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année universitaire 2006-2007

VIP-Blog de dreillard
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  • Créé le : 04/10/2006 02:29
    Modifié : 24/06/2007 14:30

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    L’état des paroisses et feux

    06/05/2007 23:56

    L’état des paroisses et feux


    Intro :

     

    Un document fiscal qui fait l’état, par circonscriptions administratives, de l’ensemble des feux (= foyers, famille vivant dans une maison) qui doivent l’impôt royal = le fouage (impôt personnel du par chaque foyer).

    C’est une source objective issue d’un travail collectif et qui a été mise en forme par des commissaires (= inspecteurs) issus de la cour des comptes de Paris et qui ont travaillé sur ses indications.

    Le document est datable de 1328, année de l’avènement de Philippe VI de Valois dont l’une des premiers actes de gouvernement est de semoncé l’ost pour aller mettre fin à la révolte de Flandre. Á cette occasion, voulant savoir de quels revenus il peut disposer pour sa campagne, il fait établir cet état fiscal pour évaluer les rentrées du trésor.

    Ce document, même si ça n’était pas son but à l’origine, est le premier recensement de la population française. Il témoigne de la capacité de l’administration royale, au début du XIVème siècle, à rassembler très rapidement (certaines lacunes ponctuelles témoignent de la rapidité de cette mise en forme) des données précises sur les trois quarts du royaume sur lesquels le roi a une emprise directe. C’est le symbole de l’établissement, de Philippe Auguste à Philippe le Bel, d’une monarchie administrative, territoriale et centralisée.

     

    Que nous apprend ce document sur la France du début du XIVème siècle ?

     

    I-                   L’élaboration du document :

     

     

    Le document a été élaboré par des commissaires – enquêteurs issus de la cours de la cours des comptes de Paris. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ils se sont peu rendus sur le terrain, ce qui explique la rapidité d’établissement de cet état, qui n’a demandé que deux mois d’enquêtes. Quelles sources ont-ils utilisé ?

    Le document comporte des lacunes qui témoignent de sa rédaction : (« sans la prévôté d’Ouichy et de Saint-Ménehould », « Sans ce que l’on dit être du chapitre de Notre-Dame de Cambrai que l’on dit être d’empire et sans ce qui est du comté de Flandre, qui est du ressort de la prévôté de Montreuil », « et n’y sont pas comptés les feux de la ville de Chastelgot, qui sont rebelles, ni les feux de la vicomté de Brullois, la cause enrevient aux rôles »).

    -         Á Paris même, les registres du trésor et de la cours des comptes, qui tenaient à jour l’état des revenus du domaine  par seigneurie, et permettait donc de savoir ce qui relevait du roi et ce qui échappait encore à son pouvoir direct (en particulier les apanages, qui faisaient l’objet de registres particuliers : « pour M. de Navarre et Mme de Valois ») ;

    -         en province, les rôles fiscaux tenus par les Etats d’Oc et d’Oïl et dans chaque baillage et sénéchaussée, qui dressait la liste des contribuables par paroisse ou communes (pour les villes). L’absence (la sergenterie de G. Bonnin, « et deux paroisses que l’on a oublié d’écrire » ; « sans les exceptions du rôle » ; « sans plusieurs lieux où il n’est fait nulle mention de paroisse ») ou la destruction de ses rôles lors de révoltes fiscales (ville de Chastelgot) rendaient donc l’établissement de l’état impossible pour ces zones.

    Il a donc suffit de collecter et collationner ces deux sources pour parvenir à un état relativement fiable des foyers imposables par baillages, sénéchaussées et paroisses. Ce travail témoigne donc du degré de fiabilité et d’encadrement où était parvenu l’administration royale au début du XIVème siècle, grâce à un réseau administratif étendu.

    L’état des paroisses et feux « prouve par son existence même la capacité de l’Etat royal à maîtriser l’espace français » (A. Demurger)

    Pour normaliser leur travail, les commissaires ont procédé à des simplifications (« les cités, châteaux, lieux et villes sont comptés pour des paroisses », ce qui témoigne malgré tout de la complexité de ces structures.

     

    II-                Les structures administratives :

     

    Les grandes bases de l’administration n’ont guère changé depuis Philippe Auguste : les baillages et sénéchaussées (leur équivalent dans les anciens domaines Plantagenêt et toulousains) constituent les circonscriptions de références, elles-mêmes subdivisées en prévôtés ou sergenteries.

    Le fait que plus des ¾ du royaume appartiennent désormais au domaine n’empêche pas le maintien de structures locales.

    - Au premier chef, on trouve les villes et cités qui ont le droit de commune. Certaines jouissent à ce titre d’exemption (« sans la ville de Rouen », exemptée d’impôts pour s’être ralliée à Philippe Auguste).

    - Paris et sa région, seigneurie directe et personnelle du roi constitue aussi un cas à part, le seul à l’époque où l’on distingue la ville des campagnes environnantes (statut fixé par Louis IX) : Paris même, ses faubourgs et sa banlieue (au sens étymologique) forment la prévôté de Paris, qui relève du prévôt du Châtelet, qui dépend directement du roi et est assisté par les prud’hommes de la corporation des marchands d’eau. Les campagnes d’Île de France forment la vicomté de Paris, dont le vicomte est un agent royal révocable, divisée en châtellenies gérées par un prévôt qui tient un château royal, lève l’impôt et rend justice, et contrôle les seigneurs vassaux directs du roi.

     

    - Des traces du passé : « Sans ce qui est du comté du Flandre, qui est du ressort de la prévôté de Montreuil » = seigneuries de Flandre se trouvant en Picardie, qui correspondent aux acquisitions de Philippe Auguste par son mariage avec Isabelle de Hainaut et le traité de Boves => forment une circonscription administrative à part, la prévôté de Montreuil, qui avait été créée pour les gérer alors que ces seigneuries formaient des isolats royaux dans des terres qui n’appartenaient pas encore au domaine. Fut ensuite rattaché au baillage de Vermandois, cité plus loin.

     

    - les apanages, parties du domaine remise à un parent du roi (Mme de Valois, le comté d’Alençon).

    L’état permet d’établir la situation exacte du domaine royal en 1328 : le roi contrôle directement tout son royaume sauf les apanages et seigneuries d’Artois, d’Alençon, de Chartres, d’Evreux, de Mortain, d’Angoulême, de Bourbonnais et de la Marche, et les fiefs de Bretagne, Bourgogne, Flandre, Guyenne et Foix.

     

    III-             Instantané de la population française en 1328 :

     

     

    Sur le domaine, l’état relève 23 671 paroisses et 2 469 987 feux, sans les omissions, exceptions et exemptions signalées qui porteraient sans doute le total à plus de 2 500 000 feux. Les historiens, à commencer par F. Lot, éditeur du texte, ont tenté des extrapolations pour étendre ces chiffres à l’ensemble du royaume dans la limite des quatre fleuves (Escaut, Meuse, Saône, Rhône) et en déduire la population de la France en 1328.

    F. Lot arrivait ainsi à une chiffre total de 32 500 paroisses et 3 363 000 feux, soit une population de 17 à 18 millions d’habitants.

    Mais cette estimation ancienne reposait sur une image très pessimiste de la fécondité et surtout de la mortalité infantile dans les campagnes du début du XIVème siècle, qui a été contredite par les études récentes qui montre que malgré la crise à l’œuvre depuis la fin du XIIIème siècle, le dynamisme et la pression démographique restait très important.

    Les dernières estimations revoient donc ce chiffre à la hausse autour de 20 à 22 millions d’habitants (estimation établit par les statisticiens de l’INSEE à l’occasion d’un colloque sur la population française et son histoire), ce qui justifie la vision des contemporains qui voyaient dans la France « un très grand, très riche et très puissant royaume ». Pour mémoire, vers 1320, l’Angleterre ou la Castille ont 3 millions d’habitants.

    C’est donc cette masse humaine qui crée le besoin statistique (A. Higounet-Nadal) : pour gérer une population toujours croissante, l’administration royale doit connaître au mieux son état et sa répartition.

     

    Conclusion :

     

    La France des années 1320 apparaît comme un grand pays, très peuplé, sans doute la première puissance démographique du monde occidental à son époque. Le document nous montre aussi une France bien administrée, largement unifiée autour du pouvoir royal auquel n’échappe que les derniers vestiges de l’empire Plantagenêt en Gascogne et les apanages des princes de France. Pourtant, un siècle plus tard, le même pays sera affaibli, saigné à blanc par la guerre, occupé pour moitié par les Anglais. Dans cette France où le « petit roi de Bourges » ne contrôle plus qu’un quart du territoire, où les ducs de Bourgogne se rendent indépendants, l’apogée de la construction de l’Etat royal atteint sous les derniers capétiens directs semble bien loin. En 1490, Charles VIII voulut faire établir une « recherche générale des feux de de France ». Le projet n’aboutit jamais. Les agents royaux prétextèrent la mauvaise volonté des administrés, rendus méfiant envers l’impôt. Mais c’est surtout la plus belle preuve que le mouvement de l’histoire n’est pas uniforme et que ce qui a été acquis peut à tout moment être remis en question pourvu que l’on ne se donne les moyens de l’empêcher.

     






    La ruine des campagnes : la Normandie en 1422

    06/05/2007 23:54

    La ruine des campagnes : la Normandie en 1422


    Intro :

     

    Source et nature :

     

    Extrait de l’Histoire de Charles VII qui est une biographie royale.

    Auteurs :

     

    Elle a été composée par Thomas Basin (1402/12-1490), un clerc et universitaire d’origine normande, spécialiste du droit qui fut impliqué dans les réformes conciliaires qui suivirent le Grand Schisme. D’abord conseiller d’Henri VI, qui lui donna l’évêché de Lisieux en 1447, il choisit finalement de rallier Charles VII en 1449. Proche de ce roi, il fut l’un des artisans de la réhabilitation de Jeanne d’Arc, mais se brouilla avec Louis XI, se qui le contraignit à l’exil en 1462, il se démit de son diocèse en 1474 et devint archevêque in partibus, ce qui lui permit de consacrer la fin de sa vie à l’enseignement en Italie et en terre d’Empire. C’est durant cette période que, pour se justifier, il écrivit son Histoire de Charles VII qu’il compléta par une Histoire de Louis XI et son Apologie qui est l’une des premières autobiographies de l’histoire.

    Datation :

     

    Les événements du texte sont facilement datables de 1422 (année de l’avènement de Charles VII, citée en tête du texte) et des années suivantes, jusqu’en 1435 (année de la répression de la révolte des « Brigands » par les Anglais, dont il est fait mention à la fin de l’extrait).

