Illustration : les deux papes et leurs cardinaux. Miniature des Grandes Chroniques de France, Saint-Denis, début du XVème siècle.
Intro :
La papauté d’Avignon – gallicanisme et conflit entre le roi de France et la papauté.
Définition d’un schisme (rupture disciplinaire interne à une religion, à distinguer de l’hérésie qui est une rupture théologique).
Comment l’intervention du roi de France dans la vie de l’Eglise a-t-elle entraînée une crise à l’échelle européenne ?
ð rencontre de cette rivalité politique entre la France et Rome et d’autres préoccupations du même ordre (volonté des souverains espagnols de s’émanciper de la papauté) ou de natures proprement religieuses (remise en cause de la suprématie pontificale, de la richesse du clergé, de l’intervention du pouvoir spirituel dans les affaires séculières).
A de vieilles aspirations césaro-papistes qui ne se distinguent guère des ambitions des Carolingiens ou des Ottoniens de contrôler la papauté et au renouveau du duel entre les « deux glaives » se mêlent donc des éléments de modernité qui contribuent à l’instauration du gallicanisme et annoncent la Réforme.
Pbic : Le Grand Schisme, dernière crise de l’Eglise médiévale ou première étape vers la Réforme ?
I- Naissance et développement de la cridu schisme :
Á l’origine du schisme se trouve l’action des souverains français qui, en voulant placer le pape à Avignon pour le contrôler provoquent une grave crise entre la papauté et ses sujets italiens. C’est d’abord de cette confrontation franco-italienne, dans un contexte où la France intervient également dans le royaume de Naples, que naît la rupture.
A- L’Eglise aux mains des Français :
Á l’issue de la période avignonaise, 80% des cardinaux et l’écrasante majorité des légats et gouverneurs des provinces des Etats pontificaux sont français, ce qui suscitent la méfiance des autres royaumes et provoquent régulièrement des révoltes en Italie, où ces administrateurs sont perçus comme des envahisseurs, d’autant plus qu’à la même époque, les Valois d’Anjou cherchent à s’emparer du royaume de Naples. Les Français contrôlent donc indirectement plus de la moitié de l’Italie. Le retour de Grégoire IX à 1376, en réaction à ces révoltes ne parvient pas à faire illusion.
B- La révolte des Italiens :
Face à l’absence de l’empereur en Italie, le roi de France devient le principal soutien des Guelfes (partisan de la primauté du temporel sur le spirituel), réactivant la querelle avec les Gibelins (partisan de la suprématie pontificale et de l’indépendance des Etats italiens). Florence, meneuse traditionnelle des Gibelins, prend la tête de la révolte et cherche à étendre l’agitation dans les territoires pontificaux.
Le retour de Grégoire IX en Italie se traduit par une rude répression contre ces révoltes : Florence est placé sous l’interdit et toute sa population excommuniée. En 1377, le cardinal Robert de Genève, chef du parti pro-français, fait massacrer les insurgés à Césène. En réaction, de nouvelles émeutes forcent Grégoire IX à quitter Rome et seule sa mort, la même année, l’empêche de regagner Avignon.
C- Le retour du pape en Avignon :
Son successeur, Urbain VI, est élu sous la pression des Romains révoltés qui exigent le retour d’un italien sur le Saint Siège. Très autoritaire, Urbain VI s’attire en outre très vite l’animosité des Eglises de France et d’Espagne qu’il veut remettre au pas.
Réunis à Fondi en 1378, les cardinaux français soutenus par les royaumes de Naples et d’Aragon élisent un anti-pape, Robert de Genève qui, sous le nom de Clément VII, s’installe en Avignon.
L’élection d’un nouveau pape par les Italiens déchirent dès lors l’Occident entre partisans du pape d’Avignon et partisans du pape de Rome.
II- La Chrétienté occidentale déchirée :
Très rapidement, les soutiens à l’un ou l’autre pape traduisent des choix politiques. L’Eglise devient un enjeu dans la rivalité entre les puissances européennes, tandis que certains utilisent cette crise pour promouvoir de nouvelles idées dans l’Eglise.
A- L’aggravation de la crise :
En 1409, cardinaux et évêques venus des régions qui ont refusé de choisir entre les deux papes s’assemblent à Pise pour former un concile qui doit trouver une solution à la bicéphalie de l’Eglise. Mais la réunion se tient en l’absence des représentants des deux papes. Elle aboutit à l’élection du pape Alexandre V (1409-1410) qui doit se substituer aux deux papes, déchus par le concile.
