Introduction : histoire de l’art et Histoire.
Problématique du rapport entre histoire et histoire de l’art :
Sujets à thème artistique posent problèmes d'interprétation. Ces sujets ne sont pas à comprendre comme des sujets d’histoire de l’art, c’est à dire d’histoire des formes (cours d’histoire générale). Le principal problème est de réussir à intégrer l’histoire des formes dans la problématique + large de l’histoire de toute la société, et donc de parvenir à rendre sensible les implications sociales de l’art.
Depuis Panofsky et Francastel, on a mis l’accent sur le fait que jusqu’à la grande autonomisation de l’artiste du XIX° siècle, l’art est avant tout l’expression des idéaux des classes dirigeantes qui se donnent à voir à travers les œuvres d’art. [NB : Le Focillon, grand classique, reste très valable pour l’histoire des formes mais véhicule encore certains schémas d’explication éculés.]
Il importe donc de ne pas séparer le fond de la forme, à ne pas faire un exposé d’histoire de l’art ni une étude de sociologie de l’art, mais veiller à lier les deux.
Sur le plan pratique, cela implique de repérer précisément :
ð Les formes concernées
ð Les commanditaires des œuvres, puisque l’artiste médiéval n’a pas d’autonomie dans le choix des thèmes.
ð Le contexte social et / ou politique.
Documents proposés organisés dans cette perspective + perspective d’étude synchronique (constante propre à chaque style) et diachronique (évolution d’un style à l’autre).
ð à chaque fois : plan, élévation extérieure et intérieure, portail, un exemple de sculpture et un exemple de peinture.
ð balayage significatif mais restreint : pour des raisons de place et de temps, il n’est pas possible d’étudier ttes les formes d’expression artistique (gravure, arts déco, arts profanes…) ni les évolutions et variantes propres à chaque style => avoir csce que ces aspects existent.
Barrières chronologiques = difficiles à poser, car les styles naissent lentement et coexistent, se chevauchent.
1° éléments du Roman apparaissent dès le X° siècle, dans la filiation directe de l’architecture carolingienne (ou pré-romane) avec laquelle il n’apporte pas de rupture significative => poursuite de la réutilisation des traditions romaines, avec apports byzantins.
Rupture se situe au cœur même de l’ère romane, au début du XII° siècle, quand les progrès techniques et l’accumulation du capital permet l’apparition d’une monumentalité nouvelle (prémice = Cluny III, fin XI° siècle => reste le plus grand édifice chrétien occidental jusqu’à la construction de Saint-Pierre de Rome).
On continue à construire des églises romanes jusqu’à la fin du XII° siècle, et même, en Auvergne, en Gascogne, jusqu’au cœur du XIII° siècle. Mais dès 1145, le style gothique s’affirme à Saint-Denis, puis dans tous les nouveaux édifices du Bassin Parisien. Se répend en auréole autour de ce centre, où naissent toutes les évolutions (vers 1260, Sainte Chapelle de Paris, cathédrale de Chartres => Gothique rayonnant).
Le Gothique survit ensuite jusqu’au début du XVII° siècle, mais sous des formes de plus en plus foisonnantes et influencées par des apports extérieurs, qui en font un style sans vrai rapport, sinon architectonique (formes architecturales de base), avec le gothique des origines. => gothique flamboyant (XIV°-XV°), renaissant et classicisé (XVI° siècle).
Lien entre architecture et évolution de la société : Roman naît au moment où débute le morcellement féodal. Ses plus belles réussites se trouvent dans les monastères ruraux les mieux inscrits dans l’ordre féodal (Cluny, Moissac, Conques, Saint-Philibert de Tournus…) ou dans les capitales des seigneuries les plus puissantes (Poitiers, Angoulême…). Chaque région développe des styles bien caractérisés qui font parler de romans régionaux (poitevins, saintongeais, bourguignons, bretons…) Il survit le plus longtemps dans les zones les plus à l’écart du mouvement d’essor commercial et de recentralisation du pouvoir politic.
Inversement, le gothique naît au cœur du domaine royal, au moment où débute le renforcement du pouvoir central et dans un centre emblématique de ce renforcement, Saint-Denis. Son essor accompagne celui du pouvoir royal, aussi bien Français qu’Anglais : Capétiens et Plantagenêt vont marquer leur conquête par l’édification de cathédrale gothique (cf. Ste-Cécile d’Albi sous Saint-Louis, Saint-André de Bordeaux, édifiée au moment ou Bdx devient le centre des possessions continentales des Plantagenêt).
