduction :
Nature du document :
Une notice de jugement issue d’un cartulaire (recueil d’actes publics et privés élaboré par une personne juridique afin d’assurer la défense de ses droits, la majorité de ceux que l’on conserve sont issus d’institutions monastiques, mais il existait aussi des cartulaires laïcs). La notion de « transaction ou accord à l’amiable » qui en précise le contenu li. 1 permet d’en préciser la nature : en fait c’est une convention féodale qui précise les obligations des chevaliers, qui sont vassaux, envers leur seigneur, l’abbaye de Saint-Victor. Le document est rédigé en style objectif, ce qui rend vain tout effort de critique autre que l’analyse interne qui conclut à sa véracité => document fiable, essentiellement descriptif, qui rend compte d’une situation en un temps t.
Auteur :
Le scripteur est un notaire visiblement non professionnel au vu de la construction hésitante (rajout à la fin du texte), ce qui témoigne de l’absence de spécialiste des écritures juridiques. Les commanditaires sont
- (le comte) Bertrand de Saint-Maximin (Var, à une dizaine de kilomètres à l’Est d’Aix-en-Provence et à une vingtaine de kilomètres au sud de Saint-Martin de Brômes, site d’un important prieuré de Saint-Victor) = sans doute le seigneur lige des chevaliers de Saint-Martin et de Brômes. Il représente la plus haute autorité laïque dans la région
- Dactyle, dont le nom indique que c’est un religieux. Il est peut-être le prieur de Saint-Maximin, dont dépendait le prieuré d’Esparon (hiérarchie des prieurés typique de l’ordre bénédictin après la réforme clunisienne), ou bien un spécialiste du droit qui assiste le comte lors des procès.
ð jugement rendu par deux autorités, l’une laïque l’autre monastique, qui sont parties prenantes du contentieux, mais sont hiérarchiquement supérieures aux demandeurs.
Date : 1182, le quantième se calcule aisément : saint Martin est le 11 novembre : 11-2 = 9 novembre. Noter le caractère symbolique de cette référence par rapport au nom du village. Analyse :
Le protocole initial, très simple, se limite aux titulatures des juges et des demandeurs. Suit un long dispositif sans notification qui détaille dans un premier temps les obligations des chevaliers envers leur seigneur (li 4-23) et dans un second, le partage des revenus seigneuriaux entre les deux parties (li. 23-40). L’eschatocole multiplie les précautions pour que les engagements pris soient respectés : serment, condamnation pécuniaire, témoins, scellement et chyrographe (l’acte est rédigé sur une unique feuille de parchemin, on inscrit l’alphabet entre les deux versions, puis le feuillet est découpé au milieu de cette inscription). = garanties contre la violation de l’acte, mais aussi contre son éventuelle falsification qui permettrait à l’une des partie de revendiquer des droits qu’elle n’a pas. => témoigne d’un progrès de l’écrit dans le droit.
Contexte :
La Provence de la fin du XIIème siècle est dans une situation ambiguë : elle est officiellement terre d’empire, mais le comte de Provence, qui est issu de la branche cadette des comtes de Barcelone, ne prête plus hommage à l’empereur. Les liens avec le comté de Toulouse tendent à la rapprocher du royaume de France, mais le comte ne prête pas plus hommage au roi. Le comté est donc de fait indépendant, même s'il se trouve dans la sujétion des comtes de Barclone, roi d'Aragon. Le comte de Provence s’appuie sur un réseau de comtes secondaires pour administrer ses Etats. L’émiettement féodal y est particulièrement important et la réalité du pouvoir est donc aux mains des seigneurs et en particulier du plus puissant, l’abbaye Saint-Victor de Marseille, qui jouit de l’exemption (elle est indépendante des autorités civiles) et dont les immenses possessions forment un « Etat dans l’Etat ».
Le temporel de l’abbaye avait été largement accaparé par les puissants laïcs qui en avaient remis des parties entières en fief à leurs vassaux. A partir de la fin du XIème siècle, Saint-Victor reprend le contrôle de son temporel et renforce son contrôle sur les chevaliers et seigneurs qui en avaient reçu des parties en fief, dont elle partage l’hommage avec leurs seigneurs liges, d’où la multiplication des contentieux à propos du partage des revenus entre ces vassaux, les moines et les suzerains, dont témoigne ce texte.
Bilan :
Ce texte nous éclaire donc sur le fonctionnement de la société féodale en Provence à la fin du XIIème siècle, mais aussi sur la domination seigneuriale que les différents seigneurs, laïques ou ecclésiastiques, faisaient peser sur les paysanneries placées dans leur dépendance.
