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Le royaume des Wisigoths
26/11/2006 18:25
La chute de l’empire romain d’Occident en 476 vient entériner l’apparition, dans toute l’ancien empire, de royaumes dits « barbares », certains nés, comme le royaume des Francs, du vide politique laissé par la déposition de l’empereur, d’autres apparus dès les premières décennies du Vème siècle et qui, sur le plan local, perpétuent l’administration romaine sous le pouvoir d’une élite germanique. C’est le cas du royaume des Wisigoths, nés de la concession, au titre de la fédération, des provinces d’Aquitaine à ce rameau occidental du peuple des Goths entrés dans l’empire dès le IVème siècle, et qui avait reçu la charge de défendre les Gaules contre les Huns et les montagnards Vascons qui mettaient à profit le désordre ambiant pour descendre piller les plaines. Le royaume des Wisigoths est donc d’abord une réalité intimement liée à ce peuple germain qui le dirige : il est l’ensemble des terres soumises au roi des Goths. Mais avec le temps, au fil des conquêtes et des défaites, il tend à s’identifier avec un espace, l’Espagne, où les Goths ont été rejetés par Clovis mais qui va devenir le lieu de l’apogée d’une civilisation mêlant de façon originale culture germanique et romaine et qui fut l’un des principaux vecteurs de la pensée antique au Moyen-Âge. Pourtant, les Wisigoths ne trouveront jamais la stabilité dynastique nécessaire pour épargner au royaume guerres civiles et conflits de succession, et les Musulmans surent utiliser cette faiblesse pour mettre fin à leur domination. De l’installation des Goths en Aquitaine en 418 à la mort, les armes à la main, de son dernier souverain, en 711, le royaume des Wisigoths eut donc un destin heurté, alternant les épisodes glorieux et les défaites cuisantes. Sur quoi se fondait l’originalité de ce royaume né des invasions barbares, mais puissamment marqué par l’héritage romain ? Pour le comprendre, il faut d’abord revenir sur les étapes de sa formation, de 418 à la fin du VIème siècle, avant de s’attarder sur son apogée, dans la première moitié du VIIème siècle, puis d’analyser les causes de la crise profonde qui le frappe à partir des années 660 et qui le conduisit à sa perte.
I- La formation du royaume des Wisigoths :
A- Le royaume d’Aquitaine (418-507) :
- Wisigoths = germains ariens. Leur royauté repose sur le pouvoir charismatique d’une dynastie, les Amales, commune aux Ostrogoths et aux Wisigoths. Le roi est avant tout un chef de guerre qui mène son peuple à la victoire.
- Wisigoths sont fédérés depuis 380. En 407, ils pillent Rome. Á partir de 410, Suèves, Vandales et Alamans franchissent le Rhin, poussés par les Huns. Les Romains y voient l’occasion de se défaire des Wisigoths qui campaient en Italie en les envoyant guerroyer en Gaule.
- 418 : sont installés en Aquitaine 2nde (Bordeaux). Ne peuvent empêcher passage des Suèves et des Vandales en Espagne, mais franchissent les Pyrénées et commencent à s’y installer sous prétexte de les combattre. 450’s : contribuent à vaincre les Huns. (Alliance avec Avitus) mais le roi Théodoric II meurt dans la bataille des champs catalauniques.
- 470’s : s’emparent progressivement de la Narbonnaise 1ère et de l’Aquitaine 1ère. Euric installe sa capitale à Toulouse. Il fait mettre par écrit un code législatif (Loi des Wisigoths ou Code d’Euric) qui institue une stricte coupure entre les Goths ariens et les Gallo-romains catholiques, interdisant notamment les mariages mixtes.
- Son fils Alaric II poursuit son œuvre de codification en faisant rédiger un abrégé du droit romain, le bréviaire d’Alaric, pour servir de loi à ses sujets gallo-romains. Il poursuit l’extension du royaume au-delà des Pyrénées, mais se heurte en Gaule à Clovis, qui veut conquérir l’Aquitaine. Abandonné par les élites gallo-romaines qui se rallient au Franc, Alaric est vaincu et tué à Vouillé. Les Wisigoths doivent abandonner précipitamment l’Aquitaine.
B- La conquête de l’Hispanie (507-610) :
- La conquête franque est néanmoins stoppée sur les Pyrénées par l’obstacle naturel, mais aussi par les montagnards vascons, qui forment dès lors un tampon entre les deux royaumes, et par l’intervention du roi ostrogoth d’Italie Théodoric qui prend sous sa protection le jeune fils d’Alaric et permet aux Wisigoths de conserver une marche au nord des Pyrénées : la Septimanie.
- Mais la défaite de Vouillé laisse des traces durables : la mort d’Alaric à dépouillé les Amales de leur aura charismatique, et beaucoup d’aristocrates wisigoths supportent mal la tutelle des Ostrogoths. Les descendants d’Alaric sont finalement assassinés, et les grands choisissent un nouveau roi. Dès lors, la monarchie gothique devient élective, même si quelques souverains parviennent à assurer la succession à leur fils (Léovigilde (579-586) et Reccarède (586-601)).
- En s’installant en Hispanie, les Goths la trouve déjà en partie occupée par un autre peuple, les Suèves, qui se sont installés sur toute la façade atlantique, des Asturies au Portugal actuel. De plus, dans les années 550, l’empereur d’Orient Justinien lance une tentative de reconquête de l’Occident. Les Byzantins occupent la Bétique (Andalousie) et la Carthagénoise. L’effort essentiel des souverains du VIème siècle est donc l’unification politique de la péninsule, qui est achevée par Léovigilde, qui bat le dernier roi suève en 784-785 et repousse les Byzantins affaiblis par l’invasion lombarde en Italie, même si ils conservent quelques points d’appuis côtiers jusqu’en 610. Désormais, les rois wisigoths s’intitulent « rois des Goths gouvernant au non de Dieu l’Hispanie, la Gaule et la Galice ».
- Léovigilde rompt avec l’empereur et commence à construire un état centralisé, fondé sur l’imitatio imperii (capitale unique = Tolède, frappe de monnaies d’or à son nom, diadème et pourpre, adoption du gentilice impérial Flavius, administration organisées autour des bureaux du Palais), tout en cherchant à imposer une monarchie héréditaire (association de ses deux fils Herménigilde et Reccarède au trône). Son successeur poursuit cette politique ambitieuse.
- Mais Herménigilde se révolte contre son père, en s’appuyant sur les Hispano-romains qui se sentent tenus à l’écart du pouvoir et craignent de voir Léovigilde imposer l’arianisme comme seule religion tolérée.
C- La conversion au catholicisme (589) et l’unification de la péninsule :
- La révolte d’Herménigilde est symptomatique d’une société encore divisée entre envahisseurs et envahis, situation aggravée par le maintien de loi discriminatoire à l’égard des non-goths et des catholiques.
- Léovigilde cherche à unifier l’Hispanie autour de l’arianisme en encourageant les conversions d’Hispano-romains. Mais les ariens sont trop peu nombreux par rapport aux Catholiques, et le rite arien gothique, qui utilise la langue gothique pour sa liturgie, rebute les Hispano-romains.
- Son fils Reccarède, prenant conscience du rapport de force, choisit la solution inverse : il se convertit au catholicisme et encourage les autres Goths à l’imiter. En 590, il convoque un concile à Tolède qui consacre l’unité religieuse de l’Espagne, notamment en réintégrant le clergé arien dans la hiérarchie catholique. Ce concile affirme également le soutien de l’Eglise au roi, qui est élu du peuple et de Dieu.
Ainsi, en moins d’un siècle, les Wisigoths ont su transformer une défaite retentissante et humiliante en un nouveau départ et créer un royaume unifié dans son territoire et dans son idéologie.
Le concile de Tolède III ouvre la porte à une fructueuse collaboration entre le roi et l’Église, entre les élites gothiques et hispano-romaines. Cette collaboration et la fusion culturelle qui en est le résultat sont les fondements de l’apogée du royaume wisigothique d’Espagne.
II- « Hispanie, terre bénie de Dieu » (Isidore de Séville) :
A- Le roi, l’Église et les grands : un gouvernement efficace.
