| Accueil | Créer un blog | Accès membres | Tous les blogs | Meetic 3 jours gratuit | Meetic Affinity 3 jours gratuit | Rainbow's Lips | Badoo |
newsletter de vip-blog.com S'inscrireSe désinscrire
http://dreillard.vip-blog.com



VIP Board
Blog express
Messages audio
Video Blog
Flux RSS

année universitaire 2006-2007

VIP-Blog de dreillard
  • 51 articles publiés
  • 15 commentaires postés
  • 1 visiteur aujourd'hui
  • Créé le : 04/10/2006 02:29
    Modifié : 24/06/2007 14:30

    (0 ans)
    Origine : Valenciennes
    Contact
    Favori
    Faire connaître ce blog
    Newsletter de ce blog

     Septembre  2025 
    Lun Mar Mer Jeu Ven Sam Dim
    01020304050607
    08091011121314
    15161718192021
    22232425262728
    29300102030405
    [ Informations ] [ second semestre ] [ premier semestre ]

    L’Election de Hugues Capet d’après Richer.

    21/02/2007 01:00

    L’Election de Hugues Capet d’après Richer.


    Illustration : le monogramme royal d'Hugues Capet. En reprenant ce signe de validation des diplômes royaux créés par les Carolingiens, Hugues se plaçait dans leur filiation symbolique.

    Corrigé établi d'après M. Zimmerman, dans M. Kaplan (Dir.), Le Moyen Âge (IVème-Xème siècle), Paris, Bréal - Grand Amphi, p. 412-416. (en bleu les précisions que j'ai ajoutées)

    Remarques préliminaires : les objectifs du texte.

     

                Evidents dès le premier abord :

     

    ·     l’avènement de la dynastie capétienne

     

    ·     le mode de transmission du pouvoir royal.

     

    Apparents dans un second temps :

     

    ·     la justification d’un “ coup d’Etat ” ;

     

    ·     le pouvoir des “ Grands ” au Xéme siècle.

     

     

    1-   Présentation du document

     

     

    Extrait de l’Histoire (Historiarum Libri Quatuor), de Richer.

     

     

                La nature de la source

     

    ·     Une histoire. Au cours des premiers siècles du Moyen Age, on distingue la chronique et les annales, récits purement chronologiques, fondés sur la succession des temps et pouvant remonter aux origines de la Création- et l’histoire, œuvre plus savante et élaborée, portant sur un objet particulier (nation, époque) et ayant des buts théléologiques.

     

     

    L’auteur et son œuvre

     

    ·     Richer (v.940-après 998), moine de l’abbaye Saint-Rémi de Reims depuis 969, disciple de Gerbert d’Aurillac dont il nous décrit l’enseignement, entreprit à la demande de son maître d’écrire l’histoire de son temps. Son œuvre, comprenant quatre livres d’histoire (historiarum libri quatuor) embrassant la période 888-995, devient originale après 966, où il rapporte les événements dont il fut le témoin.

     

    ·     Richer est un imitateur docile des historiens romains, Salluste en particulier ; il se montre peu soucieux de chronologie, plus attentif à diagnostiquer les symptômes des maladies royales. Beaucoup d’historiens minimisent la valeur de son témoignage. Si les sentiments qu’il prête aux personnages, les discours qu’il leur attribue suscitent la méfiance, il reste une source de premier ordre, pratiquement la seule pour le règne de Hugues Capet. Sa situation en fait un observateur de premier plan des troubles agitant la province de Reims.

     

     

     

    2-   Analyse

     

     

    L’essentiel du texte est occupé par le discours de l’archevêque Adalbéron, dont l’argumentation développe 3 points :

     

    ·     le trône ne s’obtient pas par droit héréditaire, mais par l’élection du meilleur ;

     

    ·     le meilleur est le duc Hugues, alors que Charles a déchu ;

     

    ·     l’intérêt public mais aussi les intérêts privés exigent le choix de Hugues.

     

     

    ð le duc Hugues est élu par tous les peuples présents et couronné.

     

     

     

    3-   Mise en place du document

     

     

    Quels éléments du texte exigent des éclaircissements préalables ?

