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Art roman, art gothique
07/04/2007 23:53
Introduction : histoire de l’art et Histoire.
Problématique du rapport entre histoire et histoire de l’art :
Sujets à thème artistique posent problèmes d'interprétation. Ces sujets ne sont pas à comprendre comme des sujets d’histoire de l’art, c’est à dire d’histoire des formes (cours d’histoire générale). Le principal problème est de réussir à intégrer l’histoire des formes dans la problématique + large de l’histoire de toute la société, et donc de parvenir à rendre sensible les implications sociales de l’art.
Depuis Panofsky et Francastel, on a mis l’accent sur le fait que jusqu’à la grande autonomisation de l’artiste du XIX° siècle, l’art est avant tout l’expression des idéaux des classes dirigeantes qui se donnent à voir à travers les œuvres d’art. [NB : Le Focillon, grand classique, reste très valable pour l’histoire des formes mais véhicule encore certains schémas d’explication éculés.]
Il importe donc de ne pas séparer le fond de la forme, à ne pas faire un exposé d’histoire de l’art ni une étude de sociologie de l’art, mais veiller à lier les deux.
Sur le plan pratique, cela implique de repérer précisément :
ð Les formes concernées
ð Les commanditaires des œuvres, puisque l’artiste médiéval n’a pas d’autonomie dans le choix des thèmes.
ð Le contexte social et / ou politique.
Documents proposés organisés dans cette perspective + perspective d’étude synchronique (constante propre à chaque style) et diachronique (évolution d’un style à l’autre).
ð à chaque fois : plan, élévation extérieure et intérieure, portail, un exemple de sculpture et un exemple de peinture.
ð balayage significatif mais restreint : pour des raisons de place et de temps, il n’est pas possible d’étudier ttes les formes d’expression artistique (gravure, arts déco, arts profanes…) ni les évolutions et variantes propres à chaque style => avoir csce que ces aspects existent.
Barrières chronologiques = difficiles à poser, car les styles naissent lentement et coexistent, se chevauchent.
1° éléments du Roman apparaissent dès le X° siècle, dans la filiation directe de l’architecture carolingienne (ou pré-romane) avec laquelle il n’apporte pas de rupture significative => poursuite de la réutilisation des traditions romaines, avec apports byzantins.
Rupture se situe au cœur même de l’ère romane, au début du XII° siècle, quand les progrès techniques et l’accumulation du capital permet l’apparition d’une monumentalité nouvelle (prémice = Cluny III, fin XI° siècle => reste le plus grand édifice chrétien occidental jusqu’à la construction de Saint-Pierre de Rome).
On continue à construire des églises romanes jusqu’à la fin du XII° siècle, et même, en Auvergne, en Gascogne, jusqu’au cœur du XIII° siècle. Mais dès 1145, le style gothique s’affirme à Saint-Denis, puis dans tous les nouveaux édifices du Bassin Parisien. Se répend en auréole autour de ce centre, où naissent toutes les évolutions (vers 1260, Sainte Chapelle de Paris, cathédrale de Chartres => Gothique rayonnant).
Le Gothique survit ensuite jusqu’au début du XVII° siècle, mais sous des formes de plus en plus foisonnantes et influencées par des apports extérieurs, qui en font un style sans vrai rapport, sinon architectonique (formes architecturales de base), avec le gothique des origines. => gothique flamboyant (XIV°-XV°), renaissant et classicisé (XVI° siècle).
Lien entre architecture et évolution de la société : Roman naît au moment où débute le morcellement féodal. Ses plus belles réussites se trouvent dans les monastères ruraux les mieux inscrits dans l’ordre féodal (Cluny, Moissac, Conques, Saint-Philibert de Tournus…) ou dans les capitales des seigneuries les plus puissantes (Poitiers, Angoulême…). Chaque région développe des styles bien caractérisés qui font parler de romans régionaux (poitevins, saintongeais, bourguignons, bretons…) Il survit le plus longtemps dans les zones les plus à l’écart du mouvement d’essor commercial et de recentralisation du pouvoir politic.
Inversement, le gothique naît au cœur du domaine royal, au moment où débute le renforcement du pouvoir central et dans un centre emblématique de ce renforcement, Saint-Denis. Son essor accompagne celui du pouvoir royal, aussi bien Français qu’Anglais : Capétiens et Plantagenêt vont marquer leur conquête par l’édification de cathédrale gothique (cf. Ste-Cécile d’Albi sous Saint-Louis, Saint-André de Bordeaux, édifiée au moment ou Bdx devient le centre des possessions continentales des Plantagenêt).
//, l’essor du gothique accompagne deux autres mouvements :
- essor urbain : 1° cathédrales gothiques (Senlis, Noyon, Meaux, Laon …) = dans des cités épiscopales affectée par l’essor urbain du XII° siècle et dont la cathédrale avait été peu ou pas modifiée à l’ère romane.
- essor des nouveaux ordres religieux : 2° moitié XII° siècle, essor du gothique porté par les fondations cisterciennes qui sont à leur apogée et qui trouvent dans ce style pur et dépouillé une expression de leurs idéaux esthétique. XIII° siècle : X° des chapelles et églises gothiques dépendantes des couvents des ordres mendiants (églises rebaptisées plus tard “ jacobins ”, “ cordeliers ”.
ð deux variantes du gothique :
- l’une monumentale et somptueuse, qui trouve son aboutissement dans la Saint-Chapelle = au service du pouvoir royal et épiscopal.
- l’autre plus humble et épurée, qui trouve son aboutissement dans les églises-halles franciscaines reproductibles à l’identiques, support des religiosités nouvelles.
ð Constantes = problématique : Un roman plutôt rural, seigneurial et monastique, marqué par sa diversité locale, et un gothique plutôt urbain, royal et épiscopal, marqué par son unité de style.
ð Art des seigneurs et art du prince = une évolution des styles qui traduit une évolution dans l’encadrement des fidèles, elle-même liée aux évolutions de la société
I- L’art roman, art de la féodalité.
A- Un art cellulaire.
Même losque l’on a à faire à de très grands édifices, le Roman vise tjs à la création d’ensemble repliés sur eux-mêmes, propice à la méditation intérieure ou à la rumination monastique.
v. Plan + élévation extérieure : ensemble refermé sur soi qui cherche à exprimer une totalité (développer sur les formes architecturales, la symbolique 8 (tour octogonale) – 4 tours carrées) = passage du monde physique (tours carrées sur le porche) au monde divin (tour octogonale surplombant le chœur)et 7 (travées du chœur et du transept).
Organisation de la circulation intérieure (déambulatoire => église de pèlerinage ; absidiole => un ensemble étudié pour célébrer une liturgie stationnaire sans avoir de dépalcements extérieurs à effectuer).
Transition extérieur/intérieur => rôle du porche qui ouvre sur un espace de transition (narthex), progression interne => chœur (v. élévation interne) = image du ciel (cul de four).=> un parcours du monde des hommes jusqu’au Ciel.
B- Hiératisme et hiérarchie.
v. fronton du portail de Conques: hiératisme qui refuse le figuratif pour représenter une réalité d’un autre ordre + couleurs.
fronton : envahissement des voussures et du linteau par le décor.
Séparation de la figuration en deux plans ciel-divinité / terre-humanité : hiérarchie du monde.
Extrême symbolisme des représentations qui reposent sur une exégèse savante => destinnes à des clercs et pas aux fidèles. (cf. Nef de Saint-Savin (Vienne) : chapiteaux non-historiés, au contraire, dans le chœur (réservé aux clercs) ils le sont, système proche à Conques, où le tympan du portail ouvrait sur le cloître (espace des moines) et pas sur l’extérieur (espace des pélerins).
C- Ordre terrestre, ordre céleste : une théologie du pouvoir.
a. Le pouvoir de Dieu : distance et majesté.
v. Christ du tympan => rôle de la mandorle qui le sépare de l’humanité et le place dans l’univers de la gloire céleste.
Structuration interne des églises (plan, élévation) renvoie à coupure nette clercs/laïcs, Ciel/terre. => Dieu = lointain, dans les hauteurs, placé dans une situation d’action eschatologique => un Dieu très semblable au roi, lointain, et dont l'action immédiate n’a pas de réelle influence.
=> pouvoir de Dieu transparaît dans l’action des saints, comme le pouvoir du roi disparaît derrière celui des seigneurs.
b. Le pouvoir des saints : proximité et efficacité.
Grandes églises romanes = églises de pèlerinage où l’on vient vénérer les saintes reliques.
Typique de cette période = statues reliquaires, sorties en procession, mises en contact avec les fidèles => personification du saint qui représente un pouvoir proche et rassurant. cf Statue de Sainte Foy, enrichie au fil des donations et qui exprime matériellement la puissance de la sainte.
Mais art roman, dans sa dimension d’art des églises de pèlerinage = aussi un art des chemins sur lesquels de développent les échanges qui mènent à une nouvelle modernité. Celle-ci trouve son expression dans l’art gothique.
II- L’art gothique, art du renouveau princier.
A- Un art de l’espace et de la lumière.
Même quand on a à faire à de petits ensembles, le Gothique vise tjs à créer une forme de monumentalité qui joue sur les larges ouvertures et l’espace créé par l’élévation de la voûte (v. la « cathédrale de poche » de Senlis).
v. plans et élévations : construction modulaire qui met en rapport étroit chaque élément de travée avec une ouverture qui laisse entrée la lumière. Aboutissement = gothique rayonnant (Sainte Chapelle, Chartres) où le plan est construit sur un nombre minimal de modules tous largement ouverts sur l’extérieurs => des dentelles de pierre qui supportent des verrières.
Evolution rendue possible par deux inventions majeures : la croisée d’arc brisé, qui permet d’élever des voûtes portantes (alors que le roman ne connaissait que les voûtes “ portées ”), et l’arc-boutan qui permet de contre-balancer la pression de la voûte sur les mûrs et donc de les alléger au maximum.
L’évolution artistique se fait aussi sentir dans le domaine figuratif.
B- Art gothique et scolastique : l’homme, image de Dieu.
v. porche de Chartres.
Autonomisation de la sculpture qui se détache plus nettement de l’architecture.
Apparition d’une plus grande importance du figuratif => modif° des canons esthétiques sous double influence :
saint Bernard : représentation de Dieu passe par la beauté et la simplicité (cf. l’ange qui sourit à Reims).
scolastique : insistance sur le fait que l’homme est à l’image de Dieu et sur l’humanité du Christ => réhabilitation de la figure humaine. (v. portail de Chartres, avec des figures hiératiques dans l’attitude, mais avec modelé réaliste (v. vêtements médiévaux), au mépris du récit biblique => réactualisation du message chrétien.
Apparition de codes de représentation plus complexes basé sur la narration et plus sur la symbolique : vitraux de Chartres.
C- Ordre divin, ordre royal :
a. L’art, outil du pouvoir royal.
Cathédrale gothique = œuvre conjointe du roi et de l’évêque (en particulier ND de Paris, ND de Chartres).
Christ de Chartres n’est plus dans une mandorle, mais sur un trône.
Nouvelle forme hiérarchique exprimée par l’art correspond à la monarchie : lumière de Dieu inonde l’édifice gothique => contact direct avec la divinité qui se passe de l’intercession des saints, comme le pouvoir du roi souverain contourne celui des seigneurs.
b. La Sainte-Chapelle de Paris.
Expression la plus achevée = Sainte Chapelle de Paris, édifiée par saint Louis pour accueillir la relique royale par excellence : la couronne d’épine du Christ.
Architecture de verre qui unit savemment théologie de la lumière et théologie royale. Sur les verrières, les armes de France se mêlent aux représentations des grandes scènes de l’histoire sainte. La grande verrière du chœur qui domine le maître autel où sont conservées les reliques inonde la chasse de lumière, mais aussi le podium placé immédiatement sous l’autel et sur lequel le roi trônait seul, intermédiaire entre ses sujets réunis dans la nef et le clergé officiant dans le chœur.