- Les conciles de Tolède, en particulier Tolède VIII (633) qui définit les règles de l’élection du roi par les grands et les évêques et le fonctionnement de la société : le roi gouverne avec l’aide des grands et des évêques. Ensemble, ils doivent assurer au peuple la justice, en échange de quoi, ils perçoivent des impôts. La royauté wisigothique est la première, au Moyen Âge, à dépasser le simple niveau de la protection et de la domination pour envisager des relations administratives entre gouvernants et sujets.
- Même si le principe dynastique ne s’impose pas ou peu, la légitimité royale se transmet par les femmes. Chaque nouveau roi épouse la fille ou la veuve de son prédécesseur.
- cet effort administratif se traduit aussi dans la codification de la loi : Sisebut (612-621) abolit définitivement toute distinction entre loi gothique et romaine. Chindaswinthe et Receswinthe (642-653 et 653-672) réunissent l’intégralité des lois des rois goths depuis Euric, auxquelles ils ajoutent des lois romaines correspondant aux sujets non traités, dans le Forum Iudicium qui est la version achevée de la loi des Wisigoths.
- les dépôts de contrat sur ardoise sont l’indice d’une intense activité commerciale étroitement encadrée par l’administration royale. Le pouvoir royal peut s’appuyer sur un peuple prospère et entreprenant.
B- La fusion des élites :
- Les grands évêques de tradition romaine (Léandre de Séville, Isidore de Séville) sont les plus proches conseillers des rois. Leur réflexion sur le pouvoir, qui est à la base des canons de Tolède, influence leur gouvernement. Par leur intermédiaire, la royauté wisigothique perd un peu plus de ses traits germaniques et accroît son imitation de la pratique impériale.
- Dès la conversion des Goths opérée, les mariages mixtes entre aristocrates hispano-romains et puissants goths se multiplient. Tous ceux qui détiennent le pouvoir, quelque soit leur origine, adopte le costume gothique. Très rapidement, les deux peuples sont tellement mêlés qu’ils deviennent indissociables. Dès les années 630, les sources ne parlent plus de Goths et de Romains, mais seulement de Goths ou d’Hispani, preuve de la définition de plus en plus territoriale du royaume. Plus que de fusion, il faut parler, dans le cas espagnol, d’absorption de la minorité wisigothique par la majorité hispano-romaine, qui se traduit en particulier par la totale disparition de la langue gothique (Espagnol = langue romane qui comporte le – de mots d’origine germanique, en fait 2 : Guerra et le nom propre Garcia = fidèle).
- La fusion est accélérée par l’intégration du clergé arien à l’Église catholique : dès les années 590, il existe un clergé gothique (il faut attendre les années 620 pour trouver des évêques francs).
C- La vigueur intellectuelle et artistique :
- L’Espagne wisigothique devient un berceau du monachisme occidental.
- Développement des arts, et en particulier de l’architecture (arc outrepassé). Les wisigoths sont les seuls, dans l’Europe du VIIème siècle, à construire en pierres.
- Surtout, la littérature et la pensée, illustrée surtout par Isidore de Séville qui transmet le savoir antique au Moyen Âge.
III- Une autocratie tempérée par le coup d’Etat :
A- L’échec de la monarchie élective :
- La multiplication des usurpations et des guerres civiles : la succession de Receswinthe est compliquée : ses fils éliminés, de nombreux prétendants s’affrontent et Wamba doit lutter plusieurs années pour les éliminer tous. + pas de légitimation par les femmes possibles car Reces. ne laisse ni fille ni veuve.
Wamba 672-680
Ervige 680-687.
Egica 687-698, puis co-roi des Wisigoths 698-701.
Wittiza ou Vitiza co-roi des Wisigoths 698-701, puis roi 701-710.
Agila II usurpateur 710-713.
Roderic ou Rodrigue 710-711, meurt au combat face aux musulmans.
La faiblesse des rois qui succède à Receswinthe souligne le problème fondamental de la royauté wisigothique d’après 507 : son déficit de légitimité face au pouvoir des grands qui occasionne des usurpations et des coups d’Etat (nombreux rois assassinés). De plus, pour s’assurer des fidélités, le roi doit donner des terres et des biens aux grands, se privant ainsi progressivement de ses moyens d’intervention et de gouvernement tandis que les puissants le sont de plus en plus, même si chaque usurpation est l’occasion d’une redistribution.
- Les inversions rituelles : cérémonie de dérision de Paul de Septimanie = preuve de cette dévalorisation.
- Le sacre, dernière tentative de sauver la royauté : premier roi sacré = Wamba en 672. La faiblesse politique du roi est compensée par la tentative de réinsuffler une part de sacralité dans sa personne, et de le rendre ainsi intouchable.
B- Une crise sociale profonde :
- L’isolement : après l’échec de l’alliance avec les Francs à la fin du VIème siècle (meurtre de Galswinthe et supplice de Brunehilde), la rupture avec l’Empire et la disparition des Goths d’Italie, les Wisigoths cessent progressivement toute relation avec l’étranger, sinon belliqueuses. Même les campagnes militaires se raréfient après 650, privant le roi de sa légitimité de chef de guerre et les grands des revenus du butin=> guerre civile intervient comme substitut à la guerre étrangère dans une société marquée par la domination d’une classe de guerriers professionnels (cf. grande faide dans le royaume des Francs)
- La pression accrue des grands sur les populations liée à la compétition pour le pouvoir ;
- La multiplication des statuts serviles (anciens esclaves, esclavage pour dette, réduction en esclavage des dépendants des vaincus dans les guerre de succession) et les révoltes d’esclaves.
- L’anti-judaïsme, exutoire de la crise sociale.
C- L’invasion extérieure et la fin du royaume des Wisigoths :
- une invasion provoquée par des rivalités internes : rivalité Rotric / Agila pour le trône + Rotric / Paul de Ceuta pour une femme.
- Le débarquement d’al-Tarik et la réaction des Wisigoths : les uns s’unissent derrière Rotric pour résister, les autres, autour d’Agila, se rallient à l’envahisseur en pensant l’utiliser pour prendre le pouvoir.
- La défaite et le ralliement rapide des élites (v. le comte Théodemir qui signe un traité de ralliement avec al-Tarik, au IXème siècle ses descendants sont devenus de bon musulmans et seul leur surnom d’al-Kutiya, (le goth) rappelle leurs origines.
Conclusion :
Après des débuts mouvementés, la conversion au catholicisme des Wisigoths ouvre la porte à l’intégration de quelques centaines de milliers de germains dans la masse des Hispano-romains. Cette fusion intime avec l’esprit antique est sans doute la marque de fabrique la plus marquante du royaume des Wisigoths qui a su réadapter l’administration à la romaine aux nouvelles réalités du Moyen Âge. Royaume brillant qui excite l’envie et la jalousie de ses voisins, le royaume des Wisigoths est aussi fragilisé par son système politique qui le prive de toute stabilité dynastique. Cela explique la brutalité avec laquelle il est contraint de sortir de son superbe isolement pour disparaître en 711. Mais, plus que chez la poignée de rebelles qui continuent la lutte cachés dans les grottes asturiennes, son esprit a survécu dans les centaines de manuscrits d’Isidore et du Forum Iudicium qui franchissent les Pyrénées avec les réfugiés espagnols et viendront nourrir la renaissance carolingienne.
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La fin des Mérovingiens
08/11/2006 00:38
Question de point de vue : on pourrait aussi appeler ce texte « les débuts des Carolingiens », mais en fait, moins simple, car le but de l’auteur est justement de montrer que les Carolingiens étaient là bien avant que les Mérovingiens ne disparaissent.
Extrait de la Vie de Charlemagne par Eginhard = panégyrique qui est destiné à la glorification du souvenir de l’empereur. Une première difficulté est de faire le tri dans les informations à donner sur l’auteur, personnage majeur de la 1ère moitié du IXème siècle auquel plusieurs biographies ont été consacrées. Il suffira de rappeler ici qu’il a été élevé au palais, a fait parti du proche entourage de Charlemagne puis de son fils Louis le Pieux, et qu’il a été à la fois un homme de haute culture qui a contribué à la « renaissance carolingienne » et un proche collaborateur de ces deux souverains très impliqué dans le gouvernement du royaume. Sa Vie de Charlemagne est autant un hommage à son bienfaiteur qu’un miroir tendu à ses successeurs, dans lequel comparer leurs actes à l’œuvre de leur glorieux prédécesseur.