    Le texte a été écrit entre 1462 et 1490, sans doute plutôt dans les années 1460, quand Basin cherche à se justifier des accusations de trahison de Louis XI, donc une quarantaine d’années après les faits. Il rapporte des faits dont, enfant ou jeune homme, il a pu être témoins, puisqu’il évoque la Normandie qui est sa région d’origine.

    Analyse :

     

    Thomas Basin décrit l’état de désolation dans lequel la guerre, la peste et la conquête anglaise ont mis les campagnes du nord de la France. Se focalisant sur l’exemple de la Normandie, il montre les ravages de l’occupation anglaise et la résistance qu’elle suscite dans la population.

    Critique :

     

    Le texte est néanmoins à critiquer avec soin, car son ton est emphatique et il comporte bien des exagérations. Loin de se faire l’historien fidèle de son époque, Basin cherche à se justifier en accablant les Anglais (avec qui il collaborait pourtant à l’époque qu’évoque le texte) afin de défendre son ralliement (tardif) à Charles VII, qu’il cite comme seul roi en 1422, alors qu’à la même époque, lui-même reconnaissait Henri VI comme souverain. De plus, ce tableau catastrophique des campagnes françaises à l’avènement de Charles est à lire en regard de leur prospérité retrouvée à l’époque où est écrit le texte, manière de souligner la grandeur de son règne, donné en contre-exemple à son fils Louis XI, avec lequel Basin est en délicatesse.

    Contexte :

     

    Deux grands éléments à retenir :

    -         la prégnance de la guerre : dans un pays tout juste remis des grandes expéditions des années 1350-1370, et où des conflits et des violences endémiques se sont maintenus malgré la longue trêve du règne de Charles VI, en particulier du fait de la présence persistantes des troupes de mercenaires et de soldats licenciés, la reprise de la guerre en 1415-1418 et la rivalité ouverte entre Bourguignons et Armagnacs à partir de 1412 ruinent les fragiles efforts de restauration administrative et économique.

    -         Une France coupée en 3 : le traité de Troyes (1418) a livré la couronne de France à Henri VI d’Angleterre, mais il n’est pas accepté par le dauphin Charles, qui se revendique roi de France à la mort de son père. La France est dès lors coupée en deux avec, au Nord de la Loire et en Gascogne, une France anglaise qui reconnaît Henri VI comme roi, et au Sud de la Loire, une France « française » qui reconnaît Charles VII. Alliés des Anglais contre Charles, qui est soutenu par les Armagnacs, les Bourguignons reconnaissent officiellement Henri comme roi, mais le duc Philippe le Bon mène surtout sa propre politique d’expansion vers la Flandre et l’Est et cherche à rester à l’écart des querelles françaises.

    S’il témoigne d’une réelle dégradation de l’occupation des sols et du quadrillage administratif en France du Nord dans les années 1420, Thomas Basin doit donc être utilisé avec prudence, car son parti pris et ses efforts d’auto-justification l’amène à grossir le trait, même s’il cherche malgré tout à témoigner de la complexité du phénomène en lui apportant plusieurs explications.

    Problématique :

     

    Pourquoi les campagnes françaises sont-elles ruinées en 1422 ? Faut-il en accuser seulement la guerre ou cela témoigne-t-il d’un effondrement des efforts menés depuis Philippe le Bel pour construire un Etat central fort ?

     

    I-                   Une situation catastrophique :

     

    Surtout § 3-6

     

    A-     L’abandon des terres et le recul de l’occupation humaine :

     

    Insistance du texte sur cette véritable « désertification » de la Haute Normandie, de l’Île de France et de la Picardie sur laquelle il revient à plusieurs reprises avec l’image forte du retour à la friche et à la forêt (qui indique donc un abandon de longue durée) => véritable déprise humaine de terres défrichées au Moyen Âge central et qui reviennent à la nature.

    La population et les terres cultivées se concentrent autour des sites fortifiés.

     

    B-     Misère et insécurité :

     

    Les populations sont toujours prêtes à se réfugier dans les forteresses pour échapper à toute sorte d’attaques (v. anecdotes des animaux rentrant seuls à l’étable, qui traduit ce caractère habituel des raids ennemis). => une guerre d’usure dont les populations civiles sont les premières victimes.

    Symptôme d’insécurité chronique liée aux pillards et « gens d’armes des deux partis qui faisaient de constantes expéditions » = « écorcheurs » (soldats et mercenaires démobilisés qui continuent à vivre sur le terrain dans l’attente d’une reprise des hostilités) et « chevauchées » (expéditions destinées à affaiblir l’ennemi, non en s’emparant de places fortes, mais en dévastant les campagnes pour détruire le ravitaillement).

    « bien que souvent accablée de grandes misères » : De telles pratiques entraînent l’apparition d’une misère persistante, qui se traduit en particulier par la famine du fait de la destruction des récoltes, et une surmortalité liée à la malnutrition et à la violence endémique.

     

    C-    Une administration et des défenses défaillantes :

     

    « « soit de la nonchalance et de la paresse de ceux qui administraient ou commandaient sous ses ordres » : Cette violence est renforcée par la disparition de l’administration qui laisse les populations démunies face à ces dangers.

    ð     Basin fait mine de croire que c’est toujours l’administration royale française qui est présente au nord de la Loire, mais après la saignée d’Azincourt et le traité de Troyes, celle-ci est décimée et désorganisée. Administrateurs = Anglais ou français ralliés en Normandie et à l’ouest de l’Île de France, français ralliés aux bourguignons en Picardie. Mais la double monarchie a des effets dévastateurs sur la continuité administrative : beaucoup de seigneurs de châteaux se vendent au plus offrant et utilise la situation pour accroître leur propre pouvoir, sans souci de l’ordre public ou des populations qu’ils administrent.

    ð     La guerre devient aussi, pour les commandants et les soldats, un moyen d’enrichissement (li. 55-56). Ceux qui sont censés protégés les populations les oppriment.

    Le texte témoigne donc d’une grave crise traversée par la France du nord dans les années 1420, crise économique, morale, politique qui conduit à l’effondrement des cadres de vie et à l’abandon massif des terres cultivées. Quelles sont les causes de cette crise ?

     

    II-                Les causes de la crise :

     

    Surtout § 1 et 6

    Basin accorde deux origines à la misère qui accable les terres aux nord de la Loire : « les guerres continuelles, intérieures ou extérieures » et la « nonchalance et la paresse » des administrateurs. Néanmoins, l’ampleur de la crise qu’il décrit demande à recourir aussi à d’autres explications à plus long terme auxquelles il fait référence en filigrane.

     

    A-     La surmortalité : misère, épidémies et guerres :

     

    « les paysans ayant été tués ou mis en fuite » : principal problème = le manque d’homme qui est la première explication de l’abandon des terres : si elles ne sont plus cultivées, c’est qu’il n’y a plus personne pour les cultiver.

    « tués » = trois causes principales : la guerre (celle sur laquelle met l’accent Basin), mais ce « vide » humain du début du XVème siècle est aussi la conséquence de phénomène plus anciens et de tendances plus lourdes = les grandes épidémies, et surtout la saignée de la Peste Noire des années 1370-1380, dont les campagnes sont encore loin de s’être remises en 1422, et la crise économique durable des années 1350-1450, qui provoque la mort par la famine et la « fuite » par le départ de plus en plus de ruraux vers les villes où ils est plus facile de survivre des distributions gratuites, des aumônes…

    Guerre et misère provoquent aussi la fuite d’une partie des populations du nord de la Loire vers le sud du pays, plus épargné par les malheurs du temps (phénomène dont témoigne l’anthroponymie qui se achève de se fixer à la même époque : fréquence des noms « Parisien », « Paris », « Parisse », « Lenormand », « Lepicard » … en Poitou, Berry, Bourgogne).

     

    B-     Guerre civile et guerre extérieure : la défaillance de la noblesse :

     

    Lien étroit établi par Basin entre guerre civile et étrangère et entre ces guerres et la défaillance des administrateurs = nobles.

    ð     rappel implicite de la « trahison » des Bourguignons, alliés aux Anglais jusqu’en 1435, qui utilisent la guerre étrangère pour régler leurs querelles avec les Armagnacs.

    ð     Déplore perte du sens de l’intérêt commun par la noblesse qui utilise la guerre pour défendre ses prérogatives vis-à-vis du roi affaibli par la défaite (discours typique des clercs juristes fascinés par la redécouvertes du droit romain fondé sur l’idée d’Etat et de bien public et qui rendent la noblesse coupable de la situation) => <>° de l’idée d’Etat et du système féodal, accusé de ruiner l’Etat par le primat des intérêts privés.

    Cette situation est encore aggravée par la défaite extérieure et l’occupation étrangère.

     

    C-    L’occupation « étrangère » :

     

    NB : si la Normandie est bien occupée par les Anglais, de même que l’Ouest de la l’Île de France, les autres terres citées sont en réalité sous contrôle bourguignon. Mais de façon significative, Basin se concentre sur la Normandie, qui est certes ce qu’il connaît le mieux, mais ce qui lui permet aussi de mettre l’accent sur les conséquence de l’occupation anglaise ‘(« la conquête doit payer la conquête »)

     

    III-             Les réactions : la révolte des « brigands », symptôme de misère ou phénomène de résistance ?

     

    § 7-11

     

    A-     Une réaction spontanée à la misère :

     

    Á l’origine, un mouvement de fuite et d’abandon des terres qui a trois motifs :

    - la démotivation de populations qui ne voient plus l’intérêt de cultiver les terres pour que les révoltes soient pillées ou détruites régulièrement par les hommes d’armes.

    - la fuite face à la pression fiscale (anachorèse = abandon des terres, qui servent d’assiette au prélèvement de la majorité des impôts, en particulier dans le système anglais de la poll tax).

    - l’abandon de villages qui sont théoriquement protégés par les châteaux et forteresses, mais où cette protection est devenue inefficace en raison de l’indifférence des nobles qui en ont la garde ou de leur transformation en pillards.

     

    B-     Un symptôme d’un Etat défaillant :

     

    Zone où la construction de l’Etat central français a été ruinée par la guerre et les difficultés des temps et où l’administration anglaise, qui se met en place, est encore presque inexistante et ne s’exprime que sous la forme honnie de l’impôt.

    Deux conséquences :

    -         Pillages des campagnes par les armées qui vivent sur le terrain faute de solde régulière et multiplient les exactions pour affaiblir l’ennemi (li. 51 et ss.)