A la même époque est rédigé le pontifical champenois, à Reims, livre liturgique à l’usage de l’archevêque, qui est le premier document à mettre explicitement en rapport onction royale et épiscopale sous-entendu depuis longtemps et qui fait la part belle au clergé dans la cérémonie.
III- Du roman au gothique : traditions et inovations.
A- Des constantes imposées par le dogme chrétien.
Constantes architecturales : le plan de l’Eglise occidentale s’est fixé sous les Carolingiens avec l’adjonction définitive du transept à la nef basilicale héritée de Rome => forme en croix latine au sein de laquelle l’espace est strictement délimité entre ce qui est autorisé au laïc (nef, transept) et ce qui est réservé aux clercs (croisée du transept pour les non célébrants, chœur séparé du reste de l’Eglise par le jubé et le chancel pour les célébrants)
Les grandes constantes de thèmes : le portail porte presque toujours une figuration du jugement dernier => lieu de passage du monde extérieur à la maison de Dieu, donc de la mort spirituelle à la vie éternelle. C’est là qu’ont lieu, au MA, les grandes cérémonie sacramentelles (en particulier mariage et confiramtion) et les grandes fêtes (surtout la bénédiction des rameaux).
La décoration de l’église emprunte ses thèmes à l’histoire sainte, et en particulier aux grands événements de la vie du Christ et à la vie angélique. Deux impératifs dominent : représentation de la présence de Dieu et figuration du saint auquel elle est dédiée.
B- Continuités des thèmes, évolution des formes.
Evolution technique (v. II-A) permet évolution des formes architecturales et surtout d’expression artistique. Mais il n’y a pas de rupture nette : les grandes églises romanes (Saint-Sernin de Toulouse par ex.) expérimentent les formes qui vont mener au gothique. Inversement, les premiers grands édifices gothiques sont encore largement pensé comme des édifices romans : ex. Notre Dame de Paris, qui a encore la structure pyramidale des grandes basiliques romanes => pour maintenir l’équilibre de la voûte, il faut réduire le transept à l’extrême (d’où sa forme particulière de navire à l’envers).
Attention : l’ogive <> de typiquement gothique (on la trouve dans de nombreux édifices romans). Grandes nouveauté gothique = croisée d’ogive (permise par les arcs boutants).
Evolution majeure = passage d’une élévation pyramidale (bien observable sur l’élévation du chevet de Conques) à une élévation simple qui donne une plus grande unité à l’ensemble (Chartres) => supression des tribunes et création du Triforium (partie de mur intermédiaire où les ouvertures sont plus réduites pour permettre la prise d’appui des arcs-boutants).
Vision de l’unité qui correspond à l’idée contemporaine d’unité de la Chrétienté autour du Pape et d’unité du royaume autour du roi.
C- L’art et les formes de la religiosité.
L’art roman est profondément marqué par l’attente eschatologique (le grand mouvement de construction roman débute vers 1000, cf. R. Glaber et le blanc manteau d’églises) et par le culte des saints, d’où l’invention originale que constitue le déambulatoire. D’où aussi la grande richesse de vocable des églises romanes, dédiées à des saints patrons locaux.
Sous l’influence des Cisterciens, et en particulier de saint Bernard, grand dévôt de la Vierge, le culte de Marie gagne en importance au cours du XII° siècle : lors des grandes reconstructions gothique de la fin du XII° et du XIII° siècle, on voit alors se multiplier les Notre Dames. De nombreuses cathédrales sont rebaptisée lors de leur reconstruction (ex : cathédrale de Chartres => XII° siècle = Saint-Pierre, elle devient Notre-Dame lors de sa reconstruction gothique). L’art gothique se développe dans un milieu plus urbain et plus profondément christianisé : les grandes compositions sculptées gothiques, au-contraire des œuvres romanes, ne sont pas réservées à une élité de clercs lettrés mais largement offertes aux yeux des fidèles (sur le porche à Chartres). Elles constituent véritablement une Bible de pierre, destinée à l’éducation des fidèles, et sur lesquels pouvait prendre appui la prédication des frères Franciscains et Dominicains, eux-aussi grands propagateurs du style gothique.
Conclusion :
L’art du MA ne peut se comprendre que dans sa relation étroite avec un contexte intellectuel, politique et social donné. Au-delà des variations dans les formes, il apparaît tout entier vers l’expression d’un ordre idéal de la société, et colle donc étroitement à l’évolution de cette dernière. Mais il est aussi, comme dans de nombreuses autres périodes, un outil de prestige aux mains des classes dirigeantes, destiné à figer dans les matériaux les plus nobles l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et du monde. C’
Mais l’unité de l’art médiéval se fonde avant tout sur sa tentative, dont on ne trouve d’équivalent que dans l’iconographie byzantine, de figurer sur terre et avec des moyens humains des réalités qui sont de l’ordre de la transcendance. Cette quête de l’image de Dieu et de la rédemption, qui fonde toute la démarche artistique de l’Europe Occidentale jusqu’à nos jours, est sans doute l’héritage majeur qu’il nous a laissé et la clé de l’émotion qu’il peut encore faire naître chez nos contemporrains.
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Les Universités au XIIIème siècle
01/04/2007 14:59
Introduction :
Après l’effondrement carolingien, la culture et l’enseignement s’étaient réfugiés dans quelques monastères et écoles cathédrales qui avaient su maintenir, de Saint-Gall à Bologne, de Chartres à Reims ou de Winchester à Orléans, les traditions classiques rénovées de la « renaissance carolingienne ». Néanmoins, à partir des premières décennies du XIIème siècle, on voit réapparaître un enseignement plus diversifié et surtout plus dispersé géographiquement portés par le vent de la réforme grégorienne et les exigences théologiques et juridiques que comportaient la formation des clercs qu’elle instituait. A Oxford, à Liège, à Paris ou à Montpellier, maîtres et élèves se réunissent, investissent des quartiers entiers, élaborent de nouvelles théories, tel le « sic et non » d’Abélard. C’est de ce mouvement d’abord informel que naissent progressivement les universités. Ce terme désigne d’abord toute congrégation ou rassemblement de personnes qui se réunissent dans un but précis. Á ce titre, il peut désigner aussi bien une confrérie marchande qu’une communauté monastique. C’est précisément au XIIIème siècle, alors que s’organise un enseignement normé et codifié, que le terme va se restreindre au point de ne plus désigner que les lieux où est délivré cet enseignement. Or, dans cette même période, l’enseignement connaît, en Occident, une triple évolution : extensification, avec la multiplication des pôles universitaires ; organisation, avec la mise en place des structures des universités, et l’intégration de celles qui leur étaient concurrentes, et l’approfondissement des savoirs, notamment grâce à la redécouverte des savoirs antiques et aux apports venus des terres d’Islam.
Pourquoi les universités deviennent-elles, au XIIIème siècle, le cadre normal de l’enseignement en Europe et le fondement d’un renouveau intellectuel dont nous sommes encore les héritiers ? Comment ont-elles imposé leurs normes de formation et d’encadrement ?
Afin de le savoir, il faut d’abord comprendre comment les universités se sont développées à travers le monde occidental, avant d’étudier la façon dont elles reçoivent un cadre et des règles très normatives qui influent sur le contenu de l’enseignement et ses orientations.
I- La floraison des universités à travers l’Europe :
A- Un mouvement d’abord spontané …
Origine = écoles cathédrales de certaines cités réputées pour leurs maîtres (Bologne, Oxford, Liège) où placées à des carrefours de communication (Paris, Cambridge). Rapidement, l’afflux de maîtres et de disciples est tel que le chapitre ne peuvent tous les accueillir
ð installation dans les quartiers voisins ou ils s’organisent en confréries ayant pour but l’enseignement sous privilège épiscopal (maîtres ne sont pas chanoines de la cathédrale mais sont quand même entretenus par l’évêché) = les universités.
ð Ces universités colonisent alors des quartiers entiers (toute la rive gauche de Paris par exemple, car c’est là qu’il y a le plus d’églises et de monastères, donc le plus de prébendes et de bénéfices, qui constituent la rémunération des maîtres.), ce qui crée des problèmes de relations avec les riverains, les autres habitants de la ville, les autres corporations (rixes, aggravées par les rituels alcooliques des étudiants) ou les autres clercs qui voient d’un mauvais œil les professeurs accaparés prébendes et bénéfices. (ex. du contentieux entre le chapitre de Champeaux et le diocèse de Paris au sujet des terres capitulaires remises en bénéfices à Guillaume de Saint-Victor, un professeur parisien).
ð Exige un effort de mise en ordre et d’organisation.
B- … rapidement encadré par les autorités politiques :
Les troubles à l’ordre public créés par les étudiants et les querelles entre clercs pour les prébendes entraînent les premières interventions des autorités civiles qui vont accorder des statuts et des privilèges particuliers aux universités pour mieux les contrôler.
Ex. à Paris : 1205 : deux actes de Philippe Auguste :
- Privilège de l’université de Paris, qui exempte les étudiants et les maîtres de la justice ordinaire (for universitaire), crée une immunité sur le territoire de l’université, détache l’université de l’évêque et lui donne ses premiers statuts.
- Diplôme pour le chapitre de Champeaux par lequel celui-ci est remis en possession des prébendes attribuées à des maîtres de l’université.
Ces premières interventions, qui visent à encadrer les structures existantes, sont suivies d’autres dont le but est nettement plus politique : après que le roi de France a pris l’université de Paris sous sa protection, beaucoup d’autres princes européens craignent un manque de loyauté de leurs élites si elles continuent à être formées à Paris.
ð attribuent des privilèges du même type que celui de l’université de Paris quand il existe déjà des structures équivalentes (bulle pontificale pour Bologne, diplôme de Jean Sans Terre pour Oxford, Liège en terre d’empire, …)
ð ou bien créent des universités de toute pièce pour contrer les influences royale (Toulouse, 1231) ou étrangère (Salamanque et Tolède, créées par Alphonse X le Sage dans les années 1250, Cracovie…).
ð Ce phénomène a néanmoins ses limites : faute de maîtres, beaucoup d’universités mineures n’offrent pas un cursus complet et sont contraintes d’envoyer leurs étudiants finir leur formation à Paris, Oxford ou Bologne qui s’imposent comme les trois grands centres universitaires européens.
Ce phénomène concerne d'abord les pays d'Europe occidentale où la formation des Etats est la plus précoce (France, Angleterre, royaumes ibériques, royaume de Naples et république de Venise). Le Saint-Empire et les pays d'Europe centrale et septentrionale, où le pouvoir central reste faible ou éclaté ne sont concernés qu'à la fin du XIVème siècle.
D’abord issue d’un phénomène spontané et encadré par l’Église, les universités sont donc rapidement passées sous la protection des autorités laïques qui ont compris l’intérêt qu’elle pouvaient tirer d’une meilleure formation de leur clergé et de leurs administrateurs. C’est cet intérêt qui explique leur floraison et leur multiplication au XIIIème siècle, période de grande rivalité entre les princes. Il a permis de donner leur première structure aux universités.
II- L’organisation des universités :
Très vite, néanmoins, l’Église cherche à reprendre l’initiative dans l’organisation des universités, dont le but est avant tout de former des clercs et des théologiens. Il est donc hors de question pour le pape, et en particulier pour Innocent III qui occupe le siège de Pierre au début du XIIIème siècle et qui instaure une véritable théocratie pontificale, de laisser aux seuls laïcs le soin de contrôler et organiser les universités.
A- Des privilèges princiers à l’intervention pontificale :
Les premiers privilèges et statuts universitaires étaient des actes princiers ou royaux dont le contenu, bien que proche, différait d’un lieu à un autre. De plus, il était fonction de la puissance de chaque prince : le roi Philippe Auguste pouvait imposer aux étudiants parisiens des règles bien plus strictes que celles instituées à la même époque par le comte Trincavel pour l’université de médecine de Montpellier. De plus, ils s’intéressaient surtout à l’organisation matérielle des universités et au maintien de l’ordre public, mais n’intervenait absolument pas dans le contenu des programmes ou l’organisation des enseignements, dont chaque maître restait libre.