La présentation de ce document présente plusieurs problèmes :
- son absence de date : si les faits rapportés sont datables entre 732 (victoire de Charles Martel à Poitiers) et 768 (mort de Pépin III), la source elle-même ne comporte aucun élément permettant d’établir sa date de composition qui selon les historiens, varie entre 814 et 840. Il est de toute façon avéré qu’elle a été écrite au moins une soixantaine d’année après l’événement majeur du texte, l’usurpation de Pépin.
- C’est justement un autre aspect problématique : le texte ne présente pas l’action de Pépin comme une usurpation ou un coup d’État mais insiste a contraire sur l’approbation pontificale dont il a fait l’objet.
- Ce texte n’est donc pas objectif, c’est peu de le dire, mais sa vocation panégyrique en fait même une œuvre de propagande destinée à justifier tous les actes de Charlemagne et de ses ancêtres, il présente la version officielle des événements, version qui, plus d’un demi-siècle après les faits, était devenue consensuelle : les Carolingiens se sont substitués aux Mérovingiens car ceux-ci étaient devenus incapables de gouverner le royaume. L’intervention du pape fait de ce changement dynastique l’expression de la volonté divine.
- Le texte présente donc plutôt la vision qu’avaient les hommes de la première moitié du IXème siècle des événements de 751 que les événements dans leur déroulement réel. En cela, c’est d’avantage un témoignage sur l’idéologie politique carolingienne qu’une véritable source historiographique.
Le texte alterne donc très logiquement les références péjoratives parfois nées de l’esprit d’Eginhard à l’égard des Mérovingiens (le char à bœufs) et les hyperboles mélioratives à l’intention des Carolingiens (forcément très riches, très puissants, très courageux…).
ð centres d’intérêts et analyse :
- le changement de dynastie de 751 : comment et pourquoi ? : l’appauvrissement des Mérovingiens, peu à peu dépouillés de leurs biens fiscaux par la nécessité de rémunérer sans cesse les fidélités, de se placer au sommet de la pyramide des circulation des richesses. //t, l’enrichissement des Carolingiens, fondé sur le contrôle des sources de revenus fiscaux (via la charge de maire du Palais, qui intégrait la gestion du trésor royal => aspect mis en valeur par Eginhard, mais sans référence au véritable détournement de fond opéré par les maires du palais pippinides) et le contrôle des zones de dynamisme économique en contact avec les échanges dans les mers du Nord (conquête de la Frise, aspect tu par Eginhard, car moins de nature à glorifier la dynastie) => désordre institutionnel : celui qui détient les moyens du pouvoir n’en détient pas les symboles et inversement.
- les signes et expressions du pouvoir au VIIIème siècle : la naissance noble, la richesse, la gloire militaire, mais aussi la légitimité fournie par « l’élection » du peuple et de Dieu (avec transition sous Pépin de l’une à l’autre = les deux sacres) et les aspects rituels (l’audience, le trône, la chevelure et la barbe longue), avec renouvellement des symboles (passage du mund magique au sacre).
- Une légitimité mérovingienne bien ancrée qui exige l’intervention d’une puissance extérieure, la papauté, pour être brisée : il faut attendre la mort de Pépin et la réussite de la succession dynastique dans la famille carolingienne pour être totalement sûr (1) que l’usurpation a réussi ; (2) que d’autres ne sont pas tentés de tenter à leur tour de renverser la nouvelle dynastie. Eginhard tait un certain nombre d’aspects : le fait que Pépin et Carloman ont du désigner un nouveau roi en 741, après quatre ans de « règne » de Charles Martel sans roi ; les rivalités internes au monde franc après 751, et surtout avant 754. Il doit au contraire insister sur les qualités des Carolingiens, le fait qu’avant même l’usurpation ils sont considérés comme des rois (épisode de Carloman) et la nouvelle légitimité forgée par Charles Martel comme réunificateur du royaume et défenseur de la chrétienté.=> prouver que les Carolingiens ont une légitimité dynastique qui remonte bien au-delà de l’usurpation de 751, jusqu’à Pépin II.
=> Eginhard décrit bien le processus de déchéance des Mérovingiens, mais "oublie" de souligner la responsabilité écrasante des Pippinides, qui les privent progressivement de tout moyen d'action, dans cette décadence.
Plan possible :
I- Un roi qui n’a plus que l’apparence du pouvoir royal.
II- Un maire du palais qui détient la réalité du pouvoir royal.
III- L’usurpation et l’installation de la dynastie franque.
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Les débuts de Charles Martel
08/11/2006 00:35
Intro :
Texte narratif extrait du Liber Historiae Francorum, chronique anonyme du début du VIIIème siècle qui prend la suite de la chronique du pseudo-Frédégaire. Il a été selon toute vraisemblance rédigé en Neustrie, dans un milieu opposé aux Pippinides mais paradoxalement plutôt favorable à Charles Martel, ce qui peut s’expliquer par sa période de rédaction, en 726, alors que Charles s’est imposé à la tête du royaume des Francs et a remporté ses premiers succès contre les Frisons et les Bavarois. L’écriture est donc très proche des faits rapportés, qui se déroulent de 714 à 721 et servent de conclusion au récit (détail du calcul si le temps : Dagobert III meurt en 715, son successeur immédiat est Chilpéric II (715-721) dont le rival et cousin germain Clotaire IV règne de 717 à 719. A la mort de Chilpéric II (721), Thierry IV, fils ou frère de Dagobert III monte sur le trône, la sixième année de son règne est donc 726). L’auteur, témoin direct de ce qu’il raconte, est dans l’ensemble assez objectif et son récit pêche plus par son caractère trop allusif sur certains points que par de véritables déformations idéologiques, ce qui n’est pas le cas des autres sources relatives à ces événements (continuation du Ps. Frédégaire, Annales de Metz) très favorables au contraire aux Carolingiens. Ce texte ne présente donc pas de difficulté critique particulière, c’est un écrit sincère qui est ce pour quoi il se donne. Il es néanmoins centré sur la personne de Charles Martel qui en est le véritable héros.
Il rapporte comment après la mort de son père, Pépin II de Herstall (ou le Grand), en 714, Charles Martel, dernier survivant de son lignage, dut lutter pour s’imposer face à l’aristocratie neustrienne alliée aux Frisons et aux Aquitains et désireuse d’accaparer la charge de maire du Palais sous le prétexte de restaurer la royauté mérovingienne. Charles, après avoir vaincu ses ennemis, passe une alliance avec le duc Eudes d’Aquitaine qui lui laisse les mains libres au nord de la Loire.
Ce texte montre qu’au début du VIIIème siècle, après une cinquantaine d’année de crise du pouvoir royal mérovingien, la succession à la mairie du palais est devenue plus importante que la succession sur le trône. Quels sont donc les enjeux de cette succession, dans un contexte de réduction de la puissance franque ?
Ce document se prête à un commentaire linéaire avec une partie consacrée à chaque paragraphe : le temps des difficultés (2 premier §), le temps du renouveau, le temps de la victoire. On peut aussi suggérer un plan thématique plus charpenté : Une crise de succession associant succession royale et succession à la mairie du palais ; Réduction de la puissance franque et intervention des principautés périphériques ; Le transfert des attributs de la royauté au maire du Palais.