     

     

     

    v la situation du royaume franc en 987 :

     

    ·     la situation du royaume franc en 987. Le 21 ou 22 mai, mort du Carolingien Louis V. Agé de 20 ans, ne laisse aucune descendance. Seul Carolingien survivant : son oncle, Charles, depuis 977 duc de Basse - Lorraine qui, contrairement à une tradition pluriséculaire, n’a pas été appelé en 954 à partager le pouvoir de son frère Lothaire. Les “ grands ” du royaume, princes territoriaux et fidèles du roi, sont alors réunis à Compiègne pour juger l’un des leurs, l’archevêque de Reims, Adalbéron.

     

    v la réunion de Senlis et la personnalité d’Adalbéron :

     

    ·     Fils d’un comte de Metz, chanoine à Metz, Adalbéron est élu archevêque en 969. Prélat remarquable, il réforme son diocèse. D’origine lorraine, il devient (sous l’influence de Gerbert ? ) partisan de l’Empire restauré en 962. En 985, il tente de déjouer la tentative du roi Lothaire pour s’emparer de la Lorraine, enjeu permanent entre France et Germanie. Accusé de trahison, il parvient à se justifier. Mais le nouveau roi Louis V le poursuit de sa vindicte et le traduit le 18 juin 987 devant une assemblée réunie à Compiègne. Après la mort du roi, la présidence de l’assemblée passe à Hugues Capet, duc de France, le + important personnage du royaume après le roi ; Hugues obtient facilement la disculpation d’Adalbéron qui joue un rôle de premier plan dans la suite des événements.

     

     

    A son initiative relayant celle du duc, l’assemblée de Compiègne décide de s’ajourner pour se réunir plus tard à Senlis, afin de procéder à la désignation du nouveau roi.

     

     

    4-   Explication

     

     

    ·     Le texte est un discours construit selon les règles de la rhétorique classique ; son argumentation fournit l’axe de l’explication, à condition de regrouper les éléments dispersés ou répétitifs.

     

    ·     Une question préalable est celle de l’authenticité d’un discours retranscrit au style direct. F.Lot n’y voyait que le “ développement oratoire d’un moine lettré ”. Mais Richer a pu recueillir des informations circulant dans le clergé rémois ; si les idées développées sont moins celle d’Adalbéron que les siennes, elles sont révélatrices de l’image que les contemporains gardaient de l’épisode => texte témoigne plus de la vision de la royauté qu’avaient les hommes de la fin du X° siècle que de la réalité de l’élection d’Hugues :

     

    ·     hérédité ou élection ? le choix du roi ;

     

    ·     la gloire de Hugues Capet

     

    ·     souci de l’intérêt public et défense des intérêts privés ;

     

    ·     les mobiles d’Adalbéron et le sens de sa victoire.

     


     

    I-   Le choix du roi : hérédité ou élection ?

     

     

    1-   Le cadre

     

    ·     L’assemblée se réunit à Senlis dans les derniers jours de juin ; donc sur le territoire du duc des Francs. C’est avec son autorisation qu’Adalbéron prend la parole.

     

    ·     “ cour plénière ” suggère que l’assemblée est au complet, que sont donc tous présents tous ceux qui constituent la “ cour ” du roi, les princes, ses vassaux, et les prélats titulaires d’évêchés royaux.

     

    ·     “ Grands ” = les vassaux directs du roi, tous ceux qui au nom de leur fidélité, peuvent prétendre à une part du gouvernement du royaume. Quant au mot Gaule, outre son caractère archaïsant, c’est le seul dont l’acception géographique s’étende à l’ensemble du royaume. (Francia, France, est beaucoup plus restrictif).

     

    ·     Le serment prêté par les grands reste obscur ; ou il sert à identifier la catégorie des grands (ceux qui, en échange de leur principauté tenue du roi, ont prêté serment), ou il a une signification immédiate (les grands présents à Compiègne ont-ils juré de ne rien entreprendre au sujet de l’élection du roi avant la réunion de Senlis ?)

