Intro :
Le MA est marqué, sur le plan militaire, par la domination de la cavalerie lourde qui, du VIIIème au XIVème siècle, est la maîtresse des champs de bataille.
Source et nature :
Extrait d’une Histoire consacrée à Artus III de Bretagne, l’un des concurrents au duché soutenu par les Français durant la guerre des deux Jeanne, qui occupa de hautes fonctions militaires dans l’entourage des rois de France (connétable, équivalent du chef d’Etat major actuel). Ces histoires consacrées à un individu particulier se multiplient à partir du XVème siècle. Cette individualisation de l’histoire, associée à leur mode de composition (témoignage d’un proche après la mort du personnage, indépendamment de toute commande ou patronage) tranche avec la tradition historiographique des siècles précédents. Plus qu’histoire, le terme de « biographie » serait plus adéquat. Ce genre nouveau montre les progrès de l’individualisme à la fin du Moyen Âge. + deux illustrations d’une chronique datant du règne de Charles VII. Elles aussi, même si elles continuent à donner une vision très codifiée de l’événement, témoigne d’un plus grand soucis de réalisme dans les détails (en particulier la seconde).
Auteur :
Guillaume de Gruel (c. 1410-1474/1482), noble breton, entra au service du comte de Richemont en 1425 et l’accompagna fidèlement jusqu’à sa mort (1474), au point de devenir l’un de ses intimes. La partie de son œuvre antérieure à 1425, tributaire des souvenirs du comte et d’autres historiens, est la moins développée. Son récit, très allusif, demande à être complété par d’autres sources. De façon générale, la bonne fois et l’originalité manifestée par Gruel dans son ouvrage font considérer son œuvre comme très fiable.
Les enluminures sont anonymes.
Dates :
La date de l’événement est bien donnée par l’auteur (25 octobre 1415) et ne pose pas problème, étant confirmée par d’autres sources.
La date de composition de l’œuvre est plus problématique. Gruel écrivit après la mort d’Artus, en 1474, et avant sa propre mort, intervenue avant 1482. Il est probable qu’il s’est appuyé sur des notes prises tout au long de présence auprès du comte de Richemont.
Il écrit donc au moins 60 ans après les faits, relatant des événements dont il a eu vent quand il était adolescent (il a une quinzaine d’année à l’époque d’Azincourt) et qu’il n’a pas vécu personnellement, ce qui peut expliquer le caractère très elliptique de son témoignage.
Les enluminures, en revanche, sont beaucoup mieux documentées, s’appuyant sûrement sur des témoignages directs, avec un grand soucis de réalisme dans la figuration des bannières et insignes qui permettent de distinguer les combattants.
Contexte :
Á partir des années 1380, France et Angleterre apparaissent épuisées économiquement par la guerre. Des grandes révoltes fiscales remettent en cause le financement de la guerre par l’impôt. Au renforcement du pouvoir royal par Charles V puis dans les premières années de Charles VI s’oppose une grande instabilité politique en Angleterre, où le meurtre de Richard III ouvre une longue crise de succession opposant les grandes familles nobles. Victorieux, Henri IV Lancastre doit encore affronter plusieurs révoltes nobiliaires et il faut attendre 1413 pour que son fils Henri V soit assez assuré pour envisager de reprendre la lutte en France. Au printemps 1415, il met donc fin à 30 ans de trêve tacite en débarquant en Normandie qu’il commence à soumettre. Se heurtant à une résistance plus forte qu’attendue renforcée par la convocation du ban et de l’arrière ban par Charles VI, à l’automne, il chevauche vers Calais pour se rembarquer, poursuivi par l’armée française. Arrivé près d’Azincourt (Somme), il est acculé à livrer bataille. Ce combat, qui semblait mal se présenter pour les Anglais, fut pourtant une défaite retentissante pour les Français, qui faillit mettre en cause jusqu’aux fondements de la monarchie.
Il faut donc comprendre comment une armée supérieure en nombre et qui avait l’initiative du combat contre une troupe en fuite put être anéantie en quelques heures.
Problématique :
Qu’est-ce qui a changé à Azincourt ? Pourquoi les Français ont-il subi une défaite aussi sévère.
I- Le déroulement de la bataille.
- une bataille de champ (enluminure 1 + « mettre leur gens en bataille ») = bataille codifiée, ou l’on n’attaque pas à l’improviste.
- La charge française (« grand nombre de champ à cheval ») et la manœuvre d’encerclement : chevalerie au centre, cavalerie gasconne et lombarde (= mercenaires) sur les ailes qui doivent enveloppés l’armée anglaise (« qui devaient frapper sur les flancs »).
- Un terrain trop étroit pour la manœuvre ((« qui trop était étroite pour combattre tant de gens ») + enluminure 1 : terrain plat entouré de collines, malaisée pour les attaques de cavaleries.