Problématique :
A ce titre, il montre bien que la seigneurie est d’abord constituée d’un ensemble de revenus tirés des hommes qui la peuple, et l’on peut se demander quels enjeux représentaient le partage de ces revenus et en quoi le système féodal s’appuyait d’abord sur la rente fournie par le système seigneurial.
I- Seigneurs et paysans :
Le texte met en scène des seigneurs qui se partagent des revenus prélevés sur la paysannerie. Si elle n’apparaît jamais nommément dans le texte, celle-ci est donc toujours présente en filigrane comme enjeu du partage entre les puissants. Il faut donc chercher à comprendre ce qui l’en distingue.
1- Deux catégories distinguées par leurs obligations :
li. 23-26 : les chevaliers sont dispensés du droit de fournage et (c’est sous entendu) de tous ceux décrits ensuite : la distinction sociale entre seigneurs et paysans se fait donc sur ce critère : les paysans sont ceux qui doivent les redevances, tandis que les seigneurs ont des obligations spécifiques décrites dans les lignes qui précèdent.
Quelle différence faire entre ces redevances et ces obligations ?
ð les obligations des chevaliers envers leur seigneur sont librement acceptées, puisque le texte est un « accord à l’amiable » (li. 1 et 42). Elles relèvent du système féodal, c'est-à-dire des relations consentie et contractualisée entre détenteurs du pouvoir.
ð Les redevances dues par les paysans ne font au contraire l’objet d’aucune transaction. Elles sont un fait acquis, détaillé en tant que tel dans la notice. Elles relèvent di système seigneurial, c’est-à-dire de la domination exercée par les seigneurs sur le reste de la société.
Il faut donc s’attarder sur l’étude de chacune de ces catégories dont les obligations respectives structurent le texte.
2- Seigneurie laïque et ecclésiastique :
li. 51 : « et beaucoup d’autres, moines et laïques » : Le texte fait apparaître deux types de seigneurs :
li. 2 : Bertrand de Saint-Maximin
li. 3-4 : Rostand et Bertrand de Brômes
li. 4-5 : Guillaume et Raimond de Saint-Martin
li. 50-51 : Bertrand d’Esparron, Isnard de Roumoules.
Ceux de cette première liste ont un titre qui s’attache à leur seigneurie. La distinction entre Saint- Martin et Brômes renvoie à l’existence de deux sites originels. Les trois derniers, qui n’ont pas de titre, doivent être de simples chevaliers sans fief. Leur appartenance à un même groupe est soulignée par l’onomastique, qui dérive directement de celle de la famille comtale (processus d’imitation du prince fréquent, v. Flandre où la majorité des nobles s’appellent Arnoul ou Baudouin).
Ces personnages sont des seigneurs laïcs, qui se caractérisent par leur appartenance à la chevalerie (li. 3 : les chevaliers de Saint-Martin)..
li. 2-3 : Astorge, abbé de Saint-Victor de Marseille.
li. 43 : Jean de Cabrerer, prieur d’Esparron, et quelques autres moines.
Cette seconde liste rassemble des membres de l’ordre monastique (abbé, prieur, moine). Un prieur est le second d’une abbaye, où le chef d’une communauté monastique dépendante d’une abbaye (= un prieuré). Le réseau des prieurés est un moyen de contrôler la gestion des seigneuries appartenant à l’abbaye, surtout quand, comme ici, elles sont relativement éloignées (Saint-Martin est à une cinquantaine de kilomètres de Marseille) : les prieurés d’Esparron et de Saint-Maximin sont autant de relais entre Saint-Victor et Saint-Martin de Brômes : Esparron est à 5 km au sud de Saint-Martin, Saint-Maximin à mi-chemin entre Marseille et Esparron. L’église de Saint-Julien le Montagnier (li. 49), à une 10aine de km au sud d’Esparron, sur la route de Marseille, était sans doute aussi une dépendance de Saint-Victor.
La seigneurie ecclésiastique est donc collective, car c’est le saint (ici Victor) qui est théoriquement seigneur. L’ensemble de la communauté et des communautés dépendantes gèrent donc les seigneuries en son nom, d’où l’intervention collective, ici, de l’abbé, du prieur et des moines. Cette organisation en réseau permettait aussi une gestion plus efficace, dont témoigne l’existence et la conservation de cartulaires comme celui dont est extrait cet acte.
Le nom du prieur d’Esparron révèle que les moines sont issus du même milieu aristocratique que les seigneurs laïcs. S’il n’y a pas de différence fondamentale entre seigneurs laïcs et ecclésiastiques, il existe bien, par contre, une compétition entre eux pour le contrôle des revenus et des paysans qui les fournissent.