I- Trouver un successeur au roi et surtout au maire du palais
A- les partis en présence :
- le parti neustrien : parti pro-mérovingien (principales résidences des rois mérovingiens = Paris, Soissons, Noyon, en Neustrie). Le roi que choisissent les Francs sous l’influence de Ragenfrid est un symbole en lui-même d’un projet de restauration mérovingien, puisqu’il est le fils de Childéric II et de Bilichilde, eux-mêmes enfants de Clovis II de Neustrie et de Sigebert III d’Austrasie, donc petits-enfants de Dagobert Ier. Il est donc descendant direct de Dagobert et de Clotaire II par ses deux parents. Enfermé au monastère et privé du pouvoir au profit des autres descendants de Clovis II par Ebroïn après le meurtre de ses parents, il est ramené à la dignité royale par le parti neustrien et reçoit alors le nom de Chilpéric II, nom du père de Clovis, qui doit symboliser un nouveau départ pour la dynastie. (v. tables généalogiques)
- Ce projet de restauration neustrien reste néanmoins à nuancer : certes, Ragenfrid, lui-même de lointaine ascendance carolingienne, associe étroitement le roi au gouvernement, ce qui est matérialisé par le fait que le roi l’accompagne dans tous ses déplacements. Mais ce roi est aussi un facteur de légitimation pour ce descendants du groupe des Wulfoald-Gonduin qui a donné tous les maires du palais neustriens au VIIème siècle à l’exception d’Ebroïn et Waraton et est le grand rival des pippinides pour la suprématie au sein de l’aristocratie franque.
- L’autre parti est celui de Charles, appuyé sur l’Austrasie (les opérations se déroulent toute dans une zone à l’ouest de la Meuse, dans les Ardennes, en forêt Charbonnière (grande forêt qui prolongeait autrefois les Ardennes à travers toute l’actuelle Belgique) et dans le Cambrésis, zone qui matérialisait la frontière entre Neustrie et Austrasie. Charles tarde à se choisir un roi et construit sa propre légitimité comme chef de guerre. Il est partisan de la poursuite de la politique de son père de mise en tutelle du roi et de gouvernement du maire du palais appuyé sur l’aristocratie austrasienne.
- Mais pour réussir, Charles doit d’abord affirmer sa légitimité dans son propre camp.
B- Rivalités et crises de succession au sein de la famille Pippinide :
Charles <> héritier naturel de Pépin, car il est le fils d’Alpaïde, une concubine de Pépin, et doit donc affronter l’opposition de Plectrude, son épouse légitime.
Mais la famille pippinide se trouve en proie à une crise qui menace sa survie même : les fils légitimes de Pépin, Grimoald et Theodebald, sont morts avant leur père, et il ne laisse que des petits-fils, Théodebald et Arnulf, trop jeune pour gouverner seul, et grâce auxquels Plectrude légitime son pouvoir (pouvoir critiqué par l’auteur dans la lignée de ce qui a été vu la semaine dernière à propos de la défiance envers le pouvoir féminin des hommes du MA). Théodobald est mis en fuite => perd sa légitimité de chef de guerre (+ Arnulf fait prisonnier) => le camp pippinide se retrouve sans prétendant.
Charles Martel intervient alors comme l’homme providentiel qui peut rallier autour de lui les réseaux de fidélité de son père et réunir les Austrasiens pour les mener au combat.
C- La victoire de Charles Martel :
3 batailles victorieuses : sur le Rhin contre Radbod, puis à Amblève et à Vinchy contre les Neustriens : par la 1ère, rejette les Neustriens hors d’Austrasie et se rapproprie une partie du trésor de son père, puis par la seconde, rétablit la suprématie austrasienne => retour à la situation de Tertry (687).
Mais sa victoire est aussi idéologique : ses adversaires, en s’alliant avec un païen et en attaquant un dimanche de Carême alors que Charles avait offert la paix apparaissent comme des mauvais chrétiens. Donc Charles, dans le discours du rédacteur du LHF, apparaît par contraste comme un bon chrétien, son attitude annonçant le vainqueur de Poitiers.
Dès 717, Charles est donc maître des tria regna, il tient personnellement la Neustrie et l’Austrasie et la Bourgogne fait retour à son demi-frère Arnulf. Mais il lui manque toujours une légitimité : le roi neustrien est en fuite auprès d’Eudes d’Aquitaine.
ð Charles négocie avec Eudes qui rend le roi (compromis connu par ailleurs : en échange, Charles renonce à intervenir au Sud de la Loire).
ð Nouvel équilibre dans le royaume entre le Nord tenu par Charles sous un nouveau roi choisi par Charles et le Sud sous l’influence d’Eudes.
La même année, 721, Arnulf meurt et Charles le remplace par son frère Childebrand.
II- L’affaiblissement du royaume des Francs et les tentatives autonomistes en périphérie.
La victoire décisive de Charles sur les Neustriens est encadrée par deux victoires sur des puissances extérieures, les Frisons et les Aquitains, deux peuples nominalement soumis aux Francs mais qui ont réaffirmé leur autonomie voire leur indépendance, marquant ainsi un affaiblissement de la puissance franque.
A- L’intervention des Frisons :
Alliance de Ragenfred = bien pensée, car Radbod a revanche à prendre sur les Pippinides. En effet, il avait été vaincu par Pépin II et contraint à se soumettre aux Francs, soumission matérialisée par le mariage de sa fille avec Grimoald en 711. Mais assassinat de Grimoald en 714 par des espions frisons le dégage de ses engagements.
Alliance prend la forme d’une amicitia, lien d’engagement réciproque entre deux individus égaux, au contraire de la soumission imposée par Pépin. Noter l’importance des liens personnels, même dans les relations avec les autres peuples.
B- L’intervention d’Eudes d’Aquitaine :
Intérêt d’Eudes = préservé l’autonomie acquise par son père Loup à la fin du VIIème siècle. En fait, maire du palais ne tiennent que les tria regna, et les principautés périphériques sont gouvernées par leurs propres ducs qui s’y comportent comme les maires du palais, exerçant la réalité du pouvoir sous l’autorité nominale du roi mérovingien.
Eudes, en mettant la main sur le roi réaffirme sa légitimité. Mais il tient aussi un moyen de pression sur Charles Martel pour lui imposer de négocier.
C- Le compromis de 721 et le partage des zones d’influence :
« alliance » de Charles et Eudes est aussi appelée amicitia par les Annales de Metz et foedus par le continuateur de Frédégaire. C’est donc un véritable traité entre égaux que concluent le maire du palais et le duc, se reconnaissant un pouvoir équivalent dans leurs zones d’influence respective. Eudes rend le roi Chilpéric en échange de la garantie que Charles ne tentera rien contre l’Aquitaine. C’est au nom de cette alliance que Charles se porterait au secours d’Eudes en 732, utilisant le raid musulman pour réaffirmer son pouvoir sur cette région qui lui échappe en 721. Les présents ne sont donc pas un tribut déguisé, mais une marque de bonnes relations entre les deux hommes.
III- Le transfert des attributs de la royauté au maire du palais.
A- Le trésor et les fidélités base de la puissance :
Armée = troupes de fidèles en armes qu’il faut rémunérer, d’où le besoin du trésor et du butin, que Charles ne cesse de chercher à se procurer. Inversement, l’un des premiers soucis de Ragenfred et Chipéric est d’obtenir de Plectrude le trésor des Pippinides pour pouvoir appuyer le pouvoir royal sur cette base matérielle et ainsi rémunérer des fidèles et accroître leur armée.
Coût croissant de ces fidélités, car armée est de plus en plus composée de spécialistes combattant à cheval et portant un armement très cher.
B- Charles, chef de guerre et négociateur de la paix :
Captation par Charles de deux aspects majeurs du pouvoir royal : la conduite de l’armée et la négociation avec l’étranger. Le roi représente normalement le royaume face à l’étranger, hors ici c’est Charles qui accapare ce rôle. Plus encore, par ses victoires, il capte le charisme du mund.
C- L’affaiblissement du pouvoir royal et le principat :
Ainsi, les cheveux longs des rois que l’on laisse rituellement repousser quand ils sont sortie du monastère, ne deviennent plus qu’un symbole vidé de son sens par l’action de Charles. Si le roi conserve les apparences du pouvoir, Charles, comme son père avant lui, en tient la réalité : c’est le principat (le maire du palais qui réunit les tria regna se fait appeler, pour marquer son pouvoir, princeps Francorum, premier des Francs, sous entendu après le roi). Ce pouvoir est très lié à la puissance militaire car le prince des Francs est celui qui dirige l’armée et les débats lors de sa réunion dans le cadre de l’assemblée qui, en particulier, choisit le roi. Donc, quand le texte dit « les Francs se choisirent pour roi », il faut comprendre qu’ils suivirent le choix du maire du palais, Ragenfred puis Charles, qui présidaient l’assemblée.