    -         disparition de tout monopole public de la violence : multiplication des pillards qui utilisent la violence pour survivre et/ou s’enrichir : soldats, mercenaires licenciés, et paysans en fuite qui, ne cultivant plus les terres doivent trouver d’autres moyens de vivre => basculent dans l’illégalité = les « brigands » (de « brigantine », veste de cuir renforcée de métal que portait les troupes d’infanterie).

     

     

    C-    Un mouvement de résistance populaire ?

     

    C’est ce que pourrait laisser penser la répression anglaise et la dernière phrase du texte. + fait qu’ils s’attaquent de préférence aux Anglais.

    Sur la base de ce témoignage, // a été fait entre ses bandes de brigands réfugiés dans les forêts et les maquisards de la Seconde Guerre Mondiale (v. la série Thierry la Fronde).

    Néanmoins, le mouvement n’a pas eu un caractère aussi massif que le prétend le texte (et le chiffre de 10000 exécutions est sans doute exagéré) et ses motivations nationales ne sont pas aussi nettes, la misère et la nécessité de la survie étant ses principales motivations (li. 65 t ss.). De plus, on peut observer qu’il n’y eut jamais coalescence entre ses mouvements populaires et la résistance véritable mener par certains nobles du nord de la Loire restés fidèles à Charles VII et qui méprisèrent toujours les brigands.

     

    Conclusion :

     

    Une crise économique, politique, morale qui est sans doute la plus grave qu’ait traversée la France dans son histoire, car la seule qui a mis en danger son existence en tant qu’entité politique indépendante et unifiée. Néanmoins, les années 1420 accumulent aussi les facteurs de récessions : reprise de la guerre, conflits civils, maximum du cycle B de Kondratieff, déprises démographiques et abandons de terre après la Peste Noire. Par le portrait qu’il dresse de la France du Nord en général, et de la Normandie en particulier, Thomas Basin fait véritablement de la première année du règne de Charles VII une « année zéro », point d’étiage à partir duquel la situation ne pouvait que s’améliorer, et durant laquelle la crise porte déjà en germe, à travers la révolte des brigands, l’espoir d’un sursaut national que ne va plus tarder à porter Jeanne d’Arc. Ce schématisme, même s’il doit être nuancé, se révèle instructif sur un point : sans ces difficultés économiques aggravées par la rudesse de l’occupation, les populations du nord de la France n’aurait sans doute pas aussi facilement accepté le retour de Charles VII.

     






    Soulèvements, révoltes et contestations populaires en France et en Angleterre aux XIVème et XVème siècles.

    15/04/2007 00:10

    Soulèvements, révoltes et contestations populaires en France et en Angleterre aux XIVème et XVème siècles.


    Illustration : massacre des Jacques par la chevalerie d'Île de France à Meaux (juillet 1358), enluminure des Chroniques de Froissart (v. 1400).

    Introduction :

     

    Du final de Notre-Dame de Paris, dans lequel Hugo met en scène la révolte des Parisiens contre l’exécution d’Esméralda à la conclusion du Nom de la Rose, où Umberto Ecco décrit la déroute de l’inquisition face à la rébellion des villageois, en passant par le Brave Heart de Mel Gibson, le soulèvement populaire est un passage presque obligé du roman et du film historique médiéval, qui est instrumentalisé comme le moment de l’entrée du peuple dans l’histoire (v. mise en scène de Anaud avec le peuple qui se (sou)lève au sens propre, qui relève la tête). Ce mythe littéraire et cinématographique s’appuie-t-il sur une réalité historique ?

     

    Définitions :

     

    3 termes (soulèvements, révoltes, contestations) qui sont plus ou moins synonymes et varient surtout dans leur ampleur et leurs conséquences à long terme. Les deux premiers ont un sens plus restreint, qui implique l’usage de la violence contre une autorité qui se présente comme légitime, tandis que le troisième englobe un champ plus large de mise en cause du pouvoir, qui peut également recourir à des moyens pacifiques.

     

    De tels mouvements, circonscrits à des événements locaux et sans lendemain et au domaine de la contestation religieuse (catharisme, valdéisme) dans les premiers siècles du Moyen Âge, prennent une ampleur et une importance sans commune mesure avec ce qui précède à partir du XIVème siècle. Le phénomène marque toute l’Europe, avec une plus grande précocité des révoltes urbaines en Italie : souvent très violentes dans leur déroulement comme dans leur répression, elles s’inscrivent dans le contexte complexe de temps troublés par la guerre, la famine, la crise économique et les épidémies. Il faut néanmoins introduire une distinction entre l’Italie, l’Espagne et le monde germanique d’une part, qui ne sont affectés que par des révoltes urbaines, et les royaumes de France et d’Angleterre qui se heurtent à des soulèvements de plus grande ampleur affectant aussi bien les villes que les campagnes et pouvant s’étendre à des régions entières (Flandre, Ecosse), dans le cadre de guerres étrangères (guerre de Cent ans) et civiles (guerre des Armagnacs et des Bourguignons, guerre des Deux Roses).

     

    Ces révoltes et soulèvements populaires anglais et français ont en outre un statut particulier dans la mesure où l’historiographie classique s’en est emparé pour en faire les prémices des révolutions des XVIIème et XVIIIème siècle. Plus récemment, les historiens, abandonnant cette attitude a posteriori,  ont insisté sur la précocité de la construction de l’Etat-nation en France et en Angleterre, insistant sur le rôle que deux des attributs de ces Etats, la fiscalité et le monopole de la violence, ont joué dans le déclenchements de ces contestations au sein d’un peuple attaché à ses « coutumes et libertés ». Loin d’être annonciatrices des révolutions libérales, ces révoltes furent donc plutôt des combats d’arrière-garde contre la mise en place de l’Etat moderne, lors desquels le peuple fut souvent instrumentalisé par les bourgeois et la noblesse contre le roi et ses conseillers. Malgré leur instrumentalisation, elles témoignent malgré tout d’une place nouvelle du peuple, en particulier des villes.

     

    Problématique : lien entre construction de l’Etat moderne et multiplication des contestations violentes et des remises en cause de ses acquis.

     

    I-                   Révoltes fiscales et contestations de l’impôt :

     

    Á partir de Philippe le Bel (+ en 1314) et d’Edouard II (+ en 1321), l’Etat se construit sur la mise en place d’un système fiscal royal permanent, affermé à des officiers de la couronne qui abusent souvent de ce système pour s’enrichir. Ces abus, associés à l’idée tenace que le « roi doit vivre du sien », c’est-à-dire des seuls revenus du domaine (qui ne représentent plus que 2% du budget de l’Etat vers 1450) et que l’impôt doit être « consenti » par le peuple fut la première cause des révoltes aux XIVème et XVème siècles, dans un contexte où la guerre entraîne une hausse sans précédent de la pression fiscale (jusqu’à 68% des revenus en 1378-1379).

     

    1-      Le principe du « consentement » (« quod omnes tangit ») et la contestation de l’impôt royal :

     

    Jusqu’en 1451 en France, le roi ne peut décider seul de nouveaux impôts. Il doit obtenir l’accord des Etats (généraux ou de Languedoc et de Languedoïl). Le roi d’Angleterre ne put jamais s’affranchir de la tutelle fiscale du parlement (mais pouvait être contourné par la mise au pas du Parlement, comme sous les Lancastre, début XVème siècle).

     

    Or les XIVème et XVème siècle voient une hausse des besoins des Etats royaux, en raison de la multiplication des officiers qui permettent une meilleure administration, du développement du faste de la cours, et surtout de la guerre. L’impôt royal, d’abord exceptionnel, local et lié à une situation précise (financement d’une campagne, de grands travaux) devient progressivement permanent, sans justification et applicable dans tout le royaume, où il se superpose aux redevances seigneuriales. Aux impôts directs (taille, fouage) viennent s’ajouter des droits indirects (gabelle, aides).

     

    Dans le même temps, les malheurs de la guerre se combinent aux épidémies et à une période de récession économique (cycle B de Kondratief de 1350 à 1500) pour créer une grande misère dans le peuple, à qui cette nouvelle pression financière paraît insupportable, d’autant qu’elle vient doubler les redevances seigneuriales.

     

    NB : c’est bien l’impôt royal et les nouvelles obligations liées à la construction de l’Etat que les paysans refusent, car dans le même temps, dans les années 1380-1390, les hausses des prélèvements seigneuriaux ne provoquent pas de révoltes et de très rares contestations.

     

    La pratique des mutations monétaires, qui consistent à jouer sur la quantité de métal précieux dans la monnaie  pour faire baisser ou augmenter les prix selon les besoins du trésor royal, aggrave encore cette situation. La première grande émeute en France (Paris, 1306, v. texte) est d’ailleurs liée à une telle mutation qui avait provoqué le triplement des loyers dans la capitale.

     

    Cette insurrection ouvre un cycle de près d’un siècle de soulèvements populaires qui deviennent progressivement le vecteur de contestation de l’ordre politique.

     

     

    2-      La « grande jacquerie » (1358) , et la révolte des paysans anglais ou « Tyler’s revolt » (1381-1382).

     

     

    Deux situations proches d’absence du pouvoir royal (Jean II prisonnier en Angleterre, Richard III âgé de 14 ans) avec reproches adressés non au roi mais aux hommes qui  l’entourent et gouvernent à sa place (régence). Dans les deux cas, la combinaison :

     

    -         d’un mouvement rural de protestation contre la hausse excessive des impôts (crue de taille en France, troisième poll tax en Angleterre) liée aux activités militaires de la guerre de cent ans, concentrés dans les régions bordières de la capitale (Vexin, Île de France et Picardie en France, Essex et Kent en Angleterre) ;

     

    -         d’un mouvement urbain dans la capitale du royaume (Etienne Marcel à Paris, John Ball à Londres) ;

     

    -         d’une effervescence sociale et politico-religieuse (« réformation du royaume » en France, Lollards adamites et partisans de Wycliff en Angleterre).

     

    Dans les deux cas, la révolte s’achève par le massacre des paysans, la reprise en main violente de la capitale et la réaffirmation du pouvoir royal (prise de pouvoir personnelle de Richard III, régence de Charles V).

     

    Dans les deux cas également, la contestation purement fiscale débouche sur des revendications sociales et politiques, ce qui va se généraliser par la suite.

     

     

    3-      L’insurrection anti-fiscale de 1378-1382, Maillotins et Cabochiens, … ou quand les révoltes fiscales deviennent politiques.