3- Des paysans absents du texte mais sans cesse présents en filigrane :
Les paysans de Saint-Martin de Brômes n’apparaissent pas directement dans le texte. Ils n’ont rien à dire sur le partage des droits seigneuriaux qui pèsent sur eux. Ils ne sont évoqués qu’une fois li. 24 comme « les hommes de Saint-Martin ». Dans le langage féodal, la forme « homme de… » désigne un dépendant. Cela est confirmé par le fait qu’ils apparaissent comme ceux sur qui les seigneurs ont « des droits » (li. 23 « droit de fournage »).
Quelques informations sur leurs conditions de vie peut-être tirée du texte : les chevaliers sont titrés de deux localités différentes, Saint-Martin et Brômes. Or, le texte évoque un unique village de Saint-Martin de Brômes. L’étude du site révèle qu’il y avait bien à l’origine deux localités de part et d’autre d’une vallée. Leur jonction n’était pas réalisée au XIème siècle, période de fixation des seigneuries, mais l’était en 1182, ce qui témoigne d’un certain dynamisme démographique. Malgré les redevances acquittées, ces villageois devaient donc bénéficier de relativement bonnes conditions de vie, ce qui est confirmé par le fait que des paysans ont des bœufs d’attelage (li. 28).
Leur présence est également sous entendue par les obligations des chevaliers envers le monastère : ceux-ci doivent « héberger l’abbé deux fois par an et ceux qui l’accompagnent sans limitation de nombre.» (li. 20), le nourrir (li. 56-58) et lui bâtir une « maison d’une élévation de quatre cannes et avec des murs de quatre pans d’épaisseurs » (li. 38-40) = une bâtiment de 8m de haut avec des murs de 2m d’épaisseur. Ca n’est donc pas à proprement parler une maison, mais plutôt une bâtisse seigneuriale destinée à la perception et à la conservation des redevances (= une grange). Il est clair que les chevaliers ne vont pas « construire » eux-mêmes la grange, mais utiliser le travail de leurs paysans pour se faire. De même, le repas offert à l’abbé et à sa suite n’est pas le fruit de leur travail (un chevalier ne travaille pas, au risque de déroger) mais des revenus tirer de la seigneurie.
Le texte n’envisage donc les paysans que comme une source de revenus et de services pour les seigneurs. La domination de ces derniers, quel que soit leur statut ou leur rang, s’exerce d’abord par l’exercice de droits sur les populations. Il faut donc s’intéresser à la nature de ces droits.
II- Les revenus de la seigneurie :
Les revenus de la seigneurie se décomposent en deux grands types de droits que nous allons étudier successivement :
- li. 16 : « la terre de Saint-Martin » = des droits fonciers qui dérivent de la propriété éminente de la terre qu’ont les seigneurs, qui n’en laissent que l’usage (ou propriété utile) aux paysans.
- Li. 24 « le droit de fournage sur les hommes de Saint-Martin » = des droits banaux, qui dérivent du droit de ban et sont des droits sur les hommes (droit de les faire payer en échange d’un service).
1- Les droits fonciers :
Le « terroir » de la seigneurie (li. 36 = les terres constituant la propriété foncière des seigneurs) est divisée en deux parties :
- les tenures, sur lesquelles vivent et travaillent les paysans (= les tenanciers) et pour laquelle ils doivent divers redevances recognitives (= loyer de la terre) : les oublies (li. 29) derrière lesquels on peut reconnaître un prélèvement sur la production céréalière ; « les deux jambes du porc qu’il a nourri » = les jambons, partie la plus fine de la bête = taxe sur l’élevage ; « les quartons de vigne » = taxe sur la production viticole. Ces redevances s’acquittent en nature, à part de fruit (quarton = le quart de la récolte). Il devait en exister d’autres qui ne sont pas détaillés car ils restent entre les mains des chevaliers (organisation des repas pour l’abbé montrent qu’ils avaient plus de revenus que cités ici).
- La réserve, que les seigneurs mettent eux-mêmes en valeur. Elle semble être revenue à l’abbaye (« si les moines où leurs clercs cultivent leur terre avec leur propre charrue ») en raison de l’obligation de travail qui est faite aux moines par la règle. En fait, cette mise en valeur est assurée surtout par les « clercs » (= frères lais, religieux de moindre rang qui ne prononcent que des vœux partiels) et par la corvée exigée des tenanciers, qui est une autre forme de redevance prise sur la force de travail.