     

    ·     En revanche, Adalbéron a bien préparé la réunion. Quand il prend la parole, il semble moins donner son avis personnel que résumer l’opinion générale (“ extraire de l’ensemble des opinions… un résumé du sentiment général)=> élection doit d’abord se fonder sur un consensus (procédure rejoint celle des plaids carolingiens de la fin du IX°).

     

     

     2- la naissance et l'électiion : 

    •  la succession royale, la naissance est une condition primordiale et souvent suffisante ; elle remonte à l’obligation faite aux Francs par Etienne II en 754 de ne jamais choisir un roi hors de la descendance de Pépin ; le problème ne se pose en 987 que parce que Louis est mort “ sans laisser d’enfants ”.
    •  Mais précisément, certains prétendent faire remonter cette légitimité à la génération antérieure ; Charles de Lorraine, oncle du roi défunt, a droit au trône “ parce que ses parents le lui ont transmis ” ; il est vrai que l’hérédité fait de tous les enfants mâles les co -héritiers du roi défunt et que c’est injustement que Charles a été écarté en 954 ; d’après les règles de l’hérédité, il est en 987 l’héritier légitime. Adalbéron doit donc démontrer que l’hérédité ne suffit pas.

       

     

    ·     “ Le trône ne s’acquiert pas par droit héréditaire ” : l’affirmation est péremptoire et partiellement contradictoire avec le début du propos. Pour Adalbéron, l’hérédité donne un certain avantage, mais le fils du roi défunt ne peut s’en prévaloir s’il ne réunit pas les qualités nécessaires à l’exercice de la royauté : noblesse, sagesse, honneur et générosité… et c’est la reconnaissance de ces qualités qui fonde le choix du roi.

     

    ·     Homme d’Eglise, Adalbéron privilégie un mode de recrutement, l’élection, qui est celui de l’épiscopat. Partisan de l’Empire, il fait de l’acclamation le signe de la reconnaissance divine. Seule élection permet à Dieu de guider vers le choix du meilleur.

     

    ·     L’histoire fournit une claire illustration du propos. L’hérédité ne désigne pas toujours le meilleur, puisque des “ empereurs de race illustre ” ont été déposés “ à cause de leur lâcheté ”. Adalbéron pense-t-il à Louis le Pieux déposé par ses fils ? à Charles le Gros déposé en 887 ? assimile-t-il empereur à Carolingien et pense-t-il à des précédents dans le royaume de France (emprisonnement de Charles le Simple) ?

     

    ·     Il sait toutefois que ces arguments juridiques et historiques ne peuvent emporter l’adhésion ; ils se heurtent au très fort sentiment de légitimisme carolingien qui a ramené au pouvoir, en 898 et en 936, les descendants de Charlemagne. Il faut donc trouver des arguments plus concrets et irréfutables.

     

    II-   La gloire de Hugues Capet

     

    Adalbéron passe en revue les mérites des deux candidats possibles, de manière à en exalter un aux dépens de l’autre=> ancrage dans le présent.

     

     

     

     

    1-   L’indignité de Charles

     

    ·     Adalbéron s’ingénie à démontrer que les droits acquis par l’hérédité et qui confèrent une certaine prééminence, Charles les abolit lui-même par son comportement ; sa “ déchéance ” résulte de sa “ faute ”.

     

    ·     pas d’honneur, indolence : Charles est en Lorraine et ne s’intéresse pas au royaume auquel il prétend ;

     

    ·     servi sous les ordres d’un prince étranger ; duc de Basse - Lorraine, il est depuis 977 vassal de l’empereur ;

     

    ·     s’est mésallié en épousant Adélaïde, fille d’un arrière-vassal du duc de France, Herbert de Troyes, mais à nuancer, car Herbert est de sang carolingien pur (descendant direct de Pépin d’Italie = famille de Vermandois).=> apparition de nouvelles règles de positionnement des individus dans la société : un Carolingien vassal apparaît inférieur à un non-carolingien duc ou prince.