     

    Dans les années 1380, les révoltes fiscales prennent un tour plus nettement politique, d’abord en Angleterre avec la coalescence des revendications paysannes et des théories sociales et politiques de John Wycliff, qui revendiquait l’élection par le peuple de ses gouvernants, la saisie des biens du clergé et le partage égalitaire des biens.

     

                Après l’échec de l’insurrection d’Étienne Marcel, la grande révolte anti-fiscale de 1378-1382 débouche malgré tout sur un rapprochement d’intérêt entre le peuple des villes et les bourgeois pour défendre les coutumes et libertés et les opposer aux exigences croissantes du pouvoir royal (=> se traduit par suppression des communes au moment de la répression entre 1383 et 1389). Moins ambitieuse qu’Etienne Marcel, la bourgeoisie n’en profite pas moins pour poser des exigences de participation aux affaires du royaume qui trouveront une réalisation à partir des années 1390.

     

                Cette plus grande modestie des revendications entraînent néanmoins la perte de la spécificité des révoltes urbaines au XVème siècle. Sous couvert de réforme politique, la révolte cabochienne de 1413 est en fait instrumentalisée par les Bourguignons qui lâchent les insurgés dès qu’ils ont obtenu ce qu’ils voulaient. La même tragique mésaventure marque la révolte parisienne de 1418.

     

                En Angleterre, la chute de Richard III et la lutte entre les Lancastre et les Bedford, puis la guerre des Deux Roses s’accompagnent de la même instrumentalisation des révoltes urbaines.

     

    Malgré leur retentissement immédiat et leurs conséquences à cours terme (suppression des fouages et tailles en 1380), les grandes émeutes fiscales des années 1370-1380 échouèrent. A partir des années 1390, l’impôt devient une composante normale du gouvernement royal. Les derniers mouvements anti-fiscaux se font moins violents (le Puy, 1477 ; Mutemaque de Reims en 1461 => destruction des registres ; Albret, 1477 : les paysans fuient dans les bois pour échapper à l’impôt) ou changent de nature : en 1481, le « populaire » d’Agen se révolte, mais contre les bourgeois et les consuls de la ville accusés de répartir l’impôt à leur avantage et d’accabler les plus pauvres.

     

    ð                            problème = manque persistant de légitimité des Valois qui les obligent à s’appuyer sur les factions nobles, les princes et les Etats généraux pour gouverner // parallèle en Angleterre avec la fin des Plantagenêt et la multiplication des crises de succession, qui donne un rôle croissant au parlement.

     

     

     

     

     

     

    II-                Monopole d’Etat de la violence et contestations de ce monopole :

     

     

    Or cette légitimité était le seul moyen, pour le roi, d’imposer la mise en place de l’autorité d’un Etat qui, dans le contexte de la guerre extérieure, devait imposer son monopole de la violence afin d'éviter rivalités et affrontements internes.

     

     

    1-      La mise au pas de la population et le contrôle de la violence :

     

    Á travers son action fiscale et judiciaire, l’Etat en construction pose une différence fondamentale entre violence légitime, qu’il est le seul à pouvoir exercer pour se faire payer son dû et punir les coupables, et criminalité, terme qui désigne désormais tout acte violent exercé en dehors du monopole de l’Etat.

     

    Des faits jugés jusque là normaux (bagarres) ou justifiant la mansuétude des juges (meurtres dans le cadre d’une vengeance familiale ou villageoise, viol) sont désormais des crimes passibles de la mort ou de lourdes peines (bannissement, prison). Les XIVème et XVème siècles inventent également la prison comme moyen généralisé de coercition.

     

    Ex : minutes du tribunal prévôtal du Châtelet : à partir des années 1430, multiplications des procédures visant à condamner les auteurs de rixes et bagarres, qui étaient jusque là un exutoire naturel à la densité des villes médiévales. S’accompagne d’une croissance exponentielle des condamnations à des châtiments violents (peine de mort, bastonnade, mutilations).

     

    Or, les premières victimes des émeutes et révoltes populaires sont les prévôts, officiers collecteurs et surtout sergents qui, plus proches des administrés, incarnaient l’autorité dans ce qu’elle avait de plus violente et arbitraire, emprisonnant les réfractaires à l’impôt, saisissant leurs biens et appliquant les peines de justice. Les officiers des parlements, surtout de moindre rang, et les officiers de justice étaient également la cible des attaques du peuple, qui leur reprochait le caractère de plus en plus coercitif de la justice (libération de prisonniers, émeutes contre le châtiment des meneurs de la Harelle à Rouen ou de la grande Jacquerie à Paris, ou plus simplement refus des peines infligées dont témoigne là encore les registres de Châtelet). Il était fréquent qu’ils soient accusés également de s’enrichir aux dépends des administrés (système de la ferme : les officiers avancent l’argent au roi, puis se remboursent par les prélèvements).

     

     

    2-      Une extrême violence dans les révoltes :

     

    Chaque révolte ou soulèvement est l’occasion de meurtres et de violences à l’encontre des représentants du pouvoir royal. Tant qu’ils se limitent à des émeutes ponctuelles d’un ou quelques jours, elles vont rarement plus loin.

     

    Par contre, dès lors que ces mouvements s’installent dans le temps, ils prennent un caractère de violence extrême exercée à l’encontre de ceux qui sont perçus comme des opposants ou des ennemis. La grande Jacquerie ou la révolte des paysans anglais s’accompagnent d’assassinats souvent brutaux de nobles, de véritables mises à sac des châteaux qui sont incendiés. Les viols de dames et demoiselles sont également nombreux, et sont utilisés comme un moyen symbolique pour déshonorer les nobles auxquels s’en prennent les révoltés.

     

    Maillotins et cabochiens font régner la terreur à Paris, exécutant sans procès leurs opposants. Leurs surnoms sont d’ailleurs évocateurs : les maillotins étaient armés de maillets de plomb avec lesquels ils fracassaient le crâne de leurs ennemis. Les cabochiens étaient encadrés par la confrérie des bouchers écorcheurs qui n’hésitaient pas à égorger les bourgeois ou Armagnac comme du bétail. Cette violence et les nombreux pillages qui l’accompagne expliquent d’ailleurs la façon dont la population et la bourgeoisie de Paris se désolidarisent très vite de ces mouvements.

     

    A l’extrême violence des émeutiers répond donc une grande cruauté de la répression.

     

     

    3-      L’extrême violence de la répression :

     

    Avec Charles V, les marmousets ou le dauphin Louis, fils de Charles VI et régent jusqu’en 1407, comme avec les Lancastre, apparaît une nouvelle vision de l’exercice du pouvoir : au compromis typique de la période féodale succède l’exercice supérieur de l’autorité royale. Les sujets, des plus humbles aux plus nobles, doivent obéir au roi car il est le roi. Tout refus d’obtempérer, et en particulier tout refus d’acquitter l’impôt, doit être châtié de façon exemplaire, mais également tout abus nuisant au pouvoir royal.

     

    Ex. en 1383, la révolte fiscale du Languedoc est écrasée dans le sang, mais le fermier général de Languedoc, convaincu de détournement de fonds, est également brûlé vif.

     

    Cette répression va croissante au XVème siècle, avec la raréfaction des émeutes anti-fiscales.

     

    Ex. : en 1461, après la Mutemaque de Reims, pour de simples destructions de registres fiscaux, Louis XI fit prononcer 9 condamnations à mort et plusieurs dizaines de banissements perpétuels et de mutilations de la main droite ou des oreilles. En 1477, 800 personnes sont jugées après les émeutes du Puy, alors qu’il n’y a eu aucun mort.

     

    Au XVème siècle, la mutilation des oreilles ou du nez devient la punition normale de ceux qui refusent d’acquitter l’impôt, ce qui a clairement pour but d’impressionner et de faire peur.

     

     

    C’est donc en partie par la violence et surtout l’exercice d’une violence légitime et fondée en droit que l’Etat moderne s’affirme et brise ceux qui résistent à sa mise en place. Mais cela ne pouvait suffire à asseoir sa légitimité : à côté de ces moyens concrets, les rois français et anglais se sont aussi appuyés sur la construction d’une identité commune, dont la mise en place a été favorisé par la guerre de Cents Ans. Le problème se posait alors de l’acceptation de cette identité par tous les sujets de la couronne. 

     

     

    III-             La « fabrique des nations » :

     

    D’une part, malgré leur violence, les révoltes populaires marquent l’adhésion du peuple des villes et des campagnes à l’Etat royal sur lequel ils essaient désormais de faire pression. Le contact entre le roi et le peuple, longtemps oblitéré par les seigneurs, redevient possible, en particulier dans les villes. Mais ces peuples pouvaient aussi, comme en Flandre ou en Ecosse, refuser ce pouvoir royal et aspirer à fonder leur propre Etat.

     

     

    1-      Contestation des actions concrètes de l’Etat mais reconnaissance de son autorité.

     

    Á part les Turlupins, le millénarisme révolutionnaire, fréquent dans l’empire, en Italie et en Europe centrale (Hussisme au début du XVème siècle) n’eut pas d’influence en France, ce qui témoigne d’une réelle autonomisation du politique à l’égard du religieux. Les soulèvements et contestations qui y ont lieu sont clairement dressés contre l’Etat et la noblesse accusée de confisquer le pouvoir et d’être incompétente.

     

    Cette référence étatique et nationale est confirmée par les pogroms qui les accompagnent en 1380 et 1382, les Juifs étant désormais jugés comme des étrangers venus appauvrir les Français plus que comme des déicides.

     

    Cette composante « pré-nationale » de la contestation apparaît encore plus clairement dans le parcours des femmes qui, comme Jeanne d’Arc, Piéronne la Bretonne (jeune mystique parisienne qui s’en prit aux Anglais et fut brûlée vive en 1430) ou Jeanne Hâchette (bourgeoise de Beauvais qui prit la tête des femmes de la ville pour aider à la défense des murailles de la ville) rejetèrent la condition dans laquelle les enfermait la société de l’époque pour prendre les armes au nom du roi et de la France.

     

    Le chemin restait néanmoins long à parcourir jusqu’à une véritable « identité nationale » : les soulèvements normands contre la conquête anglaise en 1434-1436 relevaient encore d’avantage de la protestation anti-fiscale, la « conquête devant payer la conquête » pour les Anglais, que de la résistance patriotique. L’aide française aux révoltés (Caen, 1436) fut tardive et peu importante, et il n’y eut jamais de jonction entre les émeutiers paysans et les nobles pro-français qui poursuivaient la lutte contre l’occupant, les seconds méprisant les premiers.