- La riposte de l’archerie anglaise (« les traits venir si drus ») et la débandade des ailes (« ils se mirent en fuite et vinrent rompre la bataille de nos gens ») => en se repliant, disloquent le front principal français (à gauche sur l’enluminure 1) => gène manœuvre de l’archerie française et déploiement de la chevalerie.
- La mêlée : enluminure 2 : profitant de l’immobilisation de la chevalerie française, charge anglaise mêlant chevalerie et infanterie qui jettent bas les chevaliers français et massacrent l’infanterie française (« tirés de dessous les morts et fut reconnu à sa côte d’armes » = les fantassins morts et blessés, les Anglais viennent achever les morts roturiers après la bataille, et Artus de Richemont ne doit qu’à ses armoiries d’échapper à la mort). coincée entre le front anglais et leur cavalerie.
- les Français, qui ne peuvent fuir, sont massacrés ou capturés, laissant la victoire aux Anglais.
II- Les conditions matérielles de la bataille.
- deux armées à la composition proche (enluminure 1) : les Français ont retenu la leçon de Crécy et de Poitiers et ne misent plus tout sur la chevalerie (nobles). Dans les deux camps, la chevalerie, dont la charge doit emporter la décision (d’où sa position en retrait) est encadrée par des unités de cavalerie mercenaire (non nobles) (« gascons et lombards ») et surtout de troupes d’infanterie : archers (anglais, plus rapides et performants) et arbalétriers (choix français qui s’avéra lourd de conséquence car l’arbalète est plus lourde et plus lente à recharger) et routiers (enluminure 2) = fantassins formés en carrés qui peuvent résister à une charge et jeter les chevaliers à bas.
- Enluminure 2 : combat n’est plus une charge frontale, la tactique devient plus complexe avec des unités d’infanterie qui sont encadrées et commandées par la chevalerie. Le but est de capturer les chevaliers et de tuer les autres (corps au sol).
- Néanmoins, les Français gardent deux faiblesses par rapport aux Anglais :
- l’absence d’armée permanente qui les force à recourir massivement aux mercenaires (alors que les Lancastre sont les premiers à organiser un embryon d’armée qui fut la base de leur accession au trône). Renforcé par le fait que certains de ces mercenaires (les Gascons) viennent de terres soumises au roi d’Angleterre.
- Une chaîne de commandement encore peu efficace qui rend la discipline des troupes encore aléatoire (débandade des mercenaires) et empêche une retraite en ordre et une contre-offensive (« en telle manière qu’à grand peine se purent jamais rassembler que les Anglais ne fussent toujours près d’eux »).
III- Le résultat de la bataille et ses conséquences.
- Azincourt fut un désastre pour l’armée française : nombreux morts (« retiré de dessous les morts » et prisonniers (« et là furent pris… ») qui privent la France des meilleures de ses troupes, mais aussi de son administration, car beaucoup des nobles capturés à Azincourt avaient des fonctions de commandement et d’administration à la cour (enluminure 2 : chevaliers emmenés prisonniers), parmi les tués se trouvaient de nombreux baillis ou sénéchaux et officiers de la couronne. Les prisonniers, emmenés loin de France (« emmena ses prisonniers et de là alla en Angleterre »), furent parfois longs à revenir : 5 ans pour Artus de Richemont (jusqu’en 1420), connétable, plus de 15 ans pour Charles d’Orléans (« monseigneur d’Orléans »), cousin du roi et chef du parti Armagnac.
- A ce désastre militaire s’ajouta un fort coup économique, car il fallut payer la rançon des prisonniers.
- Un coup politique : les soutiens du roi et du dauphin Louis, le duc de Bourbon, le duc d’Orléans, sont prisonniers. Le parti Armagnac est décapité, ce qui laisse le champ libre aux Bourguignons alliés des Anglais. De même, en Bretagne, la captivité d’Arthus de Richemont favorise les intérêts des partisans de l’Angleterre. Henri V voit dans sa victoire un jugement de Dieu qui justifie ses droits à la couronne de France (explique rapidité de son rembarquement : il a le temps de planifier avec soin une nouvelle campagne après le coup fatal porté aux Français).
- Le pire est néanmoins évité : échaudés par le désastre de Poitiers, les conseillers du roi ont réussi à convaincre Charles VI et ses fils de ne pas prendre part en personne à la bataille. Le roi et le dauphin sont donc toujours vivants et aux affaires.
Conclusion :
Le désastre d’Azincourt est donc d’abord due au manque d’organisation et de discipline de l’armée française et à un commandement déficient qui n’a ni su choisir un terrain correct pour mener bataille, ni relayer efficacement ses ordres pour organiser une retraite dans l’ordre. L’absence d’armée professionnelle, la volatilité des mercenaires et le choix de l’arbalète plutôt que de l’arc sont venus affaiblir un peu plus l’armée française.
Ultime conséquence à court terme = le traité de Troyes (1420) qui livre la moitié de la France et la couronne française à Henri V. Mais à long terme, la leçon d’Azincourt inspirera toute l’œuvre de réforme militaire de Charles VII et son effort pour établir une outil militaire apte à battre les Anglais.