Ces redevances donnent en outre une image de la structure agraire du terroir de Saint-Martin : un ager (plateau et vallée) voué à la culture céréalière (pains, charrue, moulin) et un saltus (sans doute le revers du plateau) consacré à l’élevage porcin et ovin (présence d’un moulin à foulon).
ð les droits fonciers sont donc prélevés sur le fruit du travail et sur la force de travail.
2- Les droits banaux :
La même complémentarité se retrouve dans les droits banaux, qui sont ici plus détaillés, car ils semblent avoir été systématiquement partagés entre les chevaliers et l’abbaye :
- li. 23 « le droit de fournage » ; li. 34 « le paroir » (moulin à foulon) ; li. 35 « le moulin » : les banalités, droit d’usage des équipements collectifs construits et entretenu par les seigneurs (confirmé par réglementation du droit de construction des moulins, li. 37 : « les chevaliers ne peuvent construire un moulin sans l’autorisation des moines. »). Ceux-ci ont donc un monopole sur ces aménagements et peuvent contraindre, par leur droit de ban, les paysans à les utiliser. Ces revenus doivent être importants car l’accord prévoit des conditions strictes pour que l’un des seigneurs ne puissent en détourner une partie à son seul profit (en édifiant un nouveau moulin, par ex.)
- Li. 38-40 : construction d’une « maison » pour les moines. On a déjà vu que ces travaux ne peuvent être exécutés par les chevaliers eux-mêmes => recourt à une autre forme de corvée = corvée banale, journée de travail due par les paysans, normalement pour l’entretient du château ou des ponts. Elle est ici utilisée pour réaliser cet aménagement.
« le castrum et la terre de Saint-Martin » : Le droit de ban s’exerce sur le territoire de la seigneurie, le « terroir » (li. 32 et 36). Il est constitué du centre du pouvoir seigneurial, le castrum, qui ici n’est pas un château : tout le site de Saint-Martin est fortifié (citadelle) et dominé par une tour où réside les chevaliers. La population y est concentrée (« les habitants actuels du castrum et ceux qui y viendront après », li 30-31) = encellulement, qui favorise le contrôle des paysans par les seigneurs.
Les droits des seigneurs ont donc deux bases, l’une foncière, l’autre banale. Les seconds devaient être les plus rentables, puisque ce sont ceux que les moines et les chevaliers se partagent avec le plus de soins. Reste à comprendre les origines de ce partage.
III- Les seigneurs entre eux :
Le texte jette un éclairage sur les conditions concrètes du partage, les liens existant entre les chevaliers de Saint-Martin et l’abbaye marseillaise, mais reste muet sur les origines de ce partage, qu’il faut donc chercher à élucider.
1- Les conditions de mise en œuvre de l’accord.
L’accord est issu d’une transaction qui met visiblement fin à une querelle entre les chevaliers de Saint-Martin et l’abbaye Saint-Victor à propos des droits seigneuriaux de Saint-Martin de Brômes. (li. 1 et 42) Cette procédure transactionnelle était la plus efficace dans une société où aucun pouvoir n’avait les moyens de contraindre un seigneur à l’application d’un jugement.
De nombreuses précautions (clauses conservatoires, serment, témoignages, chyrographe et scellement) sont prises pour assurer l’exécution de l’accord, qui est conclu symboliquement dans un lieu placé entre Saint-Martin et Marseille (Saint-Julien est à une quinzaine de km de Saint-Martin, et à une trentaine de km de Marseille), même si le rapport des serments montre que l’abbé, bien que cité dans les titulatures, ne s’est pas déplacé mais s’est fait représenté par le prieur d’Esparron.
L’accord se fait à part égale pour les redevances foncières. (li. 26-27 ; li. 29-30 et 32-33), à la nuance vue plus haut. Par contre, les droits banaux reviennent majoritairement aux moines qui s’attribuent seuls le four et le paroir et réglemente l’établissement de nouveaux moulins afin de préserver leurs revenus. Ils détournent en outre une partie des droits des chevaliers (corvée de construction) à leur profit et bénéficie de droits à l’égard de ces mêmes chevaliers, détaillés des lignes 4 à 23.
Comment expliquer ce déséquilibre entre les deux partenaires ?
2- Des chevaliers vassaux d’une abbaye.