//, l’essor du gothique accompagne deux autres mouvements :
- essor urbain : 1° cathédrales gothiques (Senlis, Noyon, Meaux, Laon …) = dans des cités épiscopales affectée par l’essor urbain du XII° siècle et dont la cathédrale avait été peu ou pas modifiée à l’ère romane.
- essor des nouveaux ordres religieux : 2° moitié XII° siècle, essor du gothique porté par les fondations cisterciennes qui sont à leur apogée et qui trouvent dans ce style pur et dépouillé une expression de leurs idéaux esthétique. XIII° siècle : X° des chapelles et églises gothiques dépendantes des couvents des ordres mendiants (églises rebaptisées plus tard “ jacobins ”, “ cordeliers ”.
ð deux variantes du gothique :
- l’une monumentale et somptueuse, qui trouve son aboutissement dans la Saint-Chapelle = au service du pouvoir royal et épiscopal.
- l’autre plus humble et épurée, qui trouve son aboutissement dans les églises-halles franciscaines reproductibles à l’identiques, support des religiosités nouvelles.
ð Constantes = problématique : Un roman plutôt rural, seigneurial et monastique, marqué par sa diversité locale, et un gothique plutôt urbain, royal et épiscopal, marqué par son unité de style.
ð Art des seigneurs et art du prince = une évolution des styles qui traduit une évolution dans l’encadrement des fidèles, elle-même liée aux évolutions de la société
I- L’art roman, art de la féodalité.
A- Un art cellulaire.
Même losque l’on a à faire à de très grands édifices, le Roman vise tjs à la création d’ensemble repliés sur eux-mêmes, propice à la méditation intérieure ou à la rumination monastique.
v. Plan + élévation extérieure : ensemble refermé sur soi qui cherche à exprimer une totalité (développer sur les formes architecturales, la symbolique 8 (tour octogonale) – 4 tours carrées) = passage du monde physique (tours carrées sur le porche) au monde divin (tour octogonale surplombant le chœur)et 7 (travées du chœur et du transept).
Organisation de la circulation intérieure (déambulatoire => église de pèlerinage ; absidiole => un ensemble étudié pour célébrer une liturgie stationnaire sans avoir de dépalcements extérieurs à effectuer).
Transition extérieur/intérieur => rôle du porche qui ouvre sur un espace de transition (narthex), progression interne => chœur (v. élévation interne) = image du ciel (cul de four).=> un parcours du monde des hommes jusqu’au Ciel.
B- Hiératisme et hiérarchie.
v. fronton du portail de Conques: hiératisme qui refuse le figuratif pour représenter une réalité d’un autre ordre + couleurs.
fronton : envahissement des voussures et du linteau par le décor.
Séparation de la figuration en deux plans ciel-divinité / terre-humanité : hiérarchie du monde.
Extrême symbolisme des représentations qui reposent sur une exégèse savante => destinnes à des clercs et pas aux fidèles. (cf. Nef de Saint-Savin (Vienne) : chapiteaux non-historiés, au contraire, dans le chœur (réservé aux clercs) ils le sont, système proche à Conques, où le tympan du portail ouvrait sur le cloître (espace des moines) et pas sur l’extérieur (espace des pélerins).
C- Ordre terrestre, ordre céleste : une théologie du pouvoir.
a. Le pouvoir de Dieu : distance et majesté.
v. Christ du tympan => rôle de la mandorle qui le sépare de l’humanité et le place dans l’univers de la gloire céleste.
Structuration interne des églises (plan, élévation) renvoie à coupure nette clercs/laïcs, Ciel/terre. => Dieu = lointain, dans les hauteurs, placé dans une situation d’action eschatologique => un Dieu très semblable au roi, lointain, et dont l'action immédiate n’a pas de réelle influence.
=> pouvoir de Dieu transparaît dans l’action des saints, comme le pouvoir du roi disparaît derrière celui des seigneurs.
b. Le pouvoir des saints : proximité et efficacité.
Grandes églises romanes = églises de pèlerinage où l’on vient vénérer les saintes reliques.