Conclusion :
Plus qu’une simple crise successorale, le texte nous met face à un moment de choix décisif dans le royaume des Francs où la rivalité entre Neustrie et Austrasie ouvre sur une véritable opposition sur la place faite au roi mérovingien dans le gouvernement du royaume. Il met en avant la nécessité d’une réaction nécessaire face à l’affaiblissement de la puissance franque, menacée par des puissances étrangères comme les Frisons et même par les princes devenus autonomes de ses anciennes dépendances, telle l’Aquitaine. Charles, par son action résolue et ses talents de chef de guerre apparaît comme le plus à même d’entreprendre cette œuvre de restauration, au dépend d’un roi de plus en plus privé de pouvoir.
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Un exemple de loi "barbare" : les lois d'Ethelbert
27/10/2006 00:59
Les lois d’Ethelbert, roi du Kent (602-603)
Introduction
Nature de la source et auteur :
Le texte ici livré au commentaire est un recueil de lois représentatif de ce qu’il est convenu d’appeler les lois « barbares » ou « nationales », c’est à dire des législations prises par les souverains germaniques dans les années qui ont suivi l’installation des Etats successeurs de l’Empire romain, entre les Vème et VIIIème siècles. Elles répondent au principe du droit romain qui veut que la loi soit écrite, mais intègre en quantité variable des éléments de droit germanique. Elles visent à assurer à la société la justice et la paix, termes qui dans le voc. Politique du HMA désignent ce que nous appellerions aujourd’hui l’ordre public, d’où la nécessité, pour cet ordre, d’être garanti par une autorité éminente, le roi. Mais contrairement aux lois romaines ou modernes, elles ne reposent que très rarement sur le principe de sanction, mais sur le principe de compensation (le terme revient 27 fois dans le texte) ou wergeld (le prix de la valeur) : tout crime ou délit est compris comme une injure faite à l’honneur de la victime, qui peut enclencher le cycle de la vengeance (= faide). Pour l’éviter, la loi fixe un prix qui permet de racheter l’outrage. Si la victime ou sa famille accepte cette compensation, la vengeance s’éteint. Le rôle du juge n’est donc pas de dire le droit et de déterminer les culpabilités, mais d’arbitrer entre les parties afin d’aboutir à une telle pacification. La loi devient donc un outil du compromis, qui permet de fixer un prix identique pour tous : cette justice ne repose pas sur le principe d’égalité (tout justiciable à droit à une justice identique) mais sur la principe d’équité (chacun doit pour le même délit la même compensation, selon son rang et celui de sa victime) (J. Rawls, sur les lois barbares, v. :
- L. Génicot, La Loi, (Typologie des sources du Moyen Âge occidental, n° 22), Turnhout, Brepols, 1977,
- P. Womald, The Making of English Law,
Oxford
, Blackwel, 1999
-
Id.
, « Lex scripta et Verbum regis : legislation and germanic Kingship from Euric to Knut », dans P. Sawyer et I. Wood, Early Medieval Kingship, p. 108-130)
D’ailleurs, la loi intègre le principe d’inégalité des personnes, qui ne sont pas passibles des mêmes peines selon leur statut juridique.
Au sommet de cet ordre social se tiennent le roi et l’Eglise : les délits commis à leur égard sont les plus chers à racheter. Ils sont en fait la garantie de la loi, plus particulèrement dans le contexte de rédaction de ce texte, révélé par la rève introduction : « Voici les décrets que le roi Ethelbert a établis au temps d’Augustin ». L’auteur est donc présenté comme étant le roi du Kent lui-même, mais l’accent est mis sur l’intervention d’un autre personnage.
Ethelbert, roi du Kent de 566 à 616, est à l’époque le souverain le plus puissant d’Angleterre et a acquis la suprématie sur les royaumes voisins d’Essex et d’Est-Anglie. Il a épousé une princesse mérovingienne, Berthe, fille de Caribert Ier, chrétienne, qui est venue dans le Kent avec un évêque et une chapelle. Sous l’influence de son épouse, et des missions diligentées par Grégoire le Grand à partir de 596, il se convertit à la Pentecôte 597. L’artisan majeur de cette conversion est Augustin, missionnaire romain et premier archevêque de Canterbury. La loi est donc bien l’œuvre nominale du souverain anglo-saxon (elle est d’ailleurs rédigée en vieil anglo-saxon, particularité propre à toutes les lois anglo-saxonnes) et elle est très peu influencée par le droit romain, mais elle est rédigée sous l’influence d’un milieu romain et franc, d’où sa forme écrite et son caractère de droit public (émané d’une autorité légale qui la garantie).
Analyse, date et contexte :
Les 89 articles (dont 40 ne sont pas reproduits ici, les uns pour manque de clarté, les autres concernant un sujet déjà vu à travers la loi salique l’an dernier) sont classés par statuts juridiques : viennent d’abord les cas concernant l’Eglise (§ 1), puis le roi (§ 2-12), les nobles (§ 13-16), les hommes libres (§ 17-31), les femmes (§ 73-85) et les serviteurs (85-89). Mais le classement n’est pas toujours rigoureux, et suit aussi la thématique des crimes et délits évvoqués.
Ils sont traditionnellement datés de 602-603, selon le témoignage de Bède. Cette datation coïncide par ailleurs avec les informations de l’intro : il faut attendre la deuxième mission romaine de 601 pour que la conversion au christianisme progresse véritablement dans le royaume et qu’Augustin commence à jouer un rôle important auprès du roi, d’où la référence à sa personne au côté de celle du roi.
Ce texte s’inscrit donc dans le contexte plus vaste de la conversion de l’Angleterre au christianisme et à la reprise des relations avec le continent, également manifestée par l’alliance d’Ethelbert avec les Mérovingiens. Le Kent, principauté la plus méridionale de l’heptarchie et la plus proche du continent était par ailleurs celle où la romanité avait été le moins malmenée (son nom est d’ailleurs celui de l’ancienne cité des Cantuarii, au contraire des autres royaumes qui ont des noms germaniques), et qui était le plus resté en lien avec le continent (des Francs avaient d’ailleurs participé à sa colonisation avant de se mêler aux Jutes et aux Saxons). Les lois d’Ethelbert manifeste donc l’effort effectué par les Anglo-saxons au fil du VIIème siècle pour réintégrer le monde occidental et pacifier une société durement marquée par les violences de l’invasion germanique la plus massive et complète qui ait eu lieu. //t, dans une société encore partiellement chrétienne, et où le choix du roi est contesté (réaction païenne de 616), elles sont un moyen d’affirmer le pouvoir du roi comme garant de l’ordre social.
Bilan critique :
Un texte qui témoigne de l’état de la société dans l’Angleterre anglo-saxonne du début du VIIème siècle et du fonctionnement de la justice et de la loi dans les sociétés du HMA. Mais son caractère législatif, figé, affirmation du pouvoir royal, doit aussi inciter à la prudence : d’une part, il témoigne avant tout de ce qui ne fonctionne pas, qui est condamnable dans la société ; d’autre part, il donne une vision normée de la société, essentiellement fondée sur les statuts juridiques des personnes.
Problématique :
Quel crédit apporter, donc, à cette vision de la société qui nous est ici offerte ? Ce qui revient à se demander ce que nous apprend ce texte sur le fonctionnement de la société du HMA et la façon dont ses dirigeants le perçoive.
I- Violence, compensation et fonctionnement social
II- Une société régie par les statuts juridiques et les droits et devoirs qu’ils impliquent
III- La protection des plus faibles : l’exemple des femmes.
Développement :
I- Violence, compensation et fonctionnement social
De part sa nature même, le texte nous décrit une société où la violence et le crime sont omniprésents. Le lire littéralement reviendrait à ne voir dans les Anglo-saxons du VIIème siècle que des brutes avides de meurtre, de vol et de sexe (remarque vaut pour toute source judiciaire : cf. code pénal). Mais à travers son analyse plus précise, il est néanmoins possible de comprendre le fonctionnement d’une société, certes pas encore totalement pacifiée, mais qui a développé des stratégies pour assurer son maintien et son renouvellement.