Cette décision, prise sans avoir préalablement sollicité l’accord des pontifes déposés, est un échec et l’Eglise est désormais divisée entre 3 obédiences.
B- Des fractures politiques plus que religieuses :
Théologiquement et dogmatiquement, les 3 papes sont en accord et ils ne se distinguent que sur des points de disciplines et de hiérarchie ecclésiastiques (le pape de Rome tenant pour la suprématie pontificale).
Les choix des différents souverains reflètent des rivalités, des équilibres mouvants, mais aussi la recherche des intérêts de chacun :
- la France soutenant le pape d’Avignon, l’Angleterre se range naturellement au côté du pape de Rome ;
- L’Aragon choisit le pape d’Avignon, comme la Castille dans un premier temps, puis celle-ci rallie le pape Pisan pour se distinguer de son voisin et rival, tandis que le Portugal reste fidèle à Rome, afin d’affirmer son indépendance face à elle ;
- L’empereur soutien le pape de Rome, cherchant ainsi à renouer avec son rôle traditionnel de protecteur de la papauté et à retrouver son influence perdue en Italie, tout en se gardant des prétentions impériales de la couronne de France et de ses tentatives d’intervenir en Italie ;
- Mais dans l’Empire, de nombreux princes font d’autres choix, parfois dictés par leur recherche d’indépendance, mais aussi par l’intérêt : ainsi, Wenceslas IV de Bohême choisit le pape d’Avignon en échange du versement au trésor royal d’une part du revenu des indulgences pontificales octroyées en terre tchèque.
C- De nouvelles théories mettant en cause le rôle de la papauté dans l’Eglise :
La rivalité entre les papes, le tour politique qu’elle prend et les conflits qu’elle entraîne oblige ces derniers à rechercher de nouvelles sources de revenus : décimes prélevées sur les clergés ralliés à chacun d’eux et financées par des hausses de la dîme et des droits ecclésiastiques, et surtout généralisation de la vente des indulgences (remise de pénitence pour les pêchés commis accordée par le pape pour une certaine durée, les plus chères étant les indulgences perpétuelles). De telles pratiques renforcent les accusations portées depuis le XIIIème siècle contre la richesse de l’Eglise et sa trop grande implication dans les affaires temporelles.
- Lollards anglais et Tuchins français.
- Mouvement pré-réformateur de John Wyclif en Angleterre.
- A partir de 1402, Jan Hus, un prédicateur praguois, prêche un retour à l'Eglise apostolique, spirituelle et pauvre. Il dénonce les indulgences et attaque vivement la papauté, jugée inutile, privilégiant des Eglises nationales dont les dirigeants seraient élues par les fidèles. Convoqué devant le concile de Constance en 1415, il est condamné pour hérésie et brûlé. Mais ses disciples organisent une Eglise parallèle qui provoque une grande révolte (1419) suivie d’une très rude répression en Bohême (années 1430).
Wyclif et Hus sont des précurseurs directs de la Réforme. Tous deux prennent argument du spectacle navrant offert par les papes schismatiques pour appeler à la suppression de la papauté.
Le schisme met donc en péril l’unité du christianisme occidental et l’existence même de la papauté. Des prélats instruits et conscients de ces risques commencent, dans les années 1400, à chercher une solution à cette crise sans précédents.
III- Le conciliarisme et la fin du schisme :
La situation devenait d’autant plus pressante que les mouvements millénaristes se multipliaient : beaucoup voyaient dans les malheur du temps une punition divine résultant su schisme. Face à l’incapacité des trois papes à trouver une sortie de crise, les évêques décident de s’en remettre à la seule structure apte, dans l’Eglise, à remettre en cause les décisions pontificales : le concile.
A- La doctrine conciliariste :
Le pape, vicaire de Pierre, est la principale autorité de l’Eglise catholique. La discipline prévoit néanmoins qu’en cas d’incapacité notoire d’un pontife, celui-ci peut être contredit voir révoqué par un concile œcuménique.
Un tel concile est une assemblée des évêques de toute la chrétienté occidentale qui à l’image du pape, ne tient son autorité que du Christ lui-même et ses décisions émanent directement de l’Esprit.
Très usité en Orient, où les conciles œcuméniques avaient le pouvoir de déposer les patriarches, cette pratique n’a jamais été utilisée en Occident. Elle fait donc l’objet de vifs débats entre les universités de Paris (conciliaire) et de Bologne (anti-conciliaire).