Typique de cette période = statues reliquaires, sorties en procession, mises en contact avec les fidèles => personification du saint qui représente un pouvoir proche et rassurant. cf Statue de Sainte Foy, enrichie au fil des donations et qui exprime matériellement la puissance de la sainte.
Mais art roman, dans sa dimension d’art des églises de pèlerinage = aussi un art des chemins sur lesquels de développent les échanges qui mènent à une nouvelle modernité. Celle-ci trouve son expression dans l’art gothique.
II- L’art gothique, art du renouveau princier.
A- Un art de l’espace et de la lumière.
Même quand on a à faire à de petits ensembles, le Gothique vise tjs à créer une forme de monumentalité qui joue sur les larges ouvertures et l’espace créé par l’élévation de la voûte (v. la « cathédrale de poche » de Senlis).
v. plans et élévations : construction modulaire qui met en rapport étroit chaque élément de travée avec une ouverture qui laisse entrée la lumière. Aboutissement = gothique rayonnant (Sainte Chapelle, Chartres) où le plan est construit sur un nombre minimal de modules tous largement ouverts sur l’extérieurs => des dentelles de pierre qui supportent des verrières.
Evolution rendue possible par deux inventions majeures : la croisée d’arc brisé, qui permet d’élever des voûtes portantes (alors que le roman ne connaissait que les voûtes “ portées ”), et l’arc-boutan qui permet de contre-balancer la pression de la voûte sur les mûrs et donc de les alléger au maximum.
L’évolution artistique se fait aussi sentir dans le domaine figuratif.
B- Art gothique et scolastique : l’homme, image de Dieu.
v. porche de Chartres.
Autonomisation de la sculpture qui se détache plus nettement de l’architecture.
Apparition d’une plus grande importance du figuratif => modif° des canons esthétiques sous double influence :
saint Bernard : représentation de Dieu passe par la beauté et la simplicité (cf. l’ange qui sourit à Reims).
scolastique : insistance sur le fait que l’homme est à l’image de Dieu et sur l’humanité du Christ => réhabilitation de la figure humaine. (v. portail de Chartres, avec des figures hiératiques dans l’attitude, mais avec modelé réaliste (v. vêtements médiévaux), au mépris du récit biblique => réactualisation du message chrétien.
Apparition de codes de représentation plus complexes basé sur la narration et plus sur la symbolique : vitraux de Chartres.
C- Ordre divin, ordre royal :
a. L’art, outil du pouvoir royal.
Cathédrale gothique = œuvre conjointe du roi et de l’évêque (en particulier ND de Paris, ND de Chartres).
Christ de Chartres n’est plus dans une mandorle, mais sur un trône.
Nouvelle forme hiérarchique exprimée par l’art correspond à la monarchie : lumière de Dieu inonde l’édifice gothique => contact direct avec la divinité qui se passe de l’intercession des saints, comme le pouvoir du roi souverain contourne celui des seigneurs.
b. La Sainte-Chapelle de Paris.
Expression la plus achevée = Sainte Chapelle de Paris, édifiée par saint Louis pour accueillir la relique royale par excellence : la couronne d’épine du Christ.
Architecture de verre qui unit savemment théologie de la lumière et théologie royale. Sur les verrières, les armes de France se mêlent aux représentations des grandes scènes de l’histoire sainte. La grande verrière du chœur qui domine le maître autel où sont conservées les reliques inonde la chasse de lumière, mais aussi le podium placé immédiatement sous l’autel et sur lequel le roi trônait seul, intermédiaire entre ses sujets réunis dans la nef et le clergé officiant dans le chœur.
A la même époque est rédigé le pontifical champenois, à Reims, livre liturgique à l’usage de l’archevêque, qui est le premier document à mettre explicitement en rapport onction royale et épiscopale sous-entendu depuis longtemps et qui fait la part belle au clergé dans la cérémonie.
III- Du roman au gothique : traditions et inovations.
A- Des constantes imposées par le dogme chrétien.
Constantes architecturales : le plan de l’Eglise occidentale s’est fixé sous les Carolingiens avec l’adjonction définitive du transept à la nef basilicale héritée de Rome => forme en croix latine au sein de laquelle l’espace est strictement délimité entre ce qui est autorisé au laïc (nef, transept) et ce qui est réservé aux clercs (croisée du transept pour les non célébrants, chœur séparé du reste de l’Eglise par le jubé et le chancel pour les célébrants)
Les grandes constantes de thèmes : le portail porte presque toujours une figuration du jugement dernier => lieu de passage du monde extérieur à la maison de Dieu, donc de la mort spirituelle à la vie éternelle. C’est là qu’ont lieu, au MA, les grandes cérémonie sacramentelles (en particulier mariage et confiramtion) et les grandes fêtes (surtout la bénédiction des rameaux).