     

    L’apparition de cette idée pré-nationale est plus nette dans les contestations pacifiques qui se manifestent aux Etats de 1357-1358, de 1413 et de 1428 : les défaites de Crécy (1346), Poitiers (1356) et Azincourt (1415) qui ont vu l’effondrement de la chevalerie anglaise sont attribuée à la lâcheté et à l’incompétence de la noblesse. On voit donc se développer dans le Tiers Etat, mais aussi chez certains clercs issus de l’université, un parti dit des « populaires » qui porte l’idée de « réformation du royaume ». Cette réforme doit rétablir un lien direct entre le roi et son peuple, en particulier par l’entrée de représentants des 3 ordres au conseil royal. Repris par Etienne Marcel et les Cabochiens, ce projet ne trouve jamais de réalisation dans une société ou les nobles restent le principal soutien du pouvoir royal, mais témoigne de la conscience du peuple de former une unité autour de son roi.

     

    Le millénarisme révolutionnaire connut au contraire l’une de ses grandes heures de gloire en Angleterre, avec la jonction des paysans révoltés et des partisans de la réforme religieuse de John Wycliff dans les années 1370-1380. Mais au contraire d’autres mouvements proprement religieux et sociaux (v. Patarins en Italie, Giordano Bruno, adamites dans l’empire), la doctrine de Wycliff, fondée sur le rejet de Rome et l’établissement d’une liturgie anglaise comportait des éléments clairement pré-nationaux qui inspirèrent Jan Huss, et en font donc un ancêtre direct des réformes luthériennes et anglicanes.

     

    Au final, aucune pression ou contestation populaire n’est efficace à long terme, faute d’un projet politique cohérent et organisé qui remettent vraiment en cause le système en place. Les cibles sont les officiers et sergents, accusés de mal exécutés les ordres du roi, plus rarement la noblesse, taxée d’incompétence, jamais le roi lui-même. Contrairement à une légende tenace, et hormis dans le cas particulier de la révolte de Wycliff, ces mouvements et contestations populaires n’ont rien de démocratiques. Ils montrent au contraire les progrès du pouvoir royal et l’attachement du peuple à la personne du roi, dernier recours face aux difficultés du temps, et donc les premiers balbutiements d’une appartenance commune au sein de ce qui commence à devenir une nation. Mais cette nation et son Etat pouvait aussi s’opposer à la volonté d’un groupe concurrent de s’ériger lui-même en entité indépendante. C’est ce qu’illustrent les exemples de la Flandre et de l’Ecosse.

     

     

    2-      Etat en construction contre Etat en devenir (1) : la révolte de Flandre.

     

    Observer que dans le cas flamand, l’identité linguistique ne précède pas l’identité politique mais au contraire s’agrège à elle dans le cadre des luttes entre noblesse favorable au roi (Léliarts), qui adopte le Français alors qu’elle avait été flamingante jusqu’au XIIIème siècle, et municipalités et paysans partisans de l’indépendance (Klauwaerts), qui adopte le Flamand alors que beaucoup de bourgeois avaient été, pour des raisons commerciales, longtemps francophones.

     

    Cette opposition transparaît militairement dans les batailles comme Courtrai (1302) ou Cassel (1328), qui voient l’affrontement de la chevalerie française et des milices urbaines et paysannes flamandes.

     

    D’ailleurs, à l’origine, la révolte de Flandre n’a rien de « nationale » mais est une révolte fiscale : les « mâtines de Bruges » (1302) répondent à la hausse des impôts par Philippe le Bel. Jusqu’à la révolte de Gand (1358), ce caractère anti-fiscal reste présent et même dominant, Mais la lutte de succession entre Louis de Nevers, soutenu par le roi de France, et Robert de Cassel (1320-1322) puis l’accession au comté de Louis de Mâle (mort en 1384) et enfin de son gendre Philippe le Hardi, vainqueur des Gantois à Roosebeke en 1382, donne à la révolte un tour de plus en plus politique. Le but des cités flamandes devient de plus en plus clairement, à la fin du XIVème et au XVème siècle, de s’affranchir de la tutelle du roi de France, ce que permet paradoxalement l’annexion aux Etats de Bourgogne : après avoir soutenu la politique du roi pour obtenir son héritage flamand, Philippe le Hardi puis ses descendants se montrèrent de plus en plus indépendants, ce qui favorisa le détachement de la Flandre du royaume de France.

     

     

    3-      Etat en construction contre Etat en devenir (2) : la guerre d’Ecosse.

     

    L’intervention d’Edouard II dans la succession au trône d’Écosse lui avait permis d’exiger l’hommage vassalique du nouveau roi. Cette situation allait déboucher sur une révolte qui est l’une des rares, au Moyen Âge, à voir la coalescence d’un mouvement aristocratique suscité par Robert Bruce, prétendant déçu au trône d’Écosse, et d’un soulèvement populaire encadré par de petits chevaliers dont l’exemple le plus fameux est William Wallace, dit Braveheart, qui forma et entraîna les paysans écossais au combat, au point de leur permettre de remporter une victoire sans précédent sur la chevalerie anglaise en 1322. Sa stratégie, consistant à privilégier l’archerie et à dresser des piques en avant de ses troupes pour briser la charge anglaise devait d’ailleurs être reprise avec succès par les mêmes Anglais contre les Français lors des batailles de Crécy, Poitiers et Azincourt.

     

    De tous les soulèvements de la fin du Moyen Âge, la guerre d’Ecosse apparaît comme celui qui correspond le mieux à un conflit proprement national, les Écossais luttant d’abord pour leur indépendance, même si ici comme ailleurs, la composant anti-fiscale fut présente : l’une des premières mesures d’Edouard II une fois sa suzeraineté établie sur l’Écosse avait en effet été d’y établir l’impôt royal.

     

     

    Conclusion :

     

    Mise en cause d’un système féodal qui paraît de plus en plus inutile au fut et à mesure que les nobles font la preuve, en particulier sur les champs de bataille, de leur incompétence, mouvement de revendication des bourgeoisies urbaines qui revendiquent une participation au pouvoir royal, refus des nouvelles obligations liées à l’établissement d’un Eta royal centralisé, attaques contre une Eglise jugées trop riche et corrompue, les révoltes et contestations populaires des XIVème et XVème siècle mêlent de façon inextricable des aspects qui annoncent les temps modernes à des réactions de crainte face à la modernité qui se met en place. Loin d’être les premières prémices des révolutions de la fin de l’Ancien Régime, elles sont plutôt le symptôme d’un Etat féodal en crise que l’Etat moderne peine encore à remplacer. Incapables d’établir un programme de réforme cohérent sur la durée, elles ne permirent que l’accession partielle de la frange supérieure des patriciens urbains aux responsabilités, par leur agrégation à une noblesse qui, en tant que principal soutien du roi, garde sa place prépondérante. Elles ne parviennent pas non plus à renverser le système féodal, la grande mutation de la seigneurie classique en seigneurie purement foncière, ce que l’on a appelé la néo-féodalité, étant plutôt la conséquence du renforcement du pouvoir royal. Il faut néanmoins noter que les rois, en France comme en Angleterre, ont su à propos s’appuyer sur ces mouvements pour briser certains des privilèges de l’aristocratie féodale et mieux la soumettre à leur autorité. Cette mise au pas de la noblesse dans un gouvernement royal devenu un Etat de finances plus que de justice est le principal syndrome de l’entrée dans les Temps Modernes.

     

     

    Annexes : Principales révoltes et contestations fiscales en France aux XIVème et XVème siècles

     

    1306 : révoltes des Parisiens contre les mutations monétaires.

     

    1347, 1355, 1356-57 : rejet de la crue de taille par les Etats généraux.

     

    Mars 1357 : révolte anti-fiscale à Toulouse et en Languedoc.

     

    Mars - juillet1358 : révolte de Paris (Etienne Marcel)

     

    Eté 1358 : « grande jacquerie »

     

    Octobre 1358 : révolte parisienne contre la répression des partisans d’Etienne Marcel.

     

    1363-1384 : révolte des Tuchins d’Auvergne (paysans sans terres, salariés sans emplois et nobles déclassés) qui refusent l’impôt et survivent en pillant et brigandant.

     

    1372 : les Turlupins sont brûlés vifs à Rouen et Paris (Jeanne Daubenton) : Turlupins = mouvement hérétique adamiste prônant le retour à l’Eden (nudité, refus du travail et de la sexualité) qui se double, du XIIIème au XVème siècle, d’une vive contestation sociale (pillages, massacres de nobles et de patriciens urbains).Les Turlupins ont soutenu les révoltes urbaines de Flandre.

     

    1375-1379 : le duc d’Anjou, lieutenant du roi en Languedoc, mène une politique fiscale oppressive.

     

    Pâques 1378 : révoltes anti-fiscales au Puy, Nîmes, Alès.

     

    Octobre 1379 : émeutes anti-fiscales à Montpellier.

     

    Octobre – novembre 1380 : agitation anti-fiscale dans la vallée de l’Oise, à Rouen et à Chartres. Agression d’agents fiscaux à Paris.

     

    Décembre 1380 – février 1381 : les Etats généraux refusent le rétablissement du fouage, puis l’accepte sous la pression du gouvernement royal.

     

    Février 1381 : émeutes anti-fiscales à Saint-Quentin et en Languedoc.

     

    24 février 1382 : Harelle de Rouen.

     

    1er mars 1382 : révolte des Maillotins de Paris suivie de révolte à Laon, Reims, Orléans et en Languedoc. Prise de Bruges par les Gantois.

     

    Printemps-été 1382 : révolte générale dans le Nord de la France au cri de « vive Gand ! vive Paris ! » menée par « merdaille  comme de dignans (= dinandier), drapiers (= salariés des deux confréries les plus hiérarchisées) et gens de povre estoffe, enforcés de caïmans et gens d’estrange besoigne » (= casseurs et pilleurs)

     

    Novembre 1382 : défaite des Gantois à Roosebeke.

     

    Eté - 11 janvier 1383 : reprise en main par le duc Jean sans Peur de Bourgogne : exécution des meneurs de la Harelle et des Maillotins, occupation de Paris et Rouen par l’armée royale. Les institutions municipales sont supprimées dans de nombreuses cités jusqu’en 1389. A Paris, la prévôté des marchands est supprimée. Le roi n’accorde son pardon que contre d’énormes amendes (800 000 francs en Auvergne).