Un premier concile général fut réuni à Bâles, sans pape à sa tête, ce qui était inédit, afin de donner forme à cette théologie conciliaire.
Poussant cette logique conciliaire à l’extrême, les évêques et universitaires réunis à Bâles au début du XVème siècle, et en particulier le cardinal Jean Allarmet de Brogny, français formé à l’université de Paris, placèrent donc le concile au-dessus du pape.
B- La résolution du schisme :
En 1414, les évêques français, allemands, anglais, espagnols et italiens reçurent une convocation pour l’assemblée qui devrait se tenir l’année suivante à Constance sous la présidence du cardinal de Brogny. Afin de mieux affirmer son pouvoir, le concile consacre sa première séance à fixer les prochaines assemblées conciliaires (alors que jusque là, seul le pape pouvait convoquer un concile).
Les légats des papes de Rome et de Pise assistent aux séances. Par esprit de paix, Grégoire XII (Rome) accepte d’abdiquer, tandis que Jean XXIII (Pise) et Benoît XIII (Avignon) sont déposés. Jean se plie à cette décisions, mais les tractations se poursuivent deux ans encore avec Benoît, qui refuse de reconnaître les décisions du concile, et surtout avec la France qui accepte finalement de lâcher le pape d’Avignon, contraint de se retirer en Aragon, seul royaume qui le soutien encore.
Celui-ci privé de tout pouvoir de nuisance, le concile décide alors de se muer en conclave qui choisit Martin V comme nouveau pape le 11 novembre 1418.
Martin V se réinstalle à Rome en 1418. Sa première mesure est de confirmer toutes les nominations de cardinaux des 3 papes, ce qui permet de ramener le consensus dans l’Eglise, et il est désormais reconnu par les 3 obédiences.
A la mort de Benoît XIII, Alphonse V d’Aragon refuse de reconnaître son successeur élu par les derniers cardinaux « avignonnais ». Le schisme prend alors définitivement fin.
C- Les conséquences du schisme :
Le schisme a profondément et durablement affaibli la papauté. Durant tout le XVème siècle, les papes durent tenir compte des conciliaristes et accepter de gouverner l’Eglise en accord avec les séances conciliaires fixées à Constance. Il faut attendre les papes « flamboyants » de la Renaissance pour voir la papauté réaffirmer ses prérogatives.
Cet affaiblissement entraîna aussi la victoire définitive du roi de France : par la pragmatique sanction de Bourges (1438) Charles VII limita les prérogatives pontificales dans son royaume et s’affirma comme le vrai chef de l’Eglise de France, se réservant en particulier les nominations aux diocèses et bénéfices abbatiaux. La France entrait ainsi définitivement dans l’ère du gallicanisme, qui se prolongerait jusqu’à la Révolution. D’autres souverains, en Castille ou en Angleterre, ne tardèrent pas à lui emboîter le pas.
Enfin, certaines mauvaises habitudes prises durant le schisme se perpétuèrent : Martin V et ses successeurs ne revinrent pas sur les augmentations des décimes ou sur la vente des indulgences. Si le concile de Constance et ceux qui suivirent réformèrent la hiérarchie de l’Eglise et son gouvernement, ils ne firent rien pour répondre aux attentes des laïcs quant à leur place dans l’Eglise ou quant à la richesse de celle-ci. De même, malgré les décisions de ces conciles, les mœurs dissolues du bas clergé qu’avaient favorisés le schisme en limitant les moyens de contrôle des 3 papes se perpétuèrent.
Tous ces abus furent directement à l’origine de la Réforme.
Conclusion :
Si le schisme naquit d’une querelle entre le roi et le pape très médiévale et fut d’abord le résultat de rivalités politiques utilisant l’arme religieuse typiquement médiévales, il entraîna une série de nouveautés, que ce soit le conciliarisme, le gallicanisme ou les mouvements wyclifiens et hussites, qui firent entrer l’Europe de plein pied dans la modernité. Il constitue donc un véritable moment de transition entre Moyen Âge et Renaissance : dans une optique encore très médiévale, les innovateurs appuyèrent leurs créations sur les autorités anciennes des premiers temps du christianisme, mais les solutions qu’ils proposent annoncent déjà la Renaissance. Et le principal héritage de ce schisme reste bien la Réforme qui, annoncée par les Hussites, allait faire définitivement basculer l’Europe dans les Temps Modernes.