L’intervention pontificale (concile Latran III et IV, 1204-1215) va mettre un terme à ces disparités : les canons conciliaires imposent une organisation et un cursus unique dans toutes les universités. L’enseignement est réglementé pour correspondre aux savoirs attendus des clercs et éviter tout risque de développements hérétiques ou hétérodoxes. Pour établir de nouvelles universités, il serait désormais nécessaire d’obtenir une bulle pontificale. Celles qui avaient déjà été établies devaient obtenir confirmation de leur statut par la même voie, le diplôme du pape y instituant une organisation conforme aux décisions de Latran. D’abord contestées (grève des maîtres et des étudiants, « retrait » des universités de Paris à Orléans, ou d‘Oxford à Cambridge), ces décisions sont définitivement imposées par la bulle « Magna universitatum carta » de Grégoire IX du 13 avril 1231.
Des décisions des conciles de Latran et de Grégoire IX dérive donc toute l’organisation des universités au XIIIème siècle, celles-ci survivant partout en Europe jusqu’au début du XIXème siècle.
B- Structure des universités médiévales :
a- Répartition des pouvoirs et compétences :
Les universités restent théoriquement dépendantes de l’Eglise qui contrôle la nomination des maîtres, la collation des grades et le contenu des enseignements. Les étudiants doivent au moins recevoir les ordres mineurs. Cette dépendance est manifestée par la présence dans chacune d’elle d’un chancelier, représentant de l’évêque ordinaire (= évêque du diocèse où se trouve l’université). Néanmoins, beaucoup d’université jouissent du droit d’exemption accordé par les autorités laïques, et les conflits sont nombreux entre le chancelier, qui nomme les maître et colle les grades, et les professeurs et étudiants qui manifestent leur indépendance à l’égard de l’évêque. Son pouvoir est donc très restreint.
Le vrai chef de l’université est le recteur, assisté de son conseil, qui selon les cas est élu par les étudiants (Bologne, où les étudiants salarient les maîtres) ou les professeurs (Paris, Oxford, où les professeurs sont prébendés).
Les universités ont également un protecteur, souvent ecclésiastique (sauf à Paris où en 1215 Philippe Auguste institue comme protecteur le prévôt de Paris), qui est chargé de veiller au respect de leurs privilèges et exemption.
Mais la structure principale des universités médiévales est constituée par les « nations », c’est-à-dire des associations organisées en confréries (= universitates) regroupant les maîtres et les élèves par origine géographique, et qui sont le véritable cadre de l’organisation des enseignements, de la vie étudiante et des relations entre enseignants.
Ex. A Bologne, 2 nations : les cisalpins et les transalpins ; à Paris ; 4 : France, Normandie, Picardie, Angleterre ; à Montpellier, 3 : Provence, Bourgogne, Catalogne.
Chaque nation est dirigée par un procurateur qui est membre du conseil rectoral et l’administre.
Les étudiants venus d’un pays qui n’a pas de nations adhèrent à celle qui est la plus proche de leur région d’origine. Les nations sont donc divisées en « tribus », dirigées par un doyen qui assiste le procurateur.
Ex. : à Bologne, les Transalpins se subdivisaient en 14 tribus : Français, Picards, Bourguignons, Poitevins, Tourangeaux, Normands, Catalans, Hongrois, Polonais, Allemands, Espagnols, Provençaux, Anglais, Gascons.
A Paris, les Picards accueillaient les tribus picarde, flamande, hollandaise, allemande (elle-même subdivisée en sous-tribus bavaroise, saxonne, polonaise, bohême) et danoise (idem : Danois, Suédois, Norvégiens).
Les professeurs sont le plus souvent itinérants, ce qui permet l’échange des savoirs d’un pôle universitaire à l’autre.
Les universités jouissent de l’exemption (elle s’administre elle-même, le recteur et son conseil ont droit de justice sur tous les « sujets » de l’université, maîtres et étudiants, mais aussi copistes, libraires, parcheminiers, domestiques des élèves et des enseignants…) et du for universitaire (les autorités civiles ne peuvent intervenir dans une université, privilège maintenu jusqu’à aujourd’hui) et de privilèges octroyés par les autorités laïques (ex. l’université de Paris percevait une partie des tonlieux et octrois payés aux portes sud de Paris, était exempté des taxes à la foire du Lendit…).
b- Cursus universitaire :
A l’issue d’un premier cycle équivalent à notre enseignement secondaire, l’étudiant doit obtenir sa licence (= autorisation de poursuivre ses études), = baccalauréat.
Admis en second cycle, l’étudiant doit ensuite obtenir la licencia ubique docendi (autorisation d’enseigner, qui permet de devenir maître). = licence.
Cette formation initiale achevée, l’étudiant peut arrêter là son parcours ou bien se spécialiser dans une matière spécifique (droit, théologie, médecine) et passer sa maîtrise (= master) puis sa thèse qui lui ouvre le titre de docteur (es + matière étudiée) = doctorat. L’examen essentiel est la maîtrise qui donne droit au titre de maître des universités.
Il n’y a ni limite de temps ni condition de continuité dans les études. Les plus doués parcourent l’ensemble du cursus de licence en un an quand certains y traînent 10 ans. Les études doctorales étaient beaucoup plus brèves et formelles.
Les étudiants doivent participer à l’entretien des professeurs et des locaux en acquittant des droits pour suivre les cours et pour passer les examens (jusqu’à 100 livres tournois pour la maîtrise et le doctorat).
Sauf à Oxford, où un simple serment attestant le suivi des études est exigé, l’examen prend la forme de la disputatio (débat rhétorique contradictoire durant lequel l’étudiant doit soutenir une thèse).
La collation des grades est l’occasion d’une cérémonie solennelle lors de laquelle les étudiants recevaient un bonnet carré, marque de leur statut, et une toge ornée de bandes d’hermine équivalente à leur grade (bachelier : 1 ; licencié : 2 ; maître : 3 ; docteur : 4).
C- Le développement et l’intégration de structures annexes :
Concurremment aux structures d’enseignement universitaire issues de la fusion des écoles cathédrales et des cours privés, se formèrent au XIIIème siècle deux structures alternatives qui cherchèrent à tirer profit du succès des universités :
- les écoles monastiques et les couvents des ordres mendiants (surtout dominicains) ouvrirent leur enseignement aux étudiants. Ce fut à l’origine de vive querelle entre les universités et ces concurrents qui dispensaient un enseignement gratuit (cordeliers, jacobins) ou jouissaient d’exemptions plus anciennes qui leur permettaient de contester les droits de l’universités.
Ex. : à Paris, le prieur de Sainte-Geneviève, dont l’exemption couvrait une large partie de la rive gauche, revendiquait le titre de chancelier des universités. Certains de ces monastères organisent également des collèges (ex. Sainte-Geneviève = ancêtre du lycée Henri IV).
- Les collèges : à l’origine simples hôtels ou résidences pour étudiants pauvres, les collèges organisent rapidement des cours de propédeutique, puis de rattrapage ou de compléments délivrés par les assistants des maîtres de l’université. Peu à peu, en particulier en raison du manque de locaux, les maîtres prennent l’habitude de venir y délivrer directement leur enseignement, ce qui les transforme en structure d’enseignement permanent.
Ex. le collège de Sorbon, fondé en 1245, qui est à l’origine destiné au logement de 200 étudiants pauvres, mais qui devient dès les années 1270 le principal centre d’enseignement de l’université parisienne => Sorbonne.
Illustre réintégration de ces structures dans l’Université. Les collèges passe sous la juridiction des recteurs et doyens, les monastères exempts et couvents, qui ne relèvent que de Rome, sont exceptionnellement placés sous juridiction universitaire à partir des années 1250 dès lors qu’ils exercent une activité d’enseignement. Les écolâtres et professeurs mendiants sont soumis à l’autorité du chancelier pour la collation des grades.
Malgré les privilèges obtenus des autorités laïques et les tentatives d’émancipation des collèges et des ordres mendiants, les universités restent donc sous le contrôle étroit de l’Eglise qui les organise, et qui surtout veille scrupuleusement au contenu des enseignements qui doit être conforme à sa doctrine.
III- Le contenu de l’enseignement :
Cet enseignement est avant tout intellectuel et théorique, et orienté vers un seul but : être utile à l’Eglise. La théologie et le droit canon sont les deux disciplines reines. Les innovations sont jugées avec prudence et les enseignements utiles socialement (droit civil, médecine), s’ils se développent avec l’aide des autorités laïques, restent dévalorisés.
A- Les arts libéraux et la théologie :
L’enseignement se divise en deux grandes parties placées de part et d’autre de la licence :
- le quadrivium : formation initiale qui devait donner aux étudiants les bases nécessaires à la poursuite de leurs études : grammaire (= pratique de la langue, incluant la grammaire au sens propre, l’orthographe, la littérature et l’histoire), rhétorique (art de bien parler), arithmétique (calcul (algèbre importé du monde musulman au XIème siècle) et logique (construction du raisonnement) = arts libéraux.
- le trivium : musique, géométrie et philosophie (ou, dans certaines universités, astronomie).
L’enseignement du quadrivium précède le baccalauréat, celui du trivium permet l’accès à la licence. Ils peuvent être enseignés par tout titulaire de la licencia ubique docendi.
Les étudiants de maîtrise et de doctorat se consacrent à l’étude du droit, de la médecine et de la théologie, qui est la matière la plus valorisée.
L’enseignement du droit se limite donc souvent au droit canon (décret de Gratien) qui préparé à l’étude de l’enseignement.
Néanmoins, les apports extérieurs nombreux au XIIIème siècle permettent d’enrichir et de diversifier cet enseignement.
B- Aristotélisme, averroïsme et essor de la scolastique :
Les croisades et la reconquête espagnole ont mis la chrétienté en contact avec Byzance et surtout avec le monde musulman, culturellement très en avance au Moyen Âge. Cela permet notamment la redécouverte des penseurs antiques, et en particulier d’Aristote, qui avait été traduit et commenté par les savants arabes, et en particulier Averroès / Ibn Rush qui avait réussi la synthèse de l’aristotélisme et du monothéisme. Le treizième siècle connaît une intense activité de traduction de l’arabe au latin dans les universités espagnoles de Salamanque et de Valence et à Tolède, siège d’une grande bibliothèque arabe. Ces manuscrits circulent ensuite rapidement à travers toute l’Europe, modifiant les conceptions alors en usage, fondées sur le néo-platonisme des pères de l’Eglise.
ð retour à la logique, fondement de la théorie aristotélicienne : dès les années 1150, sic et non d’Abélard (une chose ne peut être vraie et fausse en même temps).
ð Pensée syllogistique (prémisse majeure, prémisse mineure, conclusion)
ð Développement de la pensée dialectique (raisonnement thèse – antithèse – synthèse)
De telles idées sont d’abord condamnées par l’Eglise (autodafé des œuvres d’Aristote à Paris en 1245).
Saint Thomas d’Aquin, dominicain italien qui enseigne à Paris vers 1250-1260 réussit la fusion de la théologie chrétienne et de l’aristotélisme, qui est désormais accepté en occident (Summa Theologica = ambition de donner une explication chrétienne du monde dans son entier)
ð fonde la pensée scolastique (des écoles), qui reste dominante en Europe jusqu’au XVIème siècle et constitue le premier pas vers l’organisation d’une philosophie autonome à l’égard de la théologie.
ð Mais multiplications des querelles (nominalistes contre naturalistes par exemple).
En droit, l’apport majeur vient de Byzance (traduction des manuscrits grecs pillés à Constantinople en 1204 à Padoue) avec la redécouverte de l’œuvre de Justinien (les digestes = CIC) et du droit romain, qui permet l’essor d’un enseignement du droit civil, soutenu par les autorités laïques. => début de la codification écrite des coutumes sous Louis IX.
C- Essor d’enseignement spécialisés mais dévalorisés :
De tels enseignements autonomisés des exigences religieuses et plus techniques se développent au XIIIème siècle :
- l’algèbre et la géométrie euclidienne, utilisés pour la gestion des domaines et trésors publics (développement des comptes publics avec la création de la chambre des comptes, de l’échiquier) et en architecture (art gothique). Mais cet enseignement reste informel et n’est validé par aucun diplôme.