La décoration de l’église emprunte ses thèmes à l’histoire sainte, et en particulier aux grands événements de la vie du Christ et à la vie angélique. Deux impératifs dominent : représentation de la présence de Dieu et figuration du saint auquel elle est dédiée.
B- Continuités des thèmes, évolution des formes.
Evolution technique (v. II-A) permet évolution des formes architecturales et surtout d’expression artistique. Mais il n’y a pas de rupture nette : les grandes églises romanes (Saint-Sernin de Toulouse par ex.) expérimentent les formes qui vont mener au gothique. Inversement, les premiers grands édifices gothiques sont encore largement pensé comme des édifices romans : ex. Notre Dame de Paris, qui a encore la structure pyramidale des grandes basiliques romanes => pour maintenir l’équilibre de la voûte, il faut réduire le transept à l’extrême (d’où sa forme particulière de navire à l’envers).
Attention : l’ogive <> de typiquement gothique (on la trouve dans de nombreux édifices romans). Grandes nouveauté gothique = croisée d’ogive (permise par les arcs boutants).
Evolution majeure = passage d’une élévation pyramidale (bien observable sur l’élévation du chevet de Conques) à une élévation simple qui donne une plus grande unité à l’ensemble (Chartres) => supression des tribunes et création du Triforium (partie de mur intermédiaire où les ouvertures sont plus réduites pour permettre la prise d’appui des arcs-boutants).
Vision de l’unité qui correspond à l’idée contemporaine d’unité de la Chrétienté autour du Pape et d’unité du royaume autour du roi.
C- L’art et les formes de la religiosité.
L’art roman est profondément marqué par l’attente eschatologique (le grand mouvement de construction roman débute vers 1000, cf. R. Glaber et le blanc manteau d’églises) et par le culte des saints, d’où l’invention originale que constitue le déambulatoire. D’où aussi la grande richesse de vocable des églises romanes, dédiées à des saints patrons locaux.
Sous l’influence des Cisterciens, et en particulier de saint Bernard, grand dévôt de la Vierge, le culte de Marie gagne en importance au cours du XII° siècle : lors des grandes reconstructions gothique de la fin du XII° et du XIII° siècle, on voit alors se multiplier les Notre Dames. De nombreuses cathédrales sont rebaptisée lors de leur reconstruction (ex : cathédrale de Chartres => XII° siècle = Saint-Pierre, elle devient Notre-Dame lors de sa reconstruction gothique). L’art gothique se développe dans un milieu plus urbain et plus profondément christianisé : les grandes compositions sculptées gothiques, au-contraire des œuvres romanes, ne sont pas réservées à une élité de clercs lettrés mais largement offertes aux yeux des fidèles (sur le porche à Chartres). Elles constituent véritablement une Bible de pierre, destinée à l’éducation des fidèles, et sur lesquels pouvait prendre appui la prédication des frères Franciscains et Dominicains, eux-aussi grands propagateurs du style gothique.
Conclusion :
L’art du MA ne peut se comprendre que dans sa relation étroite avec un contexte intellectuel, politique et social donné. Au-delà des variations dans les formes, il apparaît tout entier vers l’expression d’un ordre idéal de la société, et colle donc étroitement à l’évolution de cette dernière. Mais il est aussi, comme dans de nombreuses autres périodes, un outil de prestige aux mains des classes dirigeantes, destiné à figer dans les matériaux les plus nobles l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et du monde. C’
Mais l’unité de l’art médiéval se fonde avant tout sur sa tentative, dont on ne trouve d’équivalent que dans l’iconographie byzantine, de figurer sur terre et avec des moyens humains des réalités qui sont de l’ordre de la transcendance. Cette quête de l’image de Dieu et de la rédemption, qui fonde toute la démarche artistique de l’Europe Occidentale jusqu’à nos jours, est sans doute l’héritage majeur qu’il nous a laissé et la clé de l’émotion qu’il peut encore faire naître chez nos contemporrains.