     

    Janvier 1413 :


    Commentaire de Vincent Thouvenot de La Membrolle sur Choisille (04/06/2009 20:30) :

    Je trouve partial & m&disant le commentaire établi dans ce site au sujet de la Comagnie de la Fraternité des Pauvres ; plus connu sous le sobriquet irrespectieux des Turlupins . Le massacre de la Fraternité des Pauvres a été commanditée par la royauté et la papauté sous l'Inquisition qui utilisait la torture , le meurtre ! Turlupin de = flûte & de pine sifflet des bergère & bergers . Ces instruments servaient pour le rassemblement des pauvres . J'ai appris beaucoup sur ce mouvement qui n'avait pas tout faux loin de là contrairement à ce que prétendent les documents concernant cette tragédie historiques . La Compagnie de la Fraternité des Pauvres ou la Société des Pauvres était un danger pour les pouvoirs sexistes militaires , royaux & papaux !

    vincent.thouvenot37@orange.fr




    Azincourt : la fin de la chevalerie

    14/04/2007 23:41

    Azincourt : la fin de la chevalerie


    Intro :

     

    Le MA est marqué, sur le plan militaire, par la domination de la cavalerie lourde qui, du VIIIème au XIVème siècle, est la maîtresse des champs de bataille.

     

    Source et nature :

     

    Extrait d’une Histoire consacrée à Artus III de Bretagne, l’un des concurrents au duché soutenu par les Français durant la guerre des deux Jeanne, qui occupa de hautes fonctions militaires dans l’entourage des rois de France (connétable, équivalent du chef d’Etat major actuel). Ces histoires consacrées à un individu particulier se multiplient à partir du XVème siècle. Cette individualisation de l’histoire, associée à leur mode de composition (témoignage d’un proche après la mort du personnage, indépendamment de toute commande ou patronage) tranche avec la tradition historiographique des siècles précédents. Plus qu’histoire, le terme de « biographie » serait plus adéquat. Ce genre nouveau montre les progrès de l’individualisme à la fin du Moyen Âge. + deux illustrations d’une chronique datant du règne de Charles VII. Elles aussi, même si elles continuent à donner une vision très codifiée de l’événement, témoigne d’un plus grand soucis de réalisme dans les détails (en particulier la seconde).

     

    Auteur :

     

    Guillaume de Gruel (c. 1410-1474/1482), noble breton, entra au service du comte de Richemont en 1425 et l’accompagna fidèlement jusqu’à sa mort (1474), au point de devenir l’un de ses intimes. La partie de son œuvre antérieure à 1425, tributaire des souvenirs du comte et d’autres historiens, est la moins développée. Son récit, très allusif, demande à être complété par d’autres sources. De façon générale, la bonne fois et l’originalité manifestée par Gruel dans son ouvrage font considérer son œuvre comme très fiable.

     

    Les enluminures sont anonymes.

     

    Dates :

     

    La date de l’événement est bien donnée par l’auteur (25 octobre 1415) et ne pose pas problème, étant confirmée par d’autres sources.

     

    La date de composition de l’œuvre est plus problématique. Gruel écrivit après la mort d’Artus, en 1474, et avant sa propre mort, intervenue avant 1482. Il est probable qu’il s’est appuyé sur des notes prises tout au long de présence auprès du comte de Richemont.

     

    Il écrit donc au moins 60 ans après les faits, relatant des événements dont il a eu vent quand il était adolescent (il a une quinzaine d’année à l’époque d’Azincourt) et qu’il n’a pas vécu personnellement, ce qui peut expliquer le caractère très elliptique de son témoignage.

     

    Les enluminures, en revanche, sont beaucoup mieux documentées, s’appuyant sûrement sur des témoignages directs, avec un grand soucis de réalisme dans la figuration des bannières et insignes qui permettent de distinguer les combattants.

     

    Contexte :

     

    Á partir des années 1380, France et Angleterre apparaissent épuisées économiquement par la guerre. Des grandes révoltes fiscales remettent en cause le financement de la guerre par l’impôt. Au renforcement du pouvoir royal par Charles V puis dans les premières années de Charles VI s’oppose une grande instabilité politique en Angleterre, où le meurtre de Richard III ouvre une longue crise de succession opposant les grandes familles nobles. Victorieux, Henri IV Lancastre doit encore affronter plusieurs révoltes nobiliaires et il faut attendre 1413 pour que son fils Henri V soit assez assuré pour envisager de reprendre la lutte en France. Au printemps 1415, il met donc fin à 30 ans de trêve tacite en débarquant en Normandie qu’il commence à soumettre. Se heurtant à une résistance plus forte qu’attendue renforcée par la convocation du ban et de l’arrière ban par Charles VI, à l’automne, il chevauche vers Calais pour se rembarquer, poursuivi par l’armée française. Arrivé près d’Azincourt (Somme), il est acculé à livrer bataille. Ce combat, qui semblait mal se présenter pour les Anglais, fut pourtant une défaite retentissante pour les Français, qui faillit mettre en cause jusqu’aux fondements de la monarchie.

     

    Il faut donc comprendre comment une armée supérieure en nombre et qui avait l’initiative du combat contre une troupe en fuite put être anéantie en quelques heures.

     

    Problématique :

     

    Qu’est-ce qui a changé à Azincourt ? Pourquoi les Français ont-il subi une défaite aussi sévère.

     

     

    I-                   Le déroulement de la bataille.

     

    -         une bataille de champ (enluminure 1 + « mettre leur gens en bataille ») = bataille codifiée, ou l’on n’attaque pas à l’improviste.

     

    -         La charge française (« grand nombre de champ à cheval ») et la manœuvre d’encerclement : chevalerie au centre, cavalerie gasconne et lombarde (= mercenaires) sur les ailes qui doivent enveloppés l’armée anglaise (« qui devaient frapper sur les flancs »).

     

    -         Un terrain trop étroit pour la manœuvre ((« qui trop était étroite pour combattre tant de gens ») + enluminure 1 : terrain plat entouré de collines, malaisée pour les attaques de cavaleries.

     

    -         La riposte de l’archerie anglaise (« les traits venir si drus ») et la débandade des ailes (« ils se mirent en fuite et vinrent rompre la bataille de nos gens ») => en se repliant, disloquent le front principal français (à gauche sur l’enluminure 1) => gène manœuvre de l’archerie française et déploiement de la chevalerie.

     

    -         La mêlée : enluminure 2 : profitant de l’immobilisation de la chevalerie française, charge anglaise mêlant chevalerie et infanterie qui jettent bas les chevaliers français et massacrent l’infanterie française (« tirés de dessous les morts et fut reconnu à sa côte d’armes » = les fantassins morts et blessés, les Anglais viennent achever les morts roturiers après la bataille, et Artus de Richemont ne doit qu’à ses armoiries d’échapper à la mort). coincée entre le front anglais et leur cavalerie.

     

    -         les Français, qui ne peuvent fuir, sont massacrés ou capturés, laissant la victoire aux Anglais.

     

     

    II-                Les conditions matérielles de la bataille.

     

    -         deux armées à la composition proche (enluminure 1) : les Français ont retenu la leçon de Crécy et de Poitiers et ne misent plus tout sur la chevalerie (nobles). Dans les deux camps, la chevalerie, dont la charge doit emporter la décision (d’où sa position en retrait) est encadrée par des unités de cavalerie mercenaire (non nobles) (« gascons et lombards ») et surtout de troupes d’infanterie : archers (anglais, plus rapides et performants) et arbalétriers (choix français qui s’avéra lourd de conséquence car l’arbalète est plus lourde et plus lente à recharger) et routiers (enluminure 2) = fantassins formés en carrés qui peuvent résister à une charge et jeter les chevaliers à bas.

     

    -         Enluminure 2 : combat n’est plus une charge frontale, la tactique devient plus complexe avec des unités d’infanterie qui sont encadrées et commandées par la chevalerie. Le but est de capturer les chevaliers et de tuer les autres (corps au sol).

     

    -         Néanmoins, les Français gardent deux faiblesses par rapport aux Anglais :

     

    • l’absence d’armée permanente qui les force à recourir massivement aux mercenaires (alors que les Lancastre sont les premiers à organiser un embryon d’armée qui fut la base de leur accession au trône). Renforcé par le fait que certains de ces mercenaires (les Gascons) viennent de terres soumises au roi d’Angleterre.

       

    • Une chaîne de commandement encore peu efficace qui rend la discipline des troupes encore aléatoire (débandade des mercenaires) et empêche une retraite en ordre et une contre-offensive (« en telle manière qu’à grand peine se purent jamais rassembler que les Anglais ne fussent toujours près d’eux »).

       

     

    III-              Le résultat de la bataille et ses conséquences.

     

    -         Azincourt fut un désastre pour l’armée française : nombreux morts (« retiré de dessous les morts » et prisonniers (« et là furent pris… ») qui privent la France des meilleures de ses troupes, mais aussi de son administration, car beaucoup des nobles capturés à Azincourt avaient des fonctions de commandement et d’administration à la cour (enluminure 2 : chevaliers emmenés prisonniers), parmi les tués se trouvaient de nombreux baillis ou sénéchaux et officiers de la couronne. Les prisonniers, emmenés loin de France (« emmena ses prisonniers et de là alla en Angleterre »), furent parfois longs à revenir : 5 ans pour Artus de Richemont (jusqu’en 1420), connétable, plus de 15 ans pour Charles d’Orléans (« monseigneur d’Orléans »), cousin du roi et chef du parti Armagnac.

     

    -         A ce désastre militaire s’ajouta un fort coup économique, car il fallut payer la rançon des prisonniers.

     

    -         Un coup politique : les soutiens du roi et du dauphin Louis, le duc de Bourbon, le duc d’Orléans, sont prisonniers. Le parti Armagnac est décapité, ce qui laisse le champ libre aux Bourguignons alliés des Anglais. De même, en Bretagne, la captivité d’Arthus de Richemont favorise les intérêts des partisans de l’Angleterre. Henri V voit dans sa victoire un jugement de Dieu qui justifie ses droits à la couronne de France (explique rapidité de son rembarquement : il a le temps de planifier avec soin une nouvelle campagne après le coup fatal porté aux Français).

     

    -         Le pire est néanmoins évité : échaudés par le désastre de Poitiers, les conseillers du roi ont réussi à convaincre Charles VI et ses fils de ne pas prendre part en personne à la bataille. Le roi et le dauphin sont donc toujours vivants et aux affaires.