- La médecine, qui reste prisonnière des prescriptions ecclésiastiques interdisant les autopsies de cadavre, et se limite à la lecture des médecins antiques (Gallien) et musulmans (Avicenne / Ibn Sina). La faculté de Montpellier se spécialise dans ce savoir, ce qui lui vaut le mépris des maîtres des autres universités.
- La physique, héritage d’Aristote, pour qui elle est la connaissance de la nature en général. Elle reste néanmoins déchirée entre un enseignement classique strictement théorique orienté par des conceptions non-expérimentales (terre plate au centre du monde…) et des pratiques confinant à l’ésotérisme (alchimie, astrologie).
Conclusion :
Structure bien encadrée et structurée, aux buts définis, rassemblant les meilleurs spécialistes de l’époque, les universités ont généré une véritable expansion intellectuelle qui permet à l’Occident de reprendre la main dans ce domaine, face à une civilisation musulmane alors en perte de vitesse. Elles restent néanmoins aux mains de l’Eglise qui en contrôle les enseignants et l’enseignement, limitant au maximum les innovations de peur de dérives hétérodoxes. Il faut attendre les humanistes du XVIème siècle pour que cette tutelle soit remise en question.
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Paris sous Philippe Auguste
01/04/2007 14:57
Introduction :
Présentation, nature des documents et analyse :
Quatre sources très différentes qui livrent un panorama de la ville de Paris entre 1170 et 1223.
La première est une source poétique, caractérisée par une emphase propre au genre (l’éloge, texte destiné à vanter les mérites d’une personne => personnification de Paris) qui multiplie métaphores et hyperboles. Elle nous livre un portrait de la ville en détaillant sa situation, un donnant une esquisse de son plan et en insistant sur le fait que Paris est une ville royale qui connaît à la fois une grande prospérité marchande et une grande renommée intellectuelle.
La seconde est un diplôme royal du roi Louis VII qui accorde le privilège du commerce aux marchands de l’eau de Paris. Á un protocole initial très simple, sans préambule, et dont l’exposé se borne à rappeler que ce privilège avait déjà été accordé par Louis VI, succède un dispositif plus long qui réserve le commerce sur la Seine entre Mantes et Paris aux seuls marchands parisiens et menace de confiscations tous ceux qui enfreindraient ce monopole. L’eschatocole, lui aussi très simple, ce limite à une formule de conservation très normée, au datum, et à la liste classique des seings des quatre officiers palatins et du chancelier. Ce texte, de peu antérieur au règne de son fils Philippe Auguste, resta en application sous celui-ci.
La troisième est un cours extrait des Gesta Philippi Augusti du moine Rigord de Saint-Denis, dans lesquelles il nous livre une histoire du règne de Philippe II de 1186 à 1196. Ici, il s’intéresse à la décision qui fut prise par ce roi de paver les rues de la ville.
Enfin, le quatrième document est un plan composé par un historien contemporain à partir des sources historiques et archéologiques, et qui nous donne une idée de l’apparence générale et de l’organisation de Paris à la fin du règne de Philippe Auguste.
Auteurs :
Seuls deux des quatre documents ont un auteur identifié : le premier a été écrit par Guy (ou Guillaume) de Bazoches, poète dont le surnom indique qu’il était étudiant à Paris et vécu dans le milieu de l’université (la basoche = le monde étudiant parisien et, par extension, la vie étudiante + ou – synonyme de bohême au Moyen Âge). On sait peu de choses sur lui.
Rigord de Saint-Denis est mieux connu. Moine du grand monastère royal installé au nord de Paris, il s’inscrit dans la tradition historiographique de ce dernier, qui remonte à l’époque mérovingienne et fut revivifier par l’abbé Suger sous les règnes de Louis VI et Louis VII. Á partir du XIIème siècle, Saint-Denis devient le centre de l’historiographie officielle des Capétiens, et Rigord écrit une histoire de Philippe Auguste (dont il est l’inventeur du surnom) qui constitue un véritable panégyrique rédigé du vivant de ce roi.
Dates :
L’éloge de Paris de Guy de Bazoche est datable de 1175, puisqu’il fait référence au récent avènement de Philippe Auguste dans son poème.
Le diplôme de Louis VII pour les marchands de l’eau est daté de 1170, c'est-à-dire de l’année qui, dans notre calendrier, va de la Pâques 1170 à la Pâques 1171. Aucune autre précision n’étant donnée dans le datum de l’acte, il n’est pas possible de la dater plus précisément.
Les Gesta de Rigord ont été rédigées avant 1196, date à laquelle elles sont interrompues par la mort de leur auteur. Elles sont donc très proches des faits rapportés.
Enfin, la carte de J. Boussard remonte à 1976. C’est actuellement la représentation classique du Paris de Philippe Auguste.
Critique :
Les derniers apports de l’archéologie ont pourtant permis de la compléter (en particulier pour le quartier du Louvre) ou de la remettre ponctuellement en cause.
Le deuxième document ne pose aucun problème de critique puisqu’il est ce pour quoi il se donne.
Les deux textes qui présentent le plus de difficultés sont l’éloge de Paris et l’extrait des Gesta de Rigord. Tous deux ont en commun leur caractère mélioratif qui les conduit à multiplier les exagérations et les déformations afin de vanter leur sujet. Néanmoins, une fois débarrassés de leurs oripeaux emphatiques, ils fournissent des informations très fiables car très contemporaines des faits.
Contexte :
Ces quatre documents mettent en valeur l’évolution de la ville de Paris dans une période où cette cité bénéficie de trois facteurs de développement :
- un contexte général de croissance des villes et des activités marchandes et artisanales qui s’y concentrent, marqué par l’essor des bourgeoisies urbaines qui jouent un rôle croissant dans leur administration ;
- un contexte d’essor du pouvoir royal dont Paris est la principale base et qui en fait la principale ville du domaine royal et, très vite, du royaume ;
- un contexte de développement des études juridiques et théologiques au sein de ce qui va se formaliser, sous Philippe Auguste, comme l’Université de Paris, et qui fait de la cité, avec Bologne et Oxford, l’un des principaux centres culturels d’Occident.
Bilan :
Ces quatre sources jettent un éclairage croisé et complémentaire sur la situation de Paris au tournant des XIIème et XIIIème siècles. Le caractère emphatique de deux d’entre elles met particulièrement en valeur les qualités et les avantages sur lesquels elle a pu fonder sa prospérité. Mais l’étude attentive des deux autres permet de trouver des explications qui viennent en renfort de cette présentation, confirmant que Paris était bien, sous Philippe Auguste, dans une phase exceptionnelle de croissance et de développement.
Problématique :
Pourquoi Paris devient-elle, sous Philippe Auguste, sinon la capitale, du moins la principale résidence du roi, et la plus grande ville du royaume de France si ce n’est d’Occident ?
I- Une ville riche et prospère :
A- Un site privilégié connecté aux nouvelles voies du commerce :
- site en amphithéâtre naturel bien protégé.
- Seine permet accès facile à la Manche, au Nord de l’Europe par l’Oise, à l’Est et à la Bourgogne par la Marne et l’Yonne (Foires de Champagne).
- agriculture riche fondée sur les céréales (France, Brie, Beauce) et la viticulture.
- mais limites : Paris est cernée de marécages sur la rive droite, très proche de Rouen, capitale des possessions normandes des Plantagenêt, menacée par les crues.
B- Un grand centre commerçant :
Éloge de Paris insiste sur la quantité de marchandises qui affluent dans la capitale grâce aux marchands de la Seine, dont les privilèges (doc. 2) illustrent l’importance. Leur monopole jusqu’à Mantes leur assure également la circulation sur l’Oise.
Le grand pont est bordé d’échoppes et de commerces (référence à la profusion de marchandise dans l’Éloge).
Le plan met en valeur deux grands centres marchands sur la rive droite : les champeaux, couverts en halle sous Philippe Auguste, grand marché qui draine les productions de tout le Bassin Parisien, et la place de Grève, lieu de rassemblement des ouvriers de l’artisanat qui cherchent un patron.
C- Un grand centre intellectuel :
Multiplication des écoles et des grands maîtres (Abélard, Guillaume de Saint-Victor) au XIIème siècle, et indépendance croissante à l’égard de l’école cathédrale (évoquée dans l’éloge comme lieu d’enseignement et de culture sur l’île de la Cité).
Le petit pont, lieu de rendez-vous des « philosophes » selon Guillaume de Bazoche était bordé par les échoppes des libraires, copistes, marchands de parchemins et de plumes…
Bien situé aussi bien au cœur du domaine royal que sur les voies de communication européennes, Paris bénéficie de cette position pour développer son influence marchande et culturelle. Cette double spécificité contribue à modeler l’organisation de la ville.
II- Trois villes en une :
A- La rive droite : la ville des marchands.
Plan : Importance des grands axes de communication (rues Saint-Denis, Saint-Martin, Saint-Honoré et Saint-Antoine) qui sont pavés sous Philippe Auguste (texte 3) et du port (la grève => place de grève).
Présence du Temple (couvent des templiers) hors les murs, au Nord, qui est un grand centre bancaire.
Au Nord des murailles également, au-delà de la porte Saint-Denis, le Lendit (plaine au pied de la colline de Montmartre) accueille chaque année une grande foire internationale connectée aux foires de Champagne.
C’est cette rive, marquée par une forte densité urbaine, de population et d’activité, qui croît le plus aux XIIème et XIIIème siècles et qui montre le plus le phénomène d’expansion urbaine et économique du Moyen Âge central. (Paris est la plus grande ville d’Occident en 1200, avec 50 000 hab.)
B- La rive gauche : l’Université en gestation.
V. leçon sur l’Université.
Abondance des églises monastiques, avec les trois grands centres de Sainte-Geneviève, Saint-Germain des Près et Saint-Victor, dont les écoles expliquent en partie l’essor intellectuel de cette rive. Cette occupation monastique, avec ses dépendances (jardins, vergers, vignes) explique que cette rive soit beaucoup moins densément peuplée et urbanisée que l’autre.
C- L’Île de la Cité : le centre du pouvoir.
Deux pôles : Palais royal – groupe palais épiscopal et cathédrale Notre Dame (dont la reconstruction en style gothique débute sous Philippe Auguste, qui la finance en partie). L’évêque de Paris, Pierre de Sully, est un fidèle de Philippe Auguste.
C’est au palais que le roi réside le plus souvent, qu’il fait déposer ses archives et sa couronne, qu’il tient ses assises judiciaires. De plus en plus de diplômes royaux sont donnés au palais en son nom sans qu’il y soit présent.
III- Une ville qui concentre les pouvoirs :
A- les instances locales : prévôté, prud’hommes, corporations :
Châtelet = résidence du prévôt, agent seigneurial qui administre Paris au nom du roi.
Assisté par des « prud’hommes », conseillers choisis parmi les marchands de l’eau qui s’organisent en corporation (association professionnelle monopolistique).
L’administration de Paris s’appuie de plus en plus sur ces corporations, dont l’essor économique et commercial favorise la formation.
Malgré tout, Paris reste une exception : alors que le roi accorde le droit de commune (droit de s’administrer soi-même, d’être son propre seigneur) à toutes les villes, qui sont gérées par des conseils municipaux (échevins, consuls, capitouls), Paris reste seigneurie du roi qui en conserve le contrôle.
B- Une ville « ceinte du diadème de la dignité royale » :
Cela s’explique par le rôle que joue cette ville dans le gouvernement royal.
Principale résidence + quand il n’est pas à Paris, Philippe Auguste réside à Vincennes, Saint-Germain en Laye … donc près de Paris.
Lieu de dépôt des archives, de la couronne et du sceau, du trésor (au Louvres).
Lieu d’organisation des premières institutions permanentes (cour de justice royale, cour des comptes).
ð commence à jouer le rôle de capitale au moins du domaine, sinon du royaume.
ð Ce rôle est renforcé par la conquête de la Normandie (1201-1204) qui la met à l’abri de la menace Plantagenêt.