1- Une société violente :
Reprendre les différents aspects qui apparaissent dans le texte : vol (souvent avec violence), meurtre et mutilations, viol, adultère.
2- Des compensations révélatrices des rapports sociaux :
La compensation varie selon :
- le statut juridique du délinquant
- la gravité du crime ou du délit
- le statut juridique de la victime
(Prendre des exemples dans le texte)
Le Wergeld rend ainsi compte d’un principe de distinction sociale dans lequel la vie de chaque individu n’a pas le même prix. //t, payer la compensation est aussi un moyen de se distinguer socialement, d’affirmer son rang, ce d’autant plus qu’il doit être payé « sur ses propres biens ». Il rend aussi compte d’un système de valeur qui affirme l’importance des hiérarchies et vise à la reproduction sociale, aussi bien symboliquement que matériellement.
3- Stratégies de protection et de reproduction :
En effet, le Wergeld a un but essentiel : assurer la compensation du tord commis tout en évitant le cycle infernal de la vengeance, ou au moins, en le limitant, pour éviter que les affrontements privés ne désagrège le corps social. Plus qu’une sanction de la faute, c’est un moyen que se donne la société pour assurer sa défense et sa préservation en contrôlant la violence plus qu’en l’interdisant.
Par ailleurs, sa nature différentielle selon le rang des individus vise clairement à figer des statuts juridiques afin d’assurer la reproduction sociale et de garantir que chacun reste à sa place.
Au cœur de cette ambition de reproduction de la société se trouve celles qui y assurent la fonction de reprdoduction matérielle : les femmes. Elles sont en fait encadrées par trois types de mesures :
- celles qui visent à éviter le trouble à l’ordre social que peuvent engendrer les relations adultères, qui peuvent entraîner un cycle de vengeance impliquant le mari, l’amant et leur famille.
- Celles qui visent à figer l’ordre social en limitant les possibilités d’union entre personnes de statuts différents, dont les enfants pourraient prétendre au rang de leur parent le plus prestigieux (constante dans les lois barbares)
- Celles, enfin, qui visent à éviter l’appropriation de force des femmes sans homme, veuves, et surtout vierges (2x Wergeld)
On a donc bien à faire à une société dans laquelle le rang de chacun est fixé par la pratique sociale, et dans laquelle la loi tient compte de ces distinctions.
II- Une société régie par les statuts juridiques et les droits et devoirs qu’ils impliquent
La structure même du texte montre bien que tous les hommes ne sont pas considérés comme égaux dans cette société, et qu’au statut de chacun correspond un traitement spécifique. Cette classification juridique complexe de la société reflète-t-elle pour autant totalement son fonctionnement réel ?
1- Une classification juridique à la fois simple et complexe :
Cette classification repose sur une distinction simple : certains hommes sont libres et d’autres non. Cette coupure juridique fondamentale se retrouve dans toutes les sociétés du HMA et à de lourdes implications sociales : le libre possède seul une pleine capacité juridique. Dans certaines situations, c’est d’ailleurs au maître de payer pour son serviteur (§ 87 et 89), qui n’est donc pas pleinement responsable en justice.
Mais cette classification est plus complexe qu’il n’y paraît : tout d’abord, le roi et les hommes d’Eglise échappe à la règle générale et sont placés dans un statut spécifique, au-dessus du reste de la société.
D’autre part, au § 26, on voit apparaître une catégorie différente : les laet. Ce sont en fait des demi-libres (c. des lètes francs, des aldions lombards ou des colons). = hommes juridiquement libres mais qui dépendent d’un seigneur qui les entretient, généralement en leur confiant une terre à mettre en valeur pour son compte. Souvent des affranchis. La distinction fondamentale de la société entre libres et non-libres n’est donc pas toujours si effectives que ça.
Si l’on s’intéresse ensuite à chacune de ces grandes catégories, on constate que libres comme non-libres sont eux-mêmes subdivisés en plusieurs catégories reconnues par la loi (ce qui est relativement rare dans les lois barbares qui souvent se contentent du simple critère de liberté, cf. Loi salique) :
- les non-libres sont qualifiés parfois de serviteurs, parfois d’esclaves, ce qui ne traduit pas de différence juridique (§ 16 : servante est synonyme de femme-esclave). Par contre il est fait mention de plusieurs classes d’esclaves : d’abord, ceux qui appartiennent au roi (§ 10), qui correspondant à la première classe, et bénéficient, en tant que biens du roi (§ 4), d’une protection spécifique, puis les « esclaves du moulin », ce qui doit renvoyer à une aptitude professionnelle spécifique ou à un logement sur l’exploitation de leur maître, et qui constituent une deuxième classe. Enfin, les esclaves de troisième classe, sur lesquels on a pas de précision, et qui doivent être les serviteurs exploitant les terres, peut être chasés sur elles. Ils pourraient aussi être assimilés aux serviteurs des nobles (§ 14) pour qui la compensation prévue est identique.
- les hommes libres peuvent être de simples hommes libres, ou des ceorl (= nobles), eux-mêmes distingués en plusieurs catégories selon leur pouvoir. Ce pouvoir découle d’obligations spécifiques.
2- Des devoirs spécifiques au statut social :
Les nobles, comme le roi, sont désignés par la loi comme ceux qui possèdent le mundbyrd (= mundeburd des Francs, m. à m. pouvoir de protection) (§ 8 et 15), c’est à dire le droit de protection sur d’autres hommes. Les nobles sont précisément ceux qui sont placés directement sous le mundbyrd du roi. Ils sont eux-mêmes des serviteurs et des terres placés sous leur protection, et c’est à eux que doivent être payé les compensations prévues quant aux atteintes portées contre ces hommes ou ces biens (§ 13-16). Cette protection se traduit aussi par la création de compagnonages guerriers qui se traduit formellement, de façon plus nette dans la société anglo-saxonne que dans d’autres sociétés plus romanisées, par la pratique des repas et de la boisson pris en commun : que ce soit le roi qui boit dans la maison de quelqu’un (signe de fidélité de celui qui le reçoit) au § 3, ou dans la mention du § 25 des Hlafeata, c’est-à-dire ceux qui sont nourris par un noble à sa table, ses fidèles.
Le plus haut degré de protection dans la société appartient bien sur au roi, qui doit notamment garantir la cohésion de son peuple à travers les assemblées (§ 2), lieu de réunion de l’armée qui réunit tous les hommes libres, et aussi lieu de délibération collective d’où sont issus des textes comme celui-ci. Cela se traduit par le wergeld plus élevé dû pour chaque atteinte à ses biens ou à son honneur. Mais aussi par les « amendes », c’est à dire les sanctions pénales qui frappent certains crimes et délits et traduisent ce droit de protection éminent du souverain, et peut prendre un aspect rituel (« l’anneau du seigneur » de 50 shillings pourraient correspondre à une équivalence entre le poids de métal précieux représenté par cette somme et un bijou signe de souveraineté, de type torque, tel qu’on en a retrouvé à Sutton Hoo).
Pour les simples hommes libres, les devoirs sociaux s’inscrivent essentiellement dans les liens familiaux : « lignage » (§ 23) : il existe une solidarité entre les membres d’une même famille, qui se traduit par des obligations collectives en termes de justice. Cette solidarité collective se traduit par la protection qu’exerce chaque homme sur son épouse (analyser les articles sur les femmes pour le montrer). Chaque famille vit donc dans une maison entourée d’un enclos qui traduit cette protection de l’homme sur sa famille, d’où la gravité du fait de rompre cette clôture.
Cette pyramide de protection reflète-t-elle pour autant tous les rapports existant dans cette société ?
3- Des liens de protection masquant des rapports de domination :
Le texte, du fait même de son caractère législatif qui vise à régler des situations de conflit, témoigne également des tensions violentes qui traversent cette société. Il aborde notamment trois grandes thématiques récurentes qui traduisent des réalités à l’œuvre dans ce monde :
- la violation de la propriété d’autrui, et notamment l’intrusion dans l’espace protégé de l’enclos et le meutre d’un homme placé sous la protection d’un autre homme.