     

     

    Conclusion :

     

    Le désastre d’Azincourt est donc d’abord due au manque d’organisation et de discipline de l’armée française et à un commandement déficient qui n’a ni su choisir un terrain correct pour mener bataille, ni relayer efficacement ses ordres pour organiser une retraite dans l’ordre. L’absence d’armée professionnelle, la volatilité des mercenaires et le choix de l’arbalète plutôt que de l’arc sont venus affaiblir un peu plus l’armée française.

     

    Ultime conséquence à court terme = le traité de Troyes (1420) qui livre la moitié de la France et la couronne française à Henri V.  Mais à long terme, la leçon d’Azincourt inspirera toute l’œuvre de réforme militaire de Charles VII et son effort pour établir une outil militaire apte à battre les Anglais.

     

     






    Les ordres monastiques

    10/04/2007 01:05

    Les ordres monastiques


    Illustration : plan type d'une abbaye au XIIème siècle construite selon les critères de la Règle de saint Benoît. On remarque la façon dont l'ensemble des bâtiments sont coupés du monde par une muraille, l'espace des moines étant lui-même centré sur le cloître, tandis que les visiteurs sont cantonés à proximité de la porte. L'ensemble des besoins de la communauté peuvent être remplis par les divers équipements du monastère, ce qui témoigne d'une volonté d'autarcie. Il est à remarquer que ce plan coïncide plutôt avec un monastère cistercien, qui est en général de petite taille. Les monastères bénédictins - clunisiens, plus grands et mieux équipés, étaient néanmoins construits sur un plan du même type.

    Introduction :

    Ordre monastique :  monastique = qui se rapporte aux moines, à ceux qui ont fait le choix d’une vie solitaire (monos) consacrée à Dieu dans un cadre cénobitique (cloître = coupure par /t à l’extérieur) <> d’ermite ou anachorète.

    Ordre : défini par une règle de vie commune, ce qui oppose les moines (réguliers) aux clercs séculiers (les chanoines sont donc exclus du sujet). Cette règle reste dans la majeure partie de la période la Règle de saint Benoît, rédigée par Benoît de Nursie, fondateur du Mont Cassin, au VIème siècle. Elle associe harmonieusement travail, prière et méditation de la parole divine et exige du moine quatre vœux : chasteté, obéissance, pauvreté et stabilité. Elle est commune aux bénédictins, cisterciens, chartreux et ordres militaires qui en donnent plusieurs interprétations. 

    Rupture au XIIIème siècle, avec de nouveaux ordres non cloîtrés, les ordres mendiants, qui adoptent la Règle de Saint Augustin, qui était jusque là en usage chez les séculiers = cas limite, car par certains aspects sont des moines (vie religieuse, chasteté, pauvreté, obéissance) mais ils vivent dans le monde. On les inclura donc dans le sujet + borne chronologique = il faut les intégrer sous peine de n’avoir rien à dire sur le XIIIème siècle. 

    Le sujet court donc d’une réforme (Cluny, fondé en 911) à une autre (la naissance des ordres mendiants dans les premières décennies du XIIIème siècle). => problème de la réforme, du retour à un idéal de pureté évangélique et de rupture avec le monde, sans cesse réaffirmé mais battu en brèche par les nécessaires compromis avec la société. Chaque réforme emporte l’adhésion des fidèles, car elle est en phase avec son époque (premier âge féodal pour Cluny, culture chevaleresque pour Cîteaux, essor des villes pour les mendiants) et c’est ce succès même qui conduit peu à peu à l’abandon de l’idéal et au retour dans le monde.

    Problématique : étude de la tension constante entre l’idéal évangélique de la Règle et la nécessaire implication dans les affaires du monde.

     I-                   Le siècle de Cluny (c. 950 – c. 1085).

     A-    Cluny et Gorze : le renouveau bénédictin.

     => réformateurs bénédictins du Xème siècle comprennent que le seul moyen pour les moines de survivre à la violence du premier âge féodal est de s’intégrer à la société seigneuriale pour collaborer avec l’élite noble et, à terme, en prendre le contrôle (accès des clunisiens à l’épiscopat et à la papauté : Hildebrandt, moine de Cluny, devient le pape Grégoire VII, 1075)

     B-    La vie à Cluny :

     -         idéal d’autarcie (v. plan) => frères lais (frères d’origine non noble ayant prononcé des vœux partiels et employés à la gestion des exploitations agricoles)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    -         travail = surtout intellectuel et artistiques (copie et enluminure des manuscrits), l’essentiel de la vie du moine clunisien est consacrée à la lecture d’ouvrages de piété et de théologie (on garde liste de 15 livres qui étaient remis à chaque moine de Cluny au début du carême) et à la prière liturgique (7 « heures » monastiques = prières collectives des psaumes : matines (au milieu de la nuit), laudes (matin), tierce (vers 9h), messe ou sexte (vers 12h), none (vers 15h), vêpres (vers 18h) et complies (vers 21h)). Ces horaires provoquent un décalage dans le rythme de vie du moine par rapport au reste de la société : les moines sont les seuls, au Moyen Âge, à ne pas vivre selon le rythme de l’heure solaire, ce qui exigeait un gros investissement dans l’éclairage, beaucoup de prières se faisant de nuit, et dans le perfectionnement des outils de mesure du temps (clepsydres puis horloges). Le moine ne dormait guère plus de 4 à 6 heures par nuit, ce sommeil étant coupé en deux par les mâtines. Durant le triduum pascal (jeudi, vendredi et samedi saints, qui précèdent Pâques), les moines jeûnaient et veillaient. Les repas se prenaient dans le silence complet, un frère lisant des extraits des écrits patristiques en latin. Tous ces aspects faisaient véritablement du moine clunisien un spécialiste de la prière qui chantait 4 à 5 fois le psautier complet dans l’année.

    -         La majorité des moines vivent au monastère dès leur enfance, car ils ont été offerts comme oblats par leurs parents. Ils ne connaissent donc aucune autre vie que celle de moine. La dot élevée exigée à l’entrée au monastère excluait de fait les roturiers du monachisme clunisien, qui recrutent surtout parmi les cadets de noblesse et la frange supérieure des patriciats urbains.

    C-    La puissance de Cluny :

    -         1er seigneur foncier d’Europe.

     

     

     

     

     

     

    -         Toutes les abbayes rattachées à Cluny, à part les plus prestigieuses, deviennent des prieurés => structure féodale.

    -     Les expressions matérielles de la puissance : l'abbatiale Cluny III, dédicacée par le pape Urbain II en 1095 et qui fut le plus grand édifice de la Chrétienté jusqu'à la reconstruction de Saint-Pierre de Rome au XVIème siècle. Cette abbatiale accueillait une liturgie somptueuse, utilisant un riche mobilier de métaux et de tissus précieux et très théâtrale (les lectures bibliques étaient véritablement jouées par les moines pour mieux les actualiser). Illustration musicale : http://www.vip-blog.com/mp3_blog.php?pseudo=dreillard&mp3=20171.

    -         L’exemption : depuis 996, Cluny et toutes ses filiales, abbaye associées et prieurés, jouissent de l’exemption pleine, ce qui signifie qu’elles ne relèvent que du pape et de l’abbé de Cluny. Aucun autre pouvoir, laïc ou épiscopal, ne peut intervenir dans cette immense seigneurie qui peut rivaliser avec les plus grandes principautés. Au XIème siècle, l’abbé de Cluny est un véritable « pape bis », dont l’influence spirituelle et politique en Occident est souvent plus importante que celle du pontife romain. Son influence est majeure : les idées de paix de Dieu, de réforme de l’Eglise romaine ou de Croisades sont nées à Cluny.

     -         La puissance de Cluny s’accroît encore par la récupération des biens spoliés par les seigneurs laïcs et par la multiplication des donations « pro remedio animae » (pour le salut de l’âme : dons de terres et de revenus aux moines pour qu’ils prient en faveur des donateurs).

     II-                Les « chevaliers du Christ » : mouvements érémitiques et moines guerriers (fin XIème siècle – fin XIIème siècle).

     Nés du refus des compromissions de Cluny, les nouveaux ordres exaltent tous la pureté du moine, combattant du Christ qui mène un combat spirituel contre le mal (militia Christi). Ces mouvements transfèrent donc sur le plan religieux la morale chevaleresque de l’engagement et de l’exploit, ce qui explique leur succès dans la noblesse féodale, qui leur fournit l’essentiel de leurs moines. Cet engagement pour Dieu peut prendre deux formes paradoxales :

     -         le retrait hors du monde et la tentation de l’érémitisme (contemptio mundi);

     -         l’engagement par les armes au service de Dieu.

     A la croisée de ces deux mouvements se dresse les figures des fondateurs de Cîteaux et de Bernard de Clairvaux.

     A-    Nouvelles spiritualités et nouveaux engagements :

     a-      Le retrait du monde : Campanules et Chartreux : les interprétations érémitiques de la RSB.

     Mais paradoxalement, participent aussi à l’expansion agricole en mettant en valeur des espaces reculés (montagnes, marécages) jusque là délaissés.

     b-     L’engagement dans le monde : Templiers (ordre souverain des chevaliers du Christ du Temple de Jérusalem) ; Hospitaliers (ordre souverain des chevaliers hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem) => croisades.

     Mais participent aussi au mouvement d’expansion de la chrétienté occidentale en Espagne (Ordre des Chevaliers de Saint-Jacques de Compostelle) et contre les païens d’Europe de l’Est (Chevaliers teutoniques).

     c- Une expérience originale : Fontevreau : abbaye fondée par Robert d’Arbrissel, un chevalier converti à la vie monastique qui organise une communauté originale, mixte, sous les ordres d’une abbesse. La tentation permanente induite par la proximité des hommes et des femmes devait rendre plus exigeante encore la chasteté des religieux et religieuses, tandis que le fait, pour les hommes, d’obéir à une femme, était une marque d’humilité extrême. Fontevreau connut un grand succès au XIIème siècle, en particulier grâce au soutien d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri II Plantagenêt, qui s’y firent inhumer. Transformé en ordre strictement féminin à la mort de son fondateur, Fontevreau essaima dans toute l’Europe, avant d’être absorbé par la branche féminine des cisterciennes au XIIIème siècle. Cet ordre témoigne d’une nouvelle demande spirituelle de la part des femmes dont témoigne, à la même époque, l’apparition des premières grandes mystiques, en particulier chez les bénédictines (Hildegarde de Bingen).