C- Les manifestations urbaines de la puissance royale :
Ce rôle nouveau transparaît dans l’action urbanistique du roi :
- pavage des rues (texte 3) qui favorise grandes manifestations publiques (entrée du roi) + rappel de l’urbanisme antique par pavage de quatre rues qui forment le kardo et le decumanus.
- Murailles, facteur d’unification de la cité.
- Louvre, symbole du pouvoir du roi sur la rive droite et donjon du roi, où affluent les prélèvements opérés dans tout le domaine royal.
- Construction d’un troisième pont (Pont Notre-Dame)
- Participation à la reconstruction de Notre-Dame.
Conclusion :
Paris, « ville du roi et reine des villes » ?
- Paris prend de plus en plus les traits, au fil des XIIème et XIIIème siècle, d’une capitale où, à défaut du roi, l’autorité royale est sans cesse présente à travers ses attributs. L’action de Philippe Auguste qui y a fixé définitivement le trésor, les archives, la cour de justice royale et les insignes royaux a été déterminante dans ce domaine.
- Néanmoins, les documents illustrent bien que la seule action du roi n’explique pas l’essor de Paris autour de 1200. La ville profite aussi d’un essor commercial et intellectuel général dont sa position lui permet particulièrement de tirer parti. Les rois ont accompagné cette évolution, en particulier en la favorisant par leurs diplômes et leur législation, mais ils ne peuvent en être tenus pour responsables.
L’essor de Paris est donc lié à la conjonction d’élément divers dont la ville a été comme le catalyseur, ce qui a contribué à en faire, au siècle suivant, la plus grande ville de la chrétienté. En outre, par son action, Philippe Auguste a été le premier des souverains français à entreprendre de laisser dans la pierre des monuments parisiens une trace de son règne, habitude qui s’est conservée jusqu’à nos monarques républicains contemporains.
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Seigneurs et paysans : accord entre l’abbé de Saint-Victor de Marseille et les chevaliers de Saint-Martin de Brômes (9 novembre 1182)
24/03/2007 00:18
Illustration : le village de Saint-Martin de Drômes. Le village actuel a conservé la structure du village médiéval, groupé autour de la "tour de l'horloge", ancien donjon seigneurial, et ceint d'un boulevard établi sur l'emplacement des murailles du castrum. Il présente un bel exemple d'encellulement, dont la forme rappelle celle des castelnaus.
Introduction :
Nature du document :
Une notice de jugement issue d’un cartulaire (recueil d’actes publics et privés élaboré par une personne juridique afin d’assurer la défense de ses droits, la majorité de ceux que l’on conserve sont issus d’institutions monastiques, mais il existait aussi des cartulaires laïcs). La notion de « transaction ou accord à l’amiable » qui en précise le contenu li. 1 permet d’en préciser la nature : en fait c’est une convention féodale qui précise les obligations des chevaliers, qui sont vassaux, envers leur seigneur, l’abbaye de Saint-Victor. Le document est rédigé en style objectif, ce qui rend vain tout effort de critique autre que l’analyse interne qui conclut à sa véracité => document fiable, essentiellement descriptif, qui rend compte d’une situation en un temps t.
Auteur :
Le scripteur est un notaire visiblement non professionnel au vu de la construction hésitante (rajout à la fin du texte), ce qui témoigne de l’absence de spécialiste des écritures juridiques. Les commanditaires sont
- (le comte) Bertrand de Saint-Maximin (Var, à une dizaine de kilomètres à l’Est d’Aix-en-Provence et à une vingtaine de kilomètres au sud de Saint-Martin de Brômes, site d’un important prieuré de Saint-Victor) = sans doute le seigneur lige des chevaliers de Saint-Martin et de Brômes. Il représente la plus haute autorité laïque dans la région
- Dactyle, dont le nom indique que c’est un religieux. Il est peut-être le prieur de Saint-Maximin, dont dépendait le prieuré d’Esparon (hiérarchie des prieurés typique de l’ordre bénédictin après la réforme clunisienne), ou bien un spécialiste du droit qui assiste le comte lors des procès.
ð jugement rendu par deux autorités, l’une laïque l’autre monastique, qui sont parties prenantes du contentieux, mais sont hiérarchiquement supérieures aux demandeurs.
Date : 1182, le quantième se calcule aisément : saint Martin est le 11 novembre : 11-2 = 9 novembre. Noter le caractère symbolique de cette référence par rapport au nom du village. Analyse :
Le protocole initial, très simple, se limite aux titulatures des juges et des demandeurs. Suit un long dispositif sans notification qui détaille dans un premier temps les obligations des chevaliers envers leur seigneur (li 4-23) et dans un second, le partage des revenus seigneuriaux entre les deux parties (li. 23-40). L’eschatocole multiplie les précautions pour que les engagements pris soient respectés : serment, condamnation pécuniaire, témoins, scellement et chyrographe (l’acte est rédigé sur une unique feuille de parchemin, on inscrit l’alphabet entre les deux versions, puis le feuillet est découpé au milieu de cette inscription). = garanties contre la violation de l’acte, mais aussi contre son éventuelle falsification qui permettrait à l’une des partie de revendiquer des droits qu’elle n’a pas. => témoigne d’un progrès de l’écrit dans le droit.
Contexte :
La Provence de la fin du XIIème siècle est dans une situation ambiguë : elle est officiellement terre d’empire, mais le comte de Provence, qui est issu de la branche cadette des comtes de Barcelone, ne prête plus hommage à l’empereur. Les liens avec le comté de Toulouse tendent à la rapprocher du royaume de France, mais le comte ne prête pas plus hommage au roi. Le comté est donc de fait indépendant, même s'il se trouve dans la sujétion des comtes de Barclone, roi d'Aragon. Le comte de Provence s’appuie sur un réseau de comtes secondaires pour administrer ses Etats. L’émiettement féodal y est particulièrement important et la réalité du pouvoir est donc aux mains des seigneurs et en particulier du plus puissant, l’abbaye Saint-Victor de Marseille, qui jouit de l’exemption (elle est indépendante des autorités civiles) et dont les immenses possessions forment un « Etat dans l’Etat ».
Le temporel de l’abbaye avait été largement accaparé par les puissants laïcs qui en avaient remis des parties entières en fief à leurs vassaux. A partir de la fin du XIème siècle, Saint-Victor reprend le contrôle de son temporel et renforce son contrôle sur les chevaliers et seigneurs qui en avaient reçu des parties en fief, dont elle partage l’hommage avec leurs seigneurs liges, d’où la multiplication des contentieux à propos du partage des revenus entre ces vassaux, les moines et les suzerains, dont témoigne ce texte.
Bilan :
Ce texte nous éclaire donc sur le fonctionnement de la société féodale en Provence à la fin du XIIème siècle, mais aussi sur la domination seigneuriale que les différents seigneurs, laïques ou ecclésiastiques, faisaient peser sur les paysanneries placées dans leur dépendance.
Problématique :
A ce titre, il montre bien que la seigneurie est d’abord constituée d’un ensemble de revenus tirés des hommes qui la peuple, et l’on peut se demander quels enjeux représentaient le partage de ces revenus et en quoi le système féodal s’appuyait d’abord sur la rente fournie par le système seigneurial.
I- Seigneurs et paysans :
Le texte met en scène des seigneurs qui se partagent des revenus prélevés sur la paysannerie. Si elle n’apparaît jamais nommément dans le texte, celle-ci est donc toujours présente en filigrane comme enjeu du partage entre les puissants. Il faut donc chercher à comprendre ce qui l’en distingue.
1- Deux catégories distinguées par leurs obligations :
li. 23-26 : les chevaliers sont dispensés du droit de fournage et (c’est sous entendu) de tous ceux décrits ensuite : la distinction sociale entre seigneurs et paysans se fait donc sur ce critère : les paysans sont ceux qui doivent les redevances, tandis que les seigneurs ont des obligations spécifiques décrites dans les lignes qui précèdent.
Quelle différence faire entre ces redevances et ces obligations ?
ð les obligations des chevaliers envers leur seigneur sont librement acceptées, puisque le texte est un « accord à l’amiable » (li. 1 et 42). Elles relèvent du système féodal, c'est-à-dire des relations consentie et contractualisée entre détenteurs du pouvoir.
ð Les redevances dues par les paysans ne font au contraire l’objet d’aucune transaction. Elles sont un fait acquis, détaillé en tant que tel dans la notice. Elles relèvent di système seigneurial, c’est-à-dire de la domination exercée par les seigneurs sur le reste de la société.
Il faut donc s’attarder sur l’étude de chacune de ces catégories dont les obligations respectives structurent le texte.
2- Seigneurie laïque et ecclésiastique :
li. 51 : « et beaucoup d’autres, moines et laïques » : Le texte fait apparaître deux types de seigneurs :
li. 2 : Bertrand de Saint-Maximin
li. 3-4 : Rostand et Bertrand de Brômes
li. 4-5 : Guillaume et Raimond de Saint-Martin
li. 50-51 : Bertrand d’Esparron, Isnard de Roumoules.
Ceux de cette première liste ont un titre qui s’attache à leur seigneurie. La distinction entre Saint- Martin et Brômes renvoie à l’existence de deux sites originels. Les trois derniers, qui n’ont pas de titre, doivent être de simples chevaliers sans fief. Leur appartenance à un même groupe est soulignée par l’onomastique, qui dérive directement de celle de la famille comtale (processus d’imitation du prince fréquent, v. Flandre où la majorité des nobles s’appellent Arnoul ou Baudouin).
Ces personnages sont des seigneurs laïcs, qui se caractérisent par leur appartenance à la chevalerie (li. 3 : les chevaliers de Saint-Martin)..
li. 2-3 : Astorge, abbé de Saint-Victor de Marseille.
li. 43 : Jean de Cabrerer, prieur d’Esparron, et quelques autres moines.
Cette seconde liste rassemble des membres de l’ordre monastique (abbé, prieur, moine). Un prieur est le second d’une abbaye, où le chef d’une communauté monastique dépendante d’une abbaye (= un prieuré). Le réseau des prieurés est un moyen de contrôler la gestion des seigneuries appartenant à l’abbaye, surtout quand, comme ici, elles sont relativement éloignées (Saint-Martin est à une cinquantaine de kilomètres de Marseille) : les prieurés d’Esparron et de Saint-Maximin sont autant de relais entre Saint-Victor et Saint-Martin de Brômes : Esparron est à 5 km au sud de Saint-Martin, Saint-Maximin à mi-chemin entre Marseille et Esparron. L’église de Saint-Julien le Montagnier (li. 49), à une 10aine de km au sud d’Esparron, sur la route de Marseille, était sans doute aussi une dépendance de Saint-Victor.
La seigneurie ecclésiastique est donc collective, car c’est le saint (ici Victor) qui est théoriquement seigneur. L’ensemble de la communauté et des communautés dépendantes gèrent donc les seigneuries en son nom, d’où l’intervention collective, ici, de l’abbé, du prieur et des moines. Cette organisation en réseau permettait aussi une gestion plus efficace, dont témoigne l’existence et la conservation de cartulaires comme celui dont est extrait cet acte.
Le nom du prieur d’Esparron révèle que les moines sont issus du même milieu aristocratique que les seigneurs laïcs. S’il n’y a pas de différence fondamentale entre seigneurs laïcs et ecclésiastiques, il existe bien, par contre, une compétition entre eux pour le contrôle des revenus et des paysans qui les fournissent.
3- Des paysans absents du texte mais sans cesse présents en filigrane :
Les paysans de Saint-Martin de Brômes n’apparaissent pas directement dans le texte. Ils n’ont rien à dire sur le partage des droits seigneuriaux qui pèsent sur eux. Ils ne sont évoqués qu’une fois li. 24 comme « les hommes de Saint-Martin ». Dans le langage féodal, la forme « homme de… » désigne un dépendant. Cela est confirmé par le fait qu’ils apparaissent comme ceux sur qui les seigneurs ont « des droits » (li. 23 « droit de fournage »).