- Les relations entre libres et non-libres et notamment les exactions violentes qui peuvent être commises contre un esclave, les cas d’insoumission des serviteurs et les relations sexuelles entre les deux catégories.
- L’adultère et l’appropriation d’une femme placée sous la protection d’un autre homme.
Ces trois configurations ont en commun de mettre en danger l’ordre social par la mise à mal du droit de protection et la transgression d’un ordre juridique qui met également en place un principe de domination à plusieurs degrés :
- domination du roi sur tous ses sujets.
- Domination des nobles sur les autres.
- Domination des libres sur les non-libres.
- Domination en général des hommes sur les femmes.
Les violences décrites dans le texte, et les compensations qui leur sont attribuées sont donc des indices sur du fonctionnement d’une société dans laquelle le pouvoir est défini comme protection.
III- La protection des plus faibles : l’exemple des femmes et de l’Eglise.
Cette protection s’exprime prioritairement vis-à-vis de ceux qui apparaissent comme les plus faibles et sont donc placés sous la responsabilité des plus puissants. Mais pour les femmes, comme pour les esclaves, cette position de protégés est aussi synonyme de sujétion au protecteur. Or, le début de la christianisation de la société amène aussi à définir une nouvelle protection : celle de l’Eglise, qui échappe en partie au modèle dominant.
1- Des objets de convoitise
L’image de la femme que donne le texte est finalement d’abord celle d’un « objet » (au sens philosophique du terme) que s’approprient les hommes, et qui est donc à l’origine de tractations et de conflits entre eux. Les femmes se prennent (§ 76) ou s’achètent (§ 77). Les hommes possèdent donc les femmes. Il est donc nécessaire de réguler ce système afin d’éviter les abus qui pourraient mener à des affrontements entre homme pour la possession des femmes (problème du rapt, de l’adultère) et donc assurer la certitude de la filiation, nécessaire à la reproduction d’une société hiérarchisée.
Les femmes elles-même sont soumises au principe de hiérarchie : une servante ou une femme de serviteur n’a pas droit à la même protection qu’une femme libre, et même qu’une femme noble (et cela semble se traduire par des codes physiques et vestimentaires : « femmes libres aux longs cheveux » // dans Beowulf : « la princesse aux beaux bracelets »). Ainsi, elles sont également intégrés au système de droits et devoirs spécifiques liés au système des statuts juridiques. Contrairement à ce que pourrait laisser penser la première impression, elles possèdent donc des droits spécifiques, qui pour celles qui appartiennent aux classes supérieures, peuvent eux-mêmes devenir objets de convoitise et entraîner de nouveaux risques de rapts : elle hérite une partie des biens de son mari, a des biens constitués par la dot et le douaire (expliquer) et son Morgengabe (Don du matin ; présent offert par l’apoux à sa femme au matin de la nuit de noce en compensation de sa virginité, d’où l’importance accordée à sa préservation). Elle peut même (disposition très rare dans les sociétés du HMA) choisir de quitter son époux. Mais même dans ce cas là, elle n’est jamais totalement libre : elle est toujours placé sous la protection d’un homme, son mari, son père ou son frère, son fils adulte. Et c’est cette protection qui fond véritablement le statut juridique et social de la femme.
2- Une protection dominatrice
C’est en effet cette protection des hommes sur les femmes (qui peut se justifier par la violence de la société contre laquelle elles sont peu à même de répliquer seules, du fait de leur éducation) qui fonde la domination des hommes sur les femmes. Une femme n’a pas de statut par elle-même : elle appartient à la classe à laquelle appartient son protecteur. Le problème est donc d’assurer la continuité de cette protection afin d’éviter tout risque de déclassement. On exclue donc de la protection les femmes qui par leur comportement, mettent en danger l’ordre social (§ 73 : seul cas ou la femme est redevable personnellement du Wergeld) => peur traditionnelle de la femme au comportement « masculin ».
De même, dans les cas d’adultère, en plus du rachat de l’honneur du cocu, il faut aussi assurer la sauvegarde de sa protection sur la femme volage, ou assurer le remplacement de la coupable afin de préserver ce droit de protection.
Le principe de protection, par lequel la femme « appartient » à son protecteur, fonde donc une domination masculine forte, mais qui est destinée, paradoxalement, à préserver les femmes d’une domination plus brutale et sans règle : celle du viol, du rapt, de l’appropriation violente qui nuit à la femme, mais aussi à la famille qui perdrait ainsi le prix de la « vente » de sa fille (§ 82-84).
3- Une protection au service d’un projet de pouvoir : la protection de l’Eglise
A côté de cet aspect de protection-domination des femmes, qui pourrait être mise en parrallèle avec celle qui s’exerce sur les serviteurs, moins bien documentée ici, apparaît une autre forme de protection qui tranche par rapport à la tonalité générale du texte, et s’en détache nettement, étant placé en tête. Il s’agit de la protection assurée par la loi aux biens et aux personnes ecclésiastiques. Il est surprenant que dans un contexte de conversion récente, dans une société encore très peu christianisée comme en témoigne le reste du texte, soit ainsi placé en tête ces mesures de protection de l’Eglise.
Cela s’explique bien sûr par le contexte de conversion : il est nécessaire d’assurer la sécurité d’une Eglise encore jeune et mal assurée. Cet article 1 porte d’ailleurs la marque probable d’Augustin et de son entourage romain, puisqu’il envisage des cas (paix de l’Eglise, assemblée = synode) qui ne pouvaient pas encore exister dans le Kent des années 602-603. On a donc ici un exemple parfait de mixte de tradition romaine-chrétienne dans les cas définis, et de tradition germanique dans la mesure où ce sont des compensations, et non des sanctions qui sont prévues.
Par ailleurs, les Wergeld prévus pour l’Eglise sont proches de ceux qui touchent aux biens du roi (cf. assemblées eccl. et royales : compensation de 2 fois). Les deux institutions sont mises en rapport, comme structures d’encadrement de la société, d’une façon encore très fictive dans cette période. Cet article est donc un véritable pari sur l’avenir, plus qu’un reflet de la réalité de l’époque.
Mais il témoigne aussi de la vérité d’une Eglise encore faible et qui, dans le contexte contemporain, a encore besoin de cette protection. Même si dans le futur, elle l’utiliserait pour développer des immunités.
Conclusion :
Ce texte témoigne d’une société en train d’entrée dans le monde de l’écrit, de la romanité, du christianisme, mais qui conserve nombre de traits encore très germaniques. Placée sous l’autorité d’un roi qui apparaît ici moins comme un Herrkönig et plus comme un garant de l’ordre social, grace à son droit de protection, elle se donne à voir comme un monde dans lequel on cherche à contrôler par la transaction et le compromis une violence endémique, mais que la nature de la source amène sans doute à surestimer. La protection, au cœur de ce système, assure ainsi la domination des plus puissants sur les plus faibles qui ont besoin de cette protection.
Cette réalité sociale, qui transcende la division hiérarchique complexe des statuts juridiques, est un trait dominant des sociétés altomédiévales qui s’affirme tout au long de la période.
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Les reines mérovingiennes
27/10/2006 00:55
Illustration : le supplice de Brunehaut, Jean Froissart, Grandes Chroniques de France, manuscrit du XVème siècle.
Intro :
Double compréhension possible du sujet : les épouses des rois mérovingiens (= thème principal) et les princesses mérovingiennes mariées à des rois étrangers (= thème annexe, surtout source d’exemples complémentaires). Pose plusieurs problèmes de définition par rapport à :
- l’identification même de la reine dans une société ou unions multiples et concubinages restent des réalités fréquentes, surtout chez les rois ;
- la place d’une femme dans une société très patriarcale (cf. loi salique) où la femme est une éternelle mineure qui passe du pouvoir de son père à celui de son époux ;
- le devenir des reines une fois libérées de l’autorité de leur mari (veuvage et répudiation)
=> permet d’établir trois catégories selon le rapport des reines à leurs obligations d’épouse du roi et de femmes : les discrètes, les saintes et les femmes de pouvoir, une même femme pouvant passer d’une catégorie à l’autre au cours de sa vie.