     B-    Les débuts de Cîteaux : un anti-Cluny :

     -         allier cénobitisme et retrait du monde : choix de lieux retirés, extrêmes rigueur de vie et humilité (les cisterciens s’habillent en laine blanche pour ne pas avoir à la teindre), monastères extrêmement simples et  austères (à tel point que beaucoup d’anciens monastères cisterciens comme Clairvaux ou Loos sont aujourd’hui devenus des prisons).

     -         le retour à l’idéal de travail et de pauvreté (refus de la seigneurie), mais les abbayes cisterciennes sont organisées sur le modèle du lignage noble : Cîteaux est la mère, ses quatre premières filiales ses filles, les fondations suivantes des petites filles, etc… Tous les abbés se réunissent chaque année à Cîteaux au chapitre général de l’ordre que la, Charte d’Amour règle des cisterciens, compare à un conseil de famille. De même, l’abbaye conserve la distinction entre nobles (moines) et non-nobles (frères convers, qui ne prêtent que des vœux partiels et travaillent plus que les moines). La majorité écrasante des moines cisterciens sont issus de la chevalerie, ce qui a une influence sur la spiritualité cistercienne, perçue comme un combat pour la foi et contre le mal.

     -         la controverse avec Cluny sur la richesse de l’Eglise et le rôle liturgique des œuvres d’art, rejetés par les cisterciens => une nouvelle esthétique de la lumière (Dieu est lumière). Rôle fondamental de saint Bernard qui promeut cette nouvelle idéologie ainsi que le culte de la Vierge Marie. Illsutration musicale : http://www.vip-blog.com/mp3_blog.php?pseudo=dreillard&mp3=20172

     C-    Cîteaux, nouveau Cluny ?

     Par son succès et sa richesse, Cîteaux pourrait être comparée à Cluny. Pourtant, même sans son succès, l’ordre reste différent, plus attaché à ses valeurs d’origine (maintien du refus des seigneuries, par exemple). La filiation symbolique entre les fondations garantie également un meilleur équilibre entre les abbayes. Les cisterciens ont toujours refusé l’exemption, et sont toujours restés soumis, au contraire, à l’évêque ordinaire (évêque du diocèse dans lequel se trouve le monastère).

    L’influence cistercienne sur le monde passe surtout par un magistère d’influence : au contraire des clunisiens qui avaient adapté le monachisme au monde féodal, les cisterciens veulent transformer la société pour la rendre plus conforme au message chrétien. Bien que retirés du monde, ils acceptent de se consacrer à des tâches d’évangélisation ou de prédication, dont le plus bel exemple est donné par Bernard de Clairvaux, qui fut bien plus qu’un abbé. Á la fin du XIIème siècle, tous les papes sont des cisterciens.

     

    Ils agissent aussi sur le monde en intégrant d’immenses espaces vierges qu’ils défrichent, drainent et mettent en culture, ce qui attire les populations => ils sont rattrapés par le monde. + progrès dans la gestion des terres avec le système des granges dépendantes de chaque monastère.

    Néanmoins, à la fin du XIIème siècle, l’afflux de dons est tel que la rigueur de vie des cisterciens se relâche. Les nouveaux monastères sont beaucoup plus luxueusement décorés, les moines abandonnent la charrue aux frères convers, recréant dans leurs abbayes les inégalités de la société seigneuriale.

    III-              La pauvreté volontaire : un nouveau message pour un nouveau public (XIIIème siècle).

    Les nouvelles formes monastiques qui apparaissent au XIIIème siècle sont issues de trois phénomènes :

    -         l’épuisement du monachisme traditionnel, rural, dont la richesse suscite de plus en plus de critiques ;

    -         les divers mouvements hérétiques (Cathares, Vaudois) issus de cette critique ;

    -         l’essor des villes et la nécessité d’encadrer religieusement les populations urbaines.

    A-    Décadence et aporie des ordres issus de la RSB :

    XIIIème siècle marque le déclin des influences cisterciennes et clunisiennes, ces deux ordres faisant l’objet de critique de plus en plus généralisées contre leur richesse et l’exploitation des paysans à laquelle il se livre que ce soit à travers la seigneurie ou le salariat. Si Cîteaux garde un certain prestige dans la noblesse, Cluny traverse même une crise économique liée à l’érosion de sa rente, et qui entraîne un début de fragmentation de l’ordre (certains monastères associés ou prieurés quittent l’ordre). Deux obédiences opposées se créent entre partisans de l’ancien système, majoritaires (grande observance de Cluny) et ceux qui désireraient un retour à plus de pauvreté et de travail (observance ordinaire de Cluny). Les chapitres généraux cessent d’être tenus, comme à Cîteaux, et les fraternités (groupements locaux de monastères) commencent à prendre le pas sur l’ordre.

    La perte de Jérusalem et l’échec des croisades pose la question des ordres militaires. Repliés sur Chypre puis Malte, les Hospitaliers poursuivent la lutte contre les pirates musulmans, mais les templiers, privés de leurs bases en Terre Sainte, ne font plus qu’administrer leur immense fortune, tirée de leurs butins, de leurs terres, et surtout des intérêts des prêts consentis aux chevaliers et aux rois partis se croiser. Leur richesse et leur puissance deviennent plus insolentes encore que celles des clunisiens.

    Ceux qui par leur dénuement volontaire auraient pu, tels les Chartreux, présenter un exemple de vie religieuse pure aux populations s’enferment dans l’aporie de leur retrait hors du monde, perdant toute utilité sociale.

    Ce sont donc d’abord les hérétiques (Cathares, Vaudois) qui présentent un message alternatif de pauvreté et d’humilité aux fidèles. Que pouvait lui opposer l’Eglise ?

    B-     Les dominicains : du prêche à l’inquisition.

    Au début du XIIIème siècle, et malgré l’intervention des troupes de Philippe Auguste à partir de 1220, l’hérésie cathare ne cessait de gagner du terrain. La critique des richesses de l’Eglise et de son pouvoir temporel était un élément essentiel du succès de cette spiritualité hétérodoxe. Un jeune noble espagnol, Domingo Guzman de Alvaceta, étudiant à Salamanque, développa la conviction que le seul moyen de ramener les hérétiques sur le droit chemin était de prêcher la parole de Dieu par l’exemple, en menant une vie humble et pauvre et en refusant la richesse et les pompes de l’Eglise officiel. Entouré de quelques disciples, il gagna le Languedoc où, autour du couvent de Cerisy, construit de leurs propres mains, il remporta quelques succès. Officialisé par Rome en 1226, l’ordre des frères prêcheurs fut chargé de la lutte contre l’hérésie dans toute l’Europe. Mais le Saint Siège trouvait les progrès réalisés par la prédication trop lents. Lorsque l’Inquisition (tribunal ecclésiastique chargé de juger les déviances à la foi et au dogme) fut organisé dans les années 1230, les dominicains furent chargés de son fonctionnement. La torture et le bûcher remplacèrent bientôt la parole, et le prêcheur Bernardo Guy rédigea même, vers 1250, un manuel de l’inquisiteur qui détaillait les différentes hérésies et les moyens d’obtenir, par la persuasion ou la force, les aveux des hérétiques.

    Recrutant surtout des universitaires issus de la petite noblesse et de la bourgeoisie, l’ordre dominicain donna aussi de grands penseurs tels que Thomas d’Aquin ou Albert le Grand.

    L’ordre dominicain ne relevait que du pape, particularité qu’il partageait avec l’ordre franciscain.

    C-    Les franciscains : l’exemplarité de la pauvreté.

    François d’Assise était le fils d’un marchand exemplaire de l’essor des bourgeoisies urbaines à la fin du XIIème siècle. Il vit une jeunesse dorée avant d’être frappé par l’expérience de la guerre. Vers 1205, il renonce à son héritage pour aller vivre parmi les plus pauvres, qu’il impressionne par son mysticisme. Il rassemble bientôt un premier groupe de disciples qui sont d’abord soupçonnés par Rome d’être hérétiques car ils critiquent la richesse de l’Église (v. le Nom de la Rose). Finalement intégrés à l’Église en structurés en ordre suivant la règle de saint Augustin, ils forment les Frères mineurs, religieux qui refusent toute donation et ne vivent que des aumônes des fidèles. Ils sont utilisés dans l’instruction religieuse et l’encadrement des masses de salariés pauvres urbains, au point d’inquiéter les séculiers par leur influence grandissante (ils attiraient en particulier les pauvres car ils n’exigeaient pas le paiement de droits pour célébrer les baptêmes et enterrements comme c’était la coutume dans les églises paroissiales). Surtout issus de la petite et moyenne bourgeoisie urbaine, mais aussi ouvert aux plus pauvres, l’ordre franciscain a un recrutement plus divers que les ordres des siècles précédents. Il est aussi le premier dont la branche féminine, les Clarisses, fut créée presque simultanément, par une amie de François, Claire. Gagnant en influence, les franciscains entrent dans les cercles du pouvoir : l’un d’eux fut le confesseur de Louis IX. Les papes de la fin du XIIIème siècle sont tous issus de l’ordre franciscain. Ce succès les conduisit à se couper de leur humilité originelle. Ils commencèrent à accepter les donations, dîmes et autres droits ecclésiastiques. A partir de la fin du siècle, le franciscain gourmand et libidineux qui abuse de son statut religieux pour dérober de la nourriture et abuser des femmes devient un personnage récurent des fabliaux et des farces. 

     Conclusion :

    De réforme en réforme, le monachisme du Moyen Âge central n’a cessé de chercher à incarner la pureté évangélique dans un monde souvent violent et qu’il cherchait à christianiser par ses prières, mais souvent aussi par son action sur la société. D’abord intimement mêlé au monde féodal, dont étaient issus les moines, presque tous d’origine noble, il s’intégra grâce aux Mendiants à l’essor urbain du XIIIème siècle. Car le paradoxe de ces réformes étaient que le retour à la pureté d’une vie hors du monde avait d’abord pour but d’agir sur ce monde pour le rendre plus profondément chrétien. Le succès même de ses réformes, en accroissant l’influence et la richesse de chaque ordre, a conduit finalement à leur échec, car ils restaient prisonniers d’une structure sociale qui persistaient à les considérer comme des spécialistes de la prière dont l’intercession devait être rémunérée par des dons. Il faut attendre une autre Réforme, plus radicale, au XVIème siècle, pour que naissent de nouvelles formes de religiosité remettant définitivement en cause cette structure. Néanmoins, le fait que tous ces ordres existent encore aujourd'hui montre qu'ils ont sur créer des formes de spiritualité propres qui sont restées porteuses d'un message d'humilité et de retrait de monde à travers les siècles.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     






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