Quelques informations sur leurs conditions de vie peut-être tirée du texte : les chevaliers sont titrés de deux localités différentes, Saint-Martin et Brômes. Or, le texte évoque un unique village de Saint-Martin de Brômes. L’étude du site révèle qu’il y avait bien à l’origine deux localités de part et d’autre d’une vallée. Leur jonction n’était pas réalisée au XIème siècle, période de fixation des seigneuries, mais l’était en 1182, ce qui témoigne d’un certain dynamisme démographique. Malgré les redevances acquittées, ces villageois devaient donc bénéficier de relativement bonnes conditions de vie, ce qui est confirmé par le fait que des paysans ont des bœufs d’attelage (li. 28).
Leur présence est également sous entendue par les obligations des chevaliers envers le monastère : ceux-ci doivent « héberger l’abbé deux fois par an et ceux qui l’accompagnent sans limitation de nombre.» (li. 20), le nourrir (li. 56-58) et lui bâtir une « maison d’une élévation de quatre cannes et avec des murs de quatre pans d’épaisseurs » (li. 38-40) = une bâtiment de 8m de haut avec des murs de 2m d’épaisseur. Ca n’est donc pas à proprement parler une maison, mais plutôt une bâtisse seigneuriale destinée à la perception et à la conservation des redevances (= une grange). Il est clair que les chevaliers ne vont pas « construire » eux-mêmes la grange, mais utiliser le travail de leurs paysans pour se faire. De même, le repas offert à l’abbé et à sa suite n’est pas le fruit de leur travail (un chevalier ne travaille pas, au risque de déroger) mais des revenus tirer de la seigneurie.
Le texte n’envisage donc les paysans que comme une source de revenus et de services pour les seigneurs. La domination de ces derniers, quel que soit leur statut ou leur rang, s’exerce d’abord par l’exercice de droits sur les populations. Il faut donc s’intéresser à la nature de ces droits.
II- Les revenus de la seigneurie :
Les revenus de la seigneurie se décomposent en deux grands types de droits que nous allons étudier successivement :
- li. 16 : « la terre de Saint-Martin » = des droits fonciers qui dérivent de la propriété éminente de la terre qu’ont les seigneurs, qui n’en laissent que l’usage (ou propriété utile) aux paysans.
- Li. 24 « le droit de fournage sur les hommes de Saint-Martin » = des droits banaux, qui dérivent du droit de ban et sont des droits sur les hommes (droit de les faire payer en échange d’un service).
1- Les droits fonciers :
Le « terroir » de la seigneurie (li. 36 = les terres constituant la propriété foncière des seigneurs) est divisée en deux parties :
- les tenures, sur lesquelles vivent et travaillent les paysans (= les tenanciers) et pour laquelle ils doivent divers redevances recognitives (= loyer de la terre) : les oublies (li. 29) derrière lesquels on peut reconnaître un prélèvement sur la production céréalière ; « les deux jambes du porc qu’il a nourri » = les jambons, partie la plus fine de la bête = taxe sur l’élevage ; « les quartons de vigne » = taxe sur la production viticole. Ces redevances s’acquittent en nature, à part de fruit (quarton = le quart de la récolte). Il devait en exister d’autres qui ne sont pas détaillés car ils restent entre les mains des chevaliers (organisation des repas pour l’abbé montrent qu’ils avaient plus de revenus que cités ici).
- La réserve, que les seigneurs mettent eux-mêmes en valeur. Elle semble être revenue à l’abbaye (« si les moines où leurs clercs cultivent leur terre avec leur propre charrue ») en raison de l’obligation de travail qui est faite aux moines par la règle. En fait, cette mise en valeur est assurée surtout par les « clercs » (= frères lais, religieux de moindre rang qui ne prononcent que des vœux partiels) et par la corvée exigée des tenanciers, qui est une autre forme de redevance prise sur la force de travail.
Ces redevances donnent en outre une image de la structure agraire du terroir de Saint-Martin : un ager (plateau et vallée) voué à la culture céréalière (pains, charrue, moulin) et un saltus (sans doute le revers du plateau) consacré à l’élevage porcin et ovin (présence d’un moulin à foulon).
ð les droits fonciers sont donc prélevés sur le fruit du travail et sur la force de travail.
2- Les droits banaux :
La même complémentarité se retrouve dans les droits banaux, qui sont ici plus détaillés, car ils semblent avoir été systématiquement partagés entre les chevaliers et l’abbaye :
- li. 23 « le droit de fournage » ; li. 34 « le paroir » (moulin à foulon) ; li. 35 « le moulin » : les banalités, droit d’usage des équipements collectifs construits et entretenu par les seigneurs (confirmé par réglementation du droit de construction des moulins, li. 37 : « les chevaliers ne peuvent construire un moulin sans l’autorisation des moines. »). Ceux-ci ont donc un monopole sur ces aménagements et peuvent contraindre, par leur droit de ban, les paysans à les utiliser. Ces revenus doivent être importants car l’accord prévoit des conditions strictes pour que l’un des seigneurs ne puissent en détourner une partie à son seul profit (en édifiant un nouveau moulin, par ex.)
- Li. 38-40 : construction d’une « maison » pour les moines. On a déjà vu que ces travaux ne peuvent être exécutés par les chevaliers eux-mêmes => recourt à une autre forme de corvée = corvée banale, journée de travail due par les paysans, normalement pour l’entretient du château ou des ponts. Elle est ici utilisée pour réaliser cet aménagement.
« le castrum et la terre de Saint-Martin » : Le droit de ban s’exerce sur le territoire de la seigneurie, le « terroir » (li. 32 et 36). Il est constitué du centre du pouvoir seigneurial, le castrum, qui ici n’est pas un château : tout le site de Saint-Martin est fortifié (citadelle) et dominé par une tour où réside les chevaliers. La population y est concentrée (« les habitants actuels du castrum et ceux qui y viendront après », li 30-31) = encellulement, qui favorise le contrôle des paysans par les seigneurs.
Les droits des seigneurs ont donc deux bases, l’une foncière, l’autre banale. Les seconds devaient être les plus rentables, puisque ce sont ceux que les moines et les chevaliers se partagent avec le plus de soins. Reste à comprendre les origines de ce partage.
III- Les seigneurs entre eux :
Le texte jette un éclairage sur les conditions concrètes du partage, les liens existant entre les chevaliers de Saint-Martin et l’abbaye marseillaise, mais reste muet sur les origines de ce partage, qu’il faut donc chercher à élucider.
1- Les conditions de mise en œuvre de l’accord.
L’accord est issu d’une transaction qui met visiblement fin à une querelle entre les chevaliers de Saint-Martin et l’abbaye Saint-Victor à propos des droits seigneuriaux de Saint-Martin de Brômes. (li. 1 et 42) Cette procédure transactionnelle était la plus efficace dans une société où aucun pouvoir n’avait les moyens de contraindre un seigneur à l’application d’un jugement.
De nombreuses précautions (clauses conservatoires, serment, témoignages, chyrographe et scellement) sont prises pour assurer l’exécution de l’accord, qui est conclu symboliquement dans un lieu placé entre Saint-Martin et Marseille (Saint-Julien est à une quinzaine de km de Saint-Martin, et à une trentaine de km de Marseille), même si le rapport des serments montre que l’abbé, bien que cité dans les titulatures, ne s’est pas déplacé mais s’est fait représenté par le prieur d’Esparron.
L’accord se fait à part égale pour les redevances foncières. (li. 26-27 ; li. 29-30 et 32-33), à la nuance vue plus haut. Par contre, les droits banaux reviennent majoritairement aux moines qui s’attribuent seuls le four et le paroir et réglemente l’établissement de nouveaux moulins afin de préserver leurs revenus. Ils détournent en outre une partie des droits des chevaliers (corvée de construction) à leur profit et bénéficie de droits à l’égard de ces mêmes chevaliers, détaillés des lignes 4 à 23.
Comment expliquer ce déséquilibre entre les deux partenaires ?
2- Des chevaliers vassaux d’une abbaye.
Le début du dispositif (li. 4 à 6) apporte une explication simple : les chevaliers sont vassaux (« hommage et fidélité ») du monastère marseillais, dont ils tiennent le castrum de Saint-Martin en fief (« chevaliers fieffés »). Ils tiennent donc le castrum (symbole du ban) de l’abbé, qui est leur seigneur au sens féodal/suzerain (li. 8). (ATTENTION !!!!!! ambiguïté du terme seigneur). Comme dans toute convention féodale, la suite détaille donc les obligations des vassaux envers leur seigneur en insistant sur l’auxilium militaire (« aide et force », li. 9), ce qui peut être relié à leur statut de chevalier, qui ont donc d’abord une mission de protection des biens de leur seigneur :
- assistance en cas de guerre (guerres féodales fréquentes dans ce comté où les pouvoirs englobants sont faibles et lointains) ou de plaid (procès, c’est-à-dire témoigner ou prêter serment) (li. 10-11) = concilium et auxilium, avec précision « aux frais du monastère » : les chevaliers sont de petits seigneurs dont les moyens ne suffisent plus à couvrir de tels frais, ce qui témoigne aussi de l’augmentation du coût de l’équipement guerrier, en constante amélioration. Cette obligation est complétée par celle de se livrer comme otage pour l’abbé (, qui en est le corollaire (otages = garantie dans les traités de paix et les procès).
- Devoir d’hébergement et de remise du castrum : v. convention catalane.
En retour, le seigneur a lui aussi des obligations (li. 14-18) : garantir leur fief (« le castrum et la terre de Saint-Martin ») à leurs vassaux et leur prêter assistance en cas de besoin (« défenseur »).
Une nouveauté par rapport à 1065 : li. 11-14 : cas d’un conflit ou d’un procès dans lesquels les chevaliers ne peuvent intervenir auprès de l’abbaye => signifie que ces événements opposeraient les moines à leur autre seigneur : les chevaliers ont donc plusieurs suzerains. En fait, sans doute deux : l’abbaye Saint-Victor et le comte de Saint-Maximin. Or les termes du serment de vassalité ne stipule pas d’hommage lige. C’est donc le comte qui est leur seigneur lige : en cas de querelle entre Saint-Victor et Bertrand de Saint-Maximin, ils doivent donc se ranger aux côtés du second. Dans ce cas, très logiquement, ils doivent restituer le castrum aux moines, c’est-à-dire le fief, puisqu’il est ensuite fait mention de « leurs biens », c’est-à-dire leurs revenus seigneuriaux, qui doivent leur être restitués ensuite.
Quelle est l’origine de cet hommage contesté entre l’abbaye et le comte ?
3- Restitution de fief et réorganisation du système seigneurial.
Hypothèse la plus probable : les chevaliers de Saint-Martin sont des vassaux fieffés de Bertrand de Saint-Maximin. Celui-ci leur a donné le fief de Saint-Martin de Brômes que ses ancêtres avaient accaparé au dépend de Saint-Victor. Sous la pression des moines, il a été contraint de restituer le fief à l’abbaye, mais sous la garantie que ses vassaux le conserveraient. Il faut donc partager les revenus entre les chevaliers, qui en disposaient intégralement auparavant, et l’abbaye, représentée par le prieuré d’Esparron, qui selon la pratique courante dans les seigneuries ecclésiastiques, entend récupérer une partie de ces revenus pour l’entretien des moines. La nouveauté de la présence des moines à Saint-Martin est confirmée par le fait qu’ils n’y possèdent pas encore de grange, puisqu’elle doit être édifiée par les chevaliers (li. 38-40).
=> cartulaire garde trace d’un prieuré de Saint-Victor qui existait en 1038 (restauration du prieuré d’Esparron) et d’un legs des seigneurs de Saint-Martin en faveur de Saint-Victor en 1042, mais la succession a été longtemps contestée par les héritiers et par les comtes de Saint-Maximin et le prieuré n’apparaît plus jusqu’au début du XIIIème siècle. Le texte témoigne donc visiblement de la résolution d’un conflit vieux de plus d’un siècle.