Le début du dispositif (li. 4 à 6) apporte une explication simple : les chevaliers sont vassaux (« hommage et fidélité ») du monastère marseillais, dont ils tiennent le castrum de Saint-Martin en fief (« chevaliers fieffés »). Ils tiennent donc le castrum (symbole du ban) de l’abbé, qui est leur seigneur au sens féodal/suzerain (li. 8). (ATTENTION !!!!!! ambiguïté du terme seigneur). Comme dans toute convention féodale, la suite détaille donc les obligations des vassaux envers leur seigneur en insistant sur l’auxilium militaire (« aide et force », li. 9), ce qui peut être relié à leur statut de chevalier, qui ont donc d’abord une mission de protection des biens de leur seigneur :
- assistance en cas de guerre (guerres féodales fréquentes dans ce comté où les pouvoirs englobants sont faibles et lointains) ou de plaid (procès, c’est-à-dire témoigner ou prêter serment) (li. 10-11) = concilium et auxilium, avec précision « aux frais du monastère » : les chevaliers sont de petits seigneurs dont les moyens ne suffisent plus à couvrir de tels frais, ce qui témoigne aussi de l’augmentation du coût de l’équipement guerrier, en constante amélioration. Cette obligation est complétée par celle de se livrer comme otage pour l’abbé (, qui en est le corollaire (otages = garantie dans les traités de paix et les procès).
- Devoir d’hébergement et de remise du castrum : v. convention catalane.
En retour, le seigneur a lui aussi des obligations (li. 14-18) : garantir leur fief (« le castrum et la terre de Saint-Martin ») à leurs vassaux et leur prêter assistance en cas de besoin (« défenseur »).
Une nouveauté par rapport à 1065 : li. 11-14 : cas d’un conflit ou d’un procès dans lesquels les chevaliers ne peuvent intervenir auprès de l’abbaye => signifie que ces événements opposeraient les moines à leur autre seigneur : les chevaliers ont donc plusieurs suzerains. En fait, sans doute deux : l’abbaye Saint-Victor et le comte de Saint-Maximin. Or les termes du serment de vassalité ne stipule pas d’hommage lige. C’est donc le comte qui est leur seigneur lige : en cas de querelle entre Saint-Victor et Bertrand de Saint-Maximin, ils doivent donc se ranger aux côtés du second. Dans ce cas, très logiquement, ils doivent restituer le castrum aux moines, c’est-à-dire le fief, puisqu’il est ensuite fait mention de « leurs biens », c’est-à-dire leurs revenus seigneuriaux, qui doivent leur être restitués ensuite.
Quelle est l’origine de cet hommage contesté entre l’abbaye et le comte ?
3- Restitution de fief et réorganisation du système seigneurial.
Hypothèse la plus probable : les chevaliers de Saint-Martin sont des vassaux fieffés de Bertrand de Saint-Maximin. Celui-ci leur a donné le fief de Saint-Martin de Brômes que ses ancêtres avaient accaparé au dépend de Saint-Victor. Sous la pression des moines, il a été contraint de restituer le fief à l’abbaye, mais sous la garantie que ses vassaux le conserveraient. Il faut donc partager les revenus entre les chevaliers, qui en disposaient intégralement auparavant, et l’abbaye, représentée par le prieuré d’Esparron, qui selon la pratique courante dans les seigneuries ecclésiastiques, entend récupérer une partie de ces revenus pour l’entretien des moines. La nouveauté de la présence des moines à Saint-Martin est confirmée par le fait qu’ils n’y possèdent pas encore de grange, puisqu’elle doit être édifiée par les chevaliers (li. 38-40).
=> cartulaire garde trace d’un prieuré de Saint-Victor qui existait en 1038 (restauration du prieuré d’Esparron) et d’un legs des seigneurs de Saint-Martin en faveur de Saint-Victor en 1042, mais la succession a été longtemps contestée par les héritiers et par les comtes de Saint-Maximin et le prieuré n’apparaît plus jusqu’au début du XIIIème siècle. Le texte témoigne donc visiblement de la résolution d’un conflit vieux de plus d’un siècle.
Conclusion :
A l’issue de cette étude, il apparaît donc bien que système féodal et seigneurial étaient intimement liés, puisque les seigneurs tiraient des paysans les revenus qui leur permettaient de tenir leur rang. Liés par une incontestable solidarité d’ordre face aux paysans, ils étaient cependant divisés par les problèmes liés au partage des redevances seigneuriales. Pour les seigneurs, les paysans étaient donc d’abord un enjeu économique essentiel. Et ils n’hésitaient pas à édifier des équipements qui, tout en améliorant leurs conditions de vie, contribuaient à accroître les profits de leur seigneur. Les rares éléments du texte qui permettent d’appréhender le quotidien des paysans montre néanmoins qu’ils tiraient eux aussi des avantages de ce système qui malgré la domination qu’il exerçait sur eux, leur garantissait des conditions de vie stables.