Pbic : Pourquoi, dans une société où les femmes sont théoriquement privées de tout pouvoir certaines reines mérovingiennes parviennent-elles à occuper une position de pouvoir et quelle image en ont donné les historiens de l’époque qui sont tous des hommes ?
I- le statut de la reine :
1- La femme du roi :
- position et rôle au Palais / place particulière de la reine dans la dynastie carolingienne du fait de légende des origines (filiation divine par l’intermédiaire d’une femme, cf. Liber Historiae Francorum)
- ascension sociale (Radegonde = captive, Bathilde = esclave)
- alliances étrangères
2- Le problème de la polygynie royale et les implications politiques du mariage :
Exemples : les 7 épouses de Clotaire Ier et les deux mariages de Dagobert, qui correspondent à son passage d’Austrasie en Neustrie.
ð problème de l’absence de règles matrimoniales strictes (deux mariages + concubinages)
ð difficulté à savoir quelles femmes du roi sont ou ne sont pas reines (cf. Radegonde et Arégonde) : début de clarification en cours de période (distinction épouses / concubines) dans un intérêt dynastiques (qui a droit à l’héritage paternel et qui n’y a pas droit)
Renchaînements d’alliance avec l’étranger (wisigoths, lombards) ou au sein de la famille (mariage Chilpéric II _ Bilichilde = tentative de rétablir l’union du royaume et de restaurer la puissance mérovingienne en mettant fin à la dispersion du patrimoine royal)
3- La reine sans le roi : répudiées et veuves :
Ex. : La répudiation de Nanthilde
Clothilde, arbitre de la famille mérovingienne
Vecteurs de légitimité : Waldrade, épouse de Theodebald, est épousée, une fois veuve, par Clotaire Ier quand il s’empare du royaume de son neveu. Elle lui apporte en outre l’alliance lombarde.
Brunehaut et Bathilde : les régentes
II- De saintes reines données en exemple :
1- La reine, vecteur de conversion : Clotilde et Berthe.
2- La reine fondatrice d’abbaye :
- un moyen d’échapper à l’emprise masculine : Radegonde ;
- une voie de garage pour les douairières encombrantes : Bathilde.
=> une forme de pouvoir proprement féminin qui se construit en marge des institutions masculines (la sainteté féminine n’est pas une sainteté efficace) mais rejailli sur l’ensemble de la dynastie, dont ces reines font une « sainte lignée ».
3- Un exemplarité étendue au reste de la société :
Reine veuve = gardienne de la mémoire familiale qu’elle entretient (rôle d’arbitrage : Clothilde) ou qu’elle protège par ses prières (abbesses et nones).
Promotion et préservation de la memoria familiale par les femmes + fondation de monastères familiaux confiés aux veuves mais qui constituent des points d’appui familiaux = repris par les grandes familles aristocratiques (ex. Burgundofara et les Faronides de Meaux, Gertrude de Nivelles et les Pippinides).
III- Le contre modèle : la reine qui exerce le pouvoir :
1- Frédégonde, ou l’ambitieuse :
2- Brunehaut, ou l’hybris :
=> pas de pouvoir proprement féminin, les femmes utilisent les mêmes réseaux et moyens que les hommes, y compris la violence, ce qui explique que leur attitude choque car elle apparaît contraire à la féminité.
3- Un jugement d’hommes sur l’attitude des femmes :
Femmes qui se mêlent du pouvoir masculin = mal perçues, stigmatisées comme des femmes qui se comportent comme des hommes (Brunehaut, // à l’étranger avec Théodelinde chez les Lombards) ou qui abusent de leur charme pour corrompre les hommes (thème classique de la mauvaise conseillère utilisant le vice pour parvenir à ses fins : stéréotype antique de Messaline plaquée sur Frédégonde comme sur ????, femme d’Herménigilde ou la lombarde Rosamonde).
A cette stigmatisation s’ajoute souvent l’accusation sur les origines : Frédégonde ou Bathilde sont des esclaves, Brunehaut est une wisigothe soupçonnée d’avoir importé le morbus gothicus dans le Royaume des Francs, comme la femme d’Herménigilde, franque, est soupçonnée de manipuler son époux pour affaiblir le royaume wisigothique.
=> problème fondamental des mariages diplomatiques qui font de la reine une étrangère à la cour de son mari, sans cesse à la merci d’un possible retournement d’alliance (cf. Beowulf, Galswinthe).
Conclusion :
De par son statut et ses fonctions à la cour, la reine est avant tout une auxiliaire du pouvoir royal, qui lui permet de s’appuyer sur certains puissants lignages, intercède pour les leudes ou participe à la gestion quotidienne du palais. Néanmoins, une fois veuve, la reine peut occuper, en tant qu’abbesse ou en tant que régente de ses fils mineurs, une position éminente qui lui permet de construire un pouvoir spécifique, admis par les hommes quand il se limite au domaine de la religion et du souvenir familial, mais unanimement condamné quand il imite trop les formes du pouvoir masculin. En outre, représentante isolée à la cour d’un groupe familial ou d’une famille royale étrangère, quand elle n’est pas une servante promue par le mariage, la reine reste sans cesse menacée par les cabales et retournement d’alliances.
Reines mérovingiennes : 3 catégories : les discrètes, les saintes et les femmes de pouvoir + femmes de rois étrangers.
Basine, fille du roi des Thuringien, épouse de Chilpéric Ier = discrète
N, fille ou sœur de Sigebert de Cologne = discrète
Clothilde, fille de Gondebaud, roi des Burgondes, veuve consacrée à Tours = sainte
Audoflède, sœur de Clovis, épouse Théodoric Ier, roi des Ostrogoths = femme de roi étranger
Suavégothe, fille de Sigismond, roi des Burgondes, épouse Thierry Ier = discrète.
Guntheuca, femme de Clodomir Ier = discrète
Ultrogothe, princesse gothique, épouse de Childebert Ier = discrète
Clotilde, fille de Clovis, épouse Amalaric, roi des Wisigoths = discrète
Déoteria puis Wisigarde, épouses de Théodebert Ier = discrète
Walrade, fille du roi des Lombards Waccho, épouse Theodebald puis 7ème femme de Clotaire Ier = discrète+victime.
Théodechilde, fille de Thierry Ier, épouse le roi des Warnes = femme de roi étranger.
Ingonde, fille d’un aristocrate rhénan, 1ère épouse Clotaire Ier = discrète
Radegonde, fille du roi des Thuringiens ramenée captive après la défaite de son père, 2ème épouse de Clotaire Ier = sainte.
Arégonde, sœur d’Ingonde et 3ème épouse de Clotaire Ier = discrète.
3 N : 4ème, 5ème et 6ème épouse de Clotaire Ier = discrète
Berthe, fille de Caribert Ier, épouse Æthelbert de Kent = femme de roi étranger + sainte.
Chlodoswinthe, fille de Clotaire Ier, épouse Alboin, roi des Lombards = femme de roi étranger + renchaînement d’alliance
Brunehaut, fille d’Amalaric, roi des Wisigoths, épouse Sigebert Ier , régente de Childebert II, Thierry II puis Sigebert II, puis épouse de Mérovée = femme de pouvoir + renchaînement d’alliance
Audovère, fille d’un aristocrate neustrien, première épouse de Childéric Ier = discrète
Galswinthe, fille d’Amalaric, roi des Wisigoths, deuxième épouse de Childéric = discrète + victime + renchaînement d’alliance
Frédégonde, servante ( ?), 3ème épouse de Childéric = femme de pouvoir
Ingonde, fille de Sigebert Ier, épouse Herménigilde, fils du roi des Wisigoths = femme de roi étranger + femme de pouvoir
Nanthilde, fille d’un aristocrate austrasien (Pépin de Landen ?), 1ère épouse de Dagobert = discrète + victime
Wulfégonde, fille d’un aristocrate neustrien, 2ème épouse de Dagobert = discrète
Bathilde, esclave anglo-saxonne, épouse Clovis II = femme de pouvoir puis sainte
Bilichilde, fille de Sigebert III, épouse Chilpéric II = discrète + renchaînement d’alliance
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