Conclusion :
A l’issue de cette étude, il apparaît donc bien que système féodal et seigneurial étaient intimement liés, puisque les seigneurs tiraient des paysans les revenus qui leur permettaient de tenir leur rang. Liés par une incontestable solidarité d’ordre face aux paysans, ils étaient cependant divisés par les problèmes liés au partage des redevances seigneuriales. Pour les seigneurs, les paysans étaient donc d’abord un enjeu économique essentiel. Et ils n’hésitaient pas à édifier des équipements qui, tout en améliorant leurs conditions de vie, contribuaient à accroître les profits de leur seigneur. Les rares éléments du texte qui permettent d’appréhender le quotidien des paysans montre néanmoins qu’ils tiraient eux aussi des avantages de ce système qui malgré la domination qu’il exerçait sur eux, leur garantissait des conditions de vie stables.
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Seigneurie et croissance dans les campagnes
24/03/2007 00:16
Le travail des champs : le hersage, miniature d'un livre d'heures, XIIIème siècle. Observez l'usage du cheval, plus puissant que le boeuf, attelé à l'aide d'un collier d'épaule qui limite l'étranglement de l'animal. L'usage de la herse, qui permet de briser les mottes de terre soulevées par la charrue, afin d'aléger les sols, est également une inovation des temps féodaux.
Sujet en « et » = rapport dynamique
Définition des termes : seigneurie / système seigneurial : forme de domination globale (la seigneurie est à la fois foncière, banale et justicière) qui se caractérise par des prélèvements exercés sur le fruit du travail et sur la force de travail. La seigneurie est le cadre de vie normal des habitants d’Europe occidentale du XIème au XVème siècle au moins.
Croissance : notion économique = la croissance est l’augmentation cumulative de la richesse globale produite. En économie moderne, elle se mesure par le taux annuel d’accroissement du PIB. Aux périodes plus anciennes, où les mesures statistiques sont délicates, elle s’évalue par rapport à divers éléments de contexte (niveau des prix, valeur de la monnaie, estimation de la production => sur ce point, l’étude de la seigneurie est étroitement liée à celle de la croissance au MA, car cette estimation est permise par les listes de revenus seigneuriaux).
Campagnes : tout ce qui n’est pas la ville. Au MA, la définition de la ville est plutôt fonctionnelle (présence d’un évêché, d’une municipalité, organisation de foires, présence de murailles) que démographique (des sites considérés comme des villes au XIIème siècle rassemblaient au plus 1 millier d’habitant). Avec le mouvement d’émancipation urbaine du XIIème siècle, la différence se creuse entre des villes vouées au commerce et à l’artisanat spécialisé dont les conseils municipaux sont les seigneurs collectifs (sauf à Paris) et les campagnes vouées à l’agriculture et à l’artisanat quotidien, dans lesquelles la seigneurie reste le cadre quotidien.
Pbme des bornes chronologiques non précisées : début = mise en place du système seigneurial autour de l’an 1000 => fin = crise de croissance du système seigneurial fin XIIIème – début XIVème siècles = crise économique + moteur de la croissance passe dans les villes.
Pbic : pourquoi la croissance économique de l’Europe prend-elle un premier essor entre les XIème et XIIIème siècle, à l’époque où le système seigneurial est florissant ? Ce qui revient à se demander quel lien existait entre croissance et seigneurie : la croissance est-elle le fruit d’une accumulation seigneuriale ? ou la seigneurie bénéficie-t-elle de la croissance sans rien avoir à faire avec elle ? => la seigneurie porte la croissance, puis la croissance accompagne l’âge d’or des seigneuries.
Plan :
I- Seigneurs et Paysans : le système seigneurial.
1- La seigneurie foncière, banale et justicière :
Seigneurie = d’abord un ensemble de revenus tirés d’une terre (revenus fonciers = le seigneur est propriétaire de la terre de la seigneurie dont il tire des droits d’usages) et des hommes (revenus banaux = le seigneur possède le droit de ban sur sa seigneurie, dont il tire des droits de contrainte, et dont dérive le droit de justice, basse, moyenne ou haute selon son rang). C’est l’ultime étape de l’évolution du grand domaine carolingien classique sur lequel les seigneurs ont progressivement accaparé l’autorité publique.
Une seigneurie peut être foncière et banale ou simplement l’une ou l’autre (partage des droits entre plusieurs seigneurs => texte, seigneuries tenues en fief du roi ou le vassal n’a que les droits fonciers => prévôts et baillis).
Le seigneur peut être un laïque, un évêque, une communauté religieuse, une collectivité (conseil municipal). Dans les deux derniers cas, on parle de seigneurie collective.
Le seigneur exerce donc une double domination sur les paysans de sa seigneurie, en tant que propriétaire terrien et en temps que chef politique de la communauté villageoise.
2- Des revenus diversifiés pesant de façon inégale sur les communautés villageoises :
Cette double domination s’exprime par une série d’obligations des paysans envers leurs seigneurs qui prennent essentiellement la forme de prélèvements sur la force et le fruit du travail. Ces prélèvements sont également fonction du statut des paysans qui peuvent être des serfs (attachés à la terre) ou des vilains (paysans libres de se déplacer).
Prélèvements fonciers : La seigneurie foncière se divise en deux parties qui régissent deux types de prélèvements :
- Les tenures (cultivées en faire-valoir indirect par les paysans) : le cens recognitif (héritage carolingien = loyer de la terre) ils se payent en général à part de fruit (champard, décime, dixième…). Cependant, la croissance dans les campagnes se traduit par leur conversion progressive, à partir de la deuxième moitié du XIIème siècle, en prélèvements monétarisés, qui montre que les paysans peuvent vendre leurs surplus pour se procurer de l’argent.
- La réserve (mise en valeur en faire-valoir direct par le seigneur) : les corvées (journées de travail sur la réserve seigneuriale) qui sont plus nombreuses pour les serfs que pour les vilains. De plus, à partir du XIIIème siècle, les seconds les « rachètent » (ils payent une taxe supplémentaires pour ne pas les faire).
Prélèvements banaux : Ils correspondent à divers droits de contrainte que les seigneurs peuvent exercer sur les paysans :
- Les coutumes : droits hérités du ban carolingien qui autorisent le seigneur à exiger divers « services » des paysans : le gîte et le couvert (rachetés sous forme de taxe), les droits et amendes de justice, les frais d’entretient du château et de sa garnison, la taille (impôt par tête), les taxes sur le commerce et l’utilisation des voies de communication (tonlieux et octrois).
- Les exactions : nouveaux prélèvements imposés par la force par les seigneurs au moment de la révolution châtelaine du XIème siècle en échange de leur protection = banalités ou droits d’usage des équipements collectifs (moulin, pressoir, four…) + divers droits pesant sur la circulation dans la seigneurie (taxe sur la poussière levée, droit de quitter la seigneurie), les ventes et mutations (mainmorte et droits de succession), les mariages (légende du droit de cuissage), l’exploitation des mines, le pillage des épaves…
- Le chevage, taxe personnelle due par les serfs en marque de leur statut.
Autres prélèvements : Ils correspondent surtout aux dîmes et prémices accaparées au dépend de l’Église au XIème siècle, et que les seigneurs doivent rendre au début du siècle suivant. Les seigneurs vassaux directs d’un souverain lèvent aussi l’impôt royal (capitation, taille royale) dont ils conservent une partie à titre de rémunération.
3- Un rôle structurant dans les sociétés médiévales :
Néanmoins, une seigneurie qui n’aurait été qu’une structure d’exploitation et de domination n’aurait pu se maintenir durablement. On connaît des exemples de révolte de paysans qui s’estimaient mal traités par leur seigneur :
- Vers 1160, les serfs de Saint-Denis se révoltent pour exiger le droit de se marier sans l’accord de l’abbé.
- Vers 1180, les paysans d’Ardres se révoltent pour protester contre la création de nouvelles exactions par le comte Arnoul V de Guînes, qui doit finalement reculer.
Les paysans acceptaient donc la seigneurie dans la mesure où elle leur apporte un cadre structuré et où le seigneur remplis ses devoirs de protection envers eux sans abuser de son pouvoir. Á partir du XIème siècle, la seigneurie châtelaine et son corollaire, l’encellulement, induit en effet de profondes modifications, souvent positives, dans le cadre de vie des communautés paysannes.
- la fixation et l’organisation de l’habitat : les villages, encore très mobiles à l’ère carolingienne, se fixe sur un lieu unique, choisi avec soin pour ses qualités défensives et à l’écart des risques naturels. En son centre, le château, l’église paroissiale et le cimetière qui l’entoure deviennent les symboles de son identité. L’Église utilise le maillage seigneurial pour établir le réseau des paroisses. Ce village restera la cadre de vie quotidien de la majorité des Européens jusqu’à la Révolution Industrielle. Fixée et protégée, les populations peuvent investir à long terme, ce qui favorise le développement. En outre, cela crée des solidarités villageoises qui favorisent des pratiques culturales plus complexes (assolement triennal, culture commerciale de la vigne) et la généralisation de l’élevage de bouche (prés communaux, service de garde collective).
- La création et l’organisation des marchés, qui forment des réseaux commerciaux aboutissant dans les grandes foires urbaines, ce qui permet aux paysans d’écouler leurs surplus et de se procurer des produits artisanaux plus élaborés.
- La mise en place d’équipements collectifs (moulins, pressoirs, ponts…) qui facilitent la vie des populations et favorisent l’essor de la production et du commerce.
- Les effets induits du mode de vie seigneurial : la consommation somptuaire des seigneurs ne se suffit souvent pas des prélèvements fonciers. Les premiers clients des paysans pour leurs surplus sont donc souvent leurs seigneurs. En outre, cette surconsommation exige le développement d’activités artisanales (tissage, poterie, tonnellerie, métallurgie) que les paysans peuvent également utiliser. L’afflux de métal provoqué dans les campagnes par les besoins de l’équipement militaire s’accompagne d’un essor de l’outillage en fer (refonte des armes usagées ?).
Conclusion partielle : La seigneurie peut apparaître dans un premier temps comme une forme de domination sans partage du seigneur sur ses paysans, s’exprimant sous la forme de prélèvements lourds ruinant leurs efforts de production. Mais le système fonctionnait car les paysans y trouvaient aussi intérêt : ces prélèvements restaient assez légers pour qu’ils disposassent de surplus à revendre sur des marchés stimulés par la consommation somptuaire des seigneurs, et ceux-ci leur offraient en contrepartie des équipements collectifs et un cadre e vie propices à l’amélioration de leur cadre de vie. C’est ce cercle vertueux de croissance permise par le réinvestissement des revenus seigneuriaux qui explique le succès de la seigneurie et son lien avec la croissance économique.
II- Croissance et compromis dans les campagnes de l’âge féodal (XIème – XIIème siècles).
Cette image idyllique n’est pourtant pas vraie du début à la fin de la période envisagée. La mise en place de la seigneurie s’est souvent fait dans un contexte violent, les nouveaux maîtres exigeant une soumission totale de leurs sujets. La survie du système exigeait néanmoins des compromis qui garantiraient la pérennité de la croissance alors amorcée.
1- Accumulation primaire et stimulation de la production :
Le premier âge féodal (XIème siècle) est marqué par une extrême violence des chevaliers à l’égard des populations civiles, qui s’explique en particulier par la multiplication des guerres privées dans le cadre de seigneuries aux limites encore mal définies. Cela explique paradoxalement le succès des seigneurs, seuls à même de protéger le peuple de la violence qu’ils généraient eux-mêmes.
Néanmoins, la Paix de Dieu permet de contenir cette violence qui s’exerce surtout à partir des années 1020, par des voies « légales », en particulier par la multiplication des exactions. En quête permanente de nouveaux revenus pour financer leurs activités guerrières, les seigneurs font alors pesé semble-t-il (on a pas de sources comptables sur cette période, mais surtout des impressions données par des auteurs ecclésiastiques impliqués dans la Paix de Dieu) une lourde pression fiscale sur les populations (peut-être jusqu’à 50% des récoltes). Pour survivre, les paysans n’ont d’autre choix que d’accroître leur production, ce qui se ne peut alors se faire que par le défrichage de nouvelles terres en marges des terroirs (essartage). Ce mouvement de défrichement est accéléré par la fuite de certaines communautés qui s’installent à l’écart des seigneuries avant d’être rattrapées par elle. Ce premier essor est favorisé par le réchauffement du climat qui avait débuté au VIIIème siècle et s’accélère alors.
Les principaux bénéficiaires de l’accroissement de la production sont alors les seigneurs, qui réinvestissent leurs revenus dans des biens militaires (armes, châteaux) et en thésaurisent une grande partie dans le nouveau symbole de leur pouvoir, le donjon, en prévision de difficultés à venir (paiement de rançon en particulier). Le trésor est alors un élément essentiel de leur pouvoir.
2- Pacification de la société et premier essor :
L’œuvre de pacification menée par l’Église aboutit à son terme au tournant des XIème et XIIème siècles, favorisée par
- les Croisades, qui détourne la violence des chevaliers vers l’extérieur, mais joue aussi un rôle dans l’amélioration des techniques culturales.
Ex. : rôle des seigneurs revenant de la croisade ou de la reconquista avec des techniques ou des productions nouvelles (moulins à vent, collier d’épaule, irrigation, abricot, procédés de sélection des espèces, d’abord utilisés pour les chevaux…).
- la structuration interne du système féodal qui permet l’apaisement des conflits privés => deuxième âge féodal (XIIème-XIIIème siècle), marqué par une phase de croissance marquée de l’économie rurale occidentale qui entraîne un développement généralisé + optimum climatique (le « beau XIIème siècle »).
Les communautés villageoises sont désormais protégées de la violence des seigneurs ou par l’intervention des suzerains contre les sires trop violents (en 1108, Louis VI punit son vassal Guy de Coucy, qui multipliait pillages et exactions contre ses paysans), ou par leur propre modération. Les seigneurs comprennent en effet qu’ils ont intérêt à ménager leurs dépendants s’ils veulent préserver leurs revenus. Les revenus thésaurisés, devenus inutiles ou excédentaires, sont réinvestis dans l’équipement productif. L’apparition d’outils de gestion (terriers = liste de revenus seigneuriaux, plans de culture des réserves, chartriers et cartulaires) améliorent le rendement de l’exploitation seigneuriale. En outre, le taux de prélèvement est resté stable alors que la production a constamment augmentée depuis l’an mil => les prélèvements seigneuriaux pèsent moins sur les paysans, ce qui leur laisse d’avantage de surplus à consommer ou à écouler pour améliorer leur quotidien. Cette amélioration de la vie paysanne se traduit en particulier par la généralisation de la charrue à soc métallique, qui montre que les revenus des cultivateurs d’accroissent.
Cet essor économique débute d’abord en Aquitaine et dans le domaine Plantagenêt, où la pacification est plus précoce (sauveterres = villages protégés par la Paix de Dieu, prospères car à l’abris de toute attaque) et les revenus thésaurisés plus importants. Il gagne ensuite le reste de l’Europe occidentale.
3- Villes neuves et contractualisation de la domination seigneuriale à la fin du XIIème siècle :
Une marque de cet croissance est l’accroissement démographique qui entraîne, entre 1150 et 1250, la généralisation des essartages et la fondation de villes neuves (qui sont en fait des villages) et bastides (sud de la France). Le mouvement de défrichement, d’abord spontané, est encadré par les seigneurs, dont les revenus permettent de lui donner plus de poids et de moyens.
Ex. : fondation de la villa nova de Vaucresson par Suger de Saint-Denis (1145) : création ex nihilo, dans un terrain forestier et marécageux, d’une nouvelle communauté villageoise, avec une église, un cimetière, une grande seigneuriale et toutes les commodités nécessaires. Les paysans qui acceptent de s’y installer sont exemptés d’une grande partie des taxes seigneuriales pour 10 ans, le temps de défricher et drainer les terres. Ils payent ensuite des redevances moindres.
ð les seigneurs ont des moyens qui leur permettent de créer de toute pièce des nouvelles communautés et d’y attirer des hommes, parfois aux dépends des autres seigneurs, par des avantages matériels et financiers.
ð Traduit un phénomène typique des périodes de croissance : malgré l’essor démographique, les hommes restent trop rares par rapport aux besoins de main d’œuvre => paysans peuvent poser leurs conditions
ð Mouvement de contractualisation du système féodal : les villes neuves ont une charte de fondation qui détaille les obligations des seigneurs et des paysans. Ce système se généralise aux vieilles communautés à partir de1160 : les chartes de coutumes (coutume de Lorris, 1155).
Par ce mouvement, les seigneurs doivent renoncer à une partie de leurs redevances. Certains affranchissent même leurs serfs. Mais ils peuvent se le permettre, car la croissance assure mécaniquement une hausse constante de leurs revenus.
=> Au fil du XIIème siècle, la pression seigneuriale s’allège, ce qui n’empêche pas les revenus seigneuriaux de croître en raison de l’augmentation constante de la production favorisée par l’accroissement des terres cultivées, mais aussi, désormais, par l’amélioration des techniques culturales favorisée par les seigneurs.
III- Temps d’équilibre, temps de rupture (XIIIème – début XIVème siècle).
La forte croissance du XIIème siècle permet donc un compromis entre les intérêts des seigneurs et ceux des paysans, chaque catégorie tirant profit, selon sa position et ses besoins, de l’essor économique. Le début du XIIIème siècle voit le recul et même la quasi-disparition des grandes famines et épidémies, ce qui marque une amélioration globale des conditions de vie dans les campagnes. Pourtant, ce délicat équilibre devait être remis en question par sa dynamique même.
1- Un monde plein :
La croissance cumulative depuis le XIème siècle donne pleinement ses fruits au XIIIème, ce qui se traduit notamment par un pic de croissance démographique et par la reprise des frappes monétaires or (sou de saint Louis). Le mouvement des défrichements atteint néanmoins ses limites : vers 1250, 80% des terres françaises sont cultivées, soit plus qu’aujourd’hui. Or, les moyens techniques ne permettent pas encore, sauf dans de rares zones (Flandre, Italie du Nord) une intensification. L’essor des siècles précédents avait essentiellement reposé sur une extensification, qui devient impossible une fois tous les sols mis en valeur. Á partir de 1250, on assiste même à un recul de la SAU en raison de l’érosion (en particulier dans le Sud de l’Europe).
L’essor démographique, qui avait été absorbé par les créations de nouveaux villages, ne trouve plus à s’employer. On voit réapparaître crises alimentaires et épidémies. Certains villages créés au début du XIIIème siècle sont ensuite désertés en raison de la peste (en particulier en terre germanique).
Le trop plein d’hommes offre une main d’œuvre pléthorique qui peine à s’employer. La crise agraire devient économique : sur-inflation, dépréciation de la monnaie. La rente seigneuriale, qui est désormais presque entièrement monétarisée, s’érode. Les seigneurs doivent donc à nouveau accroître les prélèvements pour maintenir leurs revenus, tandis que les paysans, qui ne peuvent plus jouer sur la rareté de la main d’œuvre pour changer de seigneur, sont contraints d’accepter. Cette crise se traduit par des contestations qui prennent surtout une forme religieuse (hérésies : cathares, vaudois ; mouvements de pauvreté volontaire). Les seigneurs sont en effet concurrencés par de nouvelles structures et par les villes.
2- L’apparition de nouveaux modèles et la crise de la seigneurie châtelaine :
La seigneurie châtelaine entre donc en crise dans la deuxième moitié du XIIIème siècle, ce que traduit la multiplication des contestations et procédures entre seigneur à propos des partages de droit sur les nouvelles communautés
Ex. 1 : charte de fondation de Villers-Brûlin, première moitié XIIIème siècle, avec strict partage des revenus entre le sire de Villers, la paroisse et le suzerain, le comte de Saint-Pol).
Ex. 2 : charte de partage des droits seigneuriaux entre le comte Thibaut de Champagne et l’archevêque de Sens (vers 1250).
Si elle survit formellement jusqu’en 1789, elle se vide progressivement de sa substance en raison :
- Du renouveau du pouvoir royal qui prive les seigneurs d’une partie de leurs revenus banaux et de justice. En outre, les seigneuries royales bénéficient de la plus grande richesse de leur seigneur, les redevances y restent inférieures. Elles sont les seules à continuer à attirer les populations après 1250.
- De l’apparition de nouveaux modèles qui contestent la structure même du système féodal : les cisterciens ou les ordres mendiants refusent les seigneuries. Quand leurs terres deviennent trop vastes pour être cultivés par les seules moines, il engagent des cultivateurs salariés, ou les donnent en ferme (location moderne).
- La croissance économique a introduit des distinctions croissantes dans les communautés villageoises. On voit apparaître une classe de gros paysans qui sont toujours théoriquement dépendants des seigneurs, mais qui ont les moyens de payer d’énormes sommes aux seigneurs pour racheter toutes les redevances dues. Ces rachats sont un moyen de combler ponctuellement le trésor seigneurial, mais constituent une perte à long terme pour les sires : seuls les paysans les plus pauvres, donc ceux qui payent le moins, continuent à acquitter l’ensemble des redevances.
Malgré les apparences, les paysans ont donc des alternatives au système seigneurial. Ils peuvent en outre choisir de quitter les campagnes pour gagner les villes, où naît un nouveau dynamisme.
3- Et le dynamisme passa en ville …
Celui-ci est le fruit de la croissance des campagnes, dont la majeure partie des fruits ont abouti, via les réseaux commerciaux, en ville. Nourries de l’essor rural, celles-ci prennent donc le dessus au XIIIème siècle. L’agriculture, activité fondamentale au XIème siècle, passe au second plan derrière l’artisanat. La ville, qui s’était dégagée du carcan seigneurial au XIIème siècle, devient donc l’espace de la liberté, du dynamisme, de l’innovation. La ville est également un espace du salariat, institution étrangère au monde seigneurial.
La seigneurie, intimement liée, dès lors, au monde des campagnes, entre en crise avec lui au début du XIVème siècle. Après avoir accompagné la croissance rurale et avoir été portée par elle, elle subit de plein fouet le retournement de la conjoncture.
L’entrée en crise simultanée des campagnes et de la seigneurie après 1250 montre bien que la croissance rurale avait un lien étroit avec le système châtelain, mais aussi qu’au XIIIème siècle, c’étaient la prospérité des sires qui était devenue dépendante du dynamisme agricole.
Conclusion :
L’essor continu de la production agricole entre le XIème et le XIIIème siècle a généré un cercle vertueux qui provoque essor démographique, hausse de la demande et développement du commerce et de l’artisanat. Or, la seigneurie était le cadre fondamental des populations rurales et elle constitue un facteur d’explication fort de cette croissance au côté d’autres éléments de contexte tels que l’ouverture sur le monde ou l’optimal climatique du XIIème siècle. Système d’encadrement proche des populations, elle était la mieux à même de la favoriser par un partage d’intérêts bien compris entre seigneurs et paysans. En outre, la demande en produits alimentaires, de luxe ou d’armement des seigneurs constitue un facteur de décollage économique : loin de thésauriser leurs revenus, les sires les réinvestissent massivement dans l’amélioration de l’outil productif, ce qui leur permet d’améliorer encore leur rente foncière, mais également dans d’autres activités dont ils favorisent le développement, tels que les divers artisanats ou l’établissement de réseaux routiers et marchands qui améliorent leurs revenus banaux. Dans un deuxième temps, les seigneurs tirent donc profit de la croissance pour améliorer leurs propres revenus et asseoir leur domination (meilleur armement, châteaux plus puissants, …). Mais les revenus de cet essor aboutissent majoritairement chez les spécialistes du commerce et de l’artisanat qui résident et travaillent en ville. Á partir du XIVème siècle, c’est donc dans ces villes, libérées de la tutelle seigneuriale, que passe la croissance, tandis que la seigneurie, minée par l’inflation qui ronge la rente foncière, est mise à mal par le renouveau des pouvoirs englobants.
Commentaire de loops95 (26/01/2008 17:42) :
?????????????????????
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