     

     

    2-   La grandeur du duc

     

    ·     Ayant retrouvé en 960 le titre de duc des Francs, il est maître de la principauté de France, dont le territoire compris entre Orléans, Paris et Senlis constitue le centre de gravité ; seigneur féodal des seigneurs de la région, il possède une dizaine de comtés (Paris, Senlis, Dreux, Orléans…) et l’abbatiat laïc de plusieurs abbayes (dont Saint-Martin de Tours, d’où il tire son surnom de Capet). Marié à Adélaïde, fille du duc d’Aquitaine, il est uni par des liens familiaux aux autres princes du royaume. Vis-à-vis des derniers rois carolingiens, son attitude varie du soutien à l’affrontement ; en 983, il s’oppose aux tentatives de Lothaire sur la Lorraine et se rapproche de l’empereur. Il est le véritable maître du royaume, ce que Gerbert reconnaît en 985 : “ le roi de fait, c’est Hugues. ” ; jusqu’en 987, il se préoccupe de développer sa principauté et soutient la réforme clunisienne. Il ne manifeste aucune velléité de s’emparer de la couronne.

     

    ð Peut -être perçoit-il la force du légitimisme carolingien ? Aussi Adalbéron va-t-il en son nom développer une troisième série d’arguments.

     

     

    III-   Le service de l’Etat et la défense des intérêts particuliers

     

    1-   Le bonheur de l’Etat

     

    ·     Dans le royaume éclaté en principautés autonomes, l’idée de l’intérêt public n’a pas disparu ; du moins Adalbéron-Richer estime-t-il que les grands réunis à Senlis y restent sensibles (serait à discuter, car le Xème siècle est particulièrement marqué par la confusion du public et du privé) ; il affirme avec force que les relations particulières (inimitié envers le duc, affection pour Charles) doivent céder devant l’intérêt commun, et il appuie son appel de l’évocation d’une alternative apocalyptique (bon…méchant, prospérité…malheur) et manichéenne (lumière…ténèbres) ; le châtiment divin lui-même menace ceux qui emprunteraient la voie du malheur. Il est possible que cette belle envolée rhétorique et ces réminiscences classicisantes soient à mettre au crédit de Richer, mais il est vraisemblable que les princes et les évêques réunis à Senlis gardaient en l’esprit l’image d’un roi garant de l’ordre et de la justice… Néanmoins, tout ce discours sur l'Etat et le bien public est largement à mettre au crédit des milieux ecclésiastiques, mais ne trouve que peu d'échos chez les princes du Xème siècle, sinon sur un point : le roi doit respecter les équilibres entre les princes et ne pas utiliser la royautépour accroître sa propre principauté.

     

    2-   La richesse du duc

     

    ·     Cet appel à l’intérêt public risque d’être d’autant plus efficace que Hugues est capable de satisfaire les intérêts particuliers. Adalbéron achève son discours sur l’éloge de la puissance et la richesse du duc ; c’est l’image du père, du patron, du protecteur qu’il laisse à son auditoire ; c’est bien en définitive la perspective de fructueuses relations bilatérales qui doit emporter la décision des électeurs.

     

     

    3-   L’élection de Hugues

     

    ·     Le discours entraîne une adhésion unanime.

     

    ·     Le duc de France est porté sur le trône, vieux rite d’élévation signifiant la reconnaissance d’un pouvoir, puis couronné le 1er juin à Noyon. Le sacre interviendra seulement le 3 juillet à Reims.

     

    ·     La mention par Richer de tous les peuples qui élisent le nouveau roi mérite d’être relevée, même si on peut s’interroger sur l’opportunité de certains noms (Espagnols = Catalans ?) ; elle exprime la réalité d’un royaume déjà féodal, où le roi apparaît comme le fédérateur de principautés ou de nations “ autonomes ”.

     

     

    5- Intérêt du texte

     

     

    ·     L’apparition d’une théorie de la monarchie élective (même si Adalbéron n’est pas l’auteur d’un discours qui doit beaucoup à la culture classique de Richer).

     

    ·     Mais surtout la valeur symbolique- et paradoxale- de la date : l’avènement de la dynastie capétienne. Moins de 6 mois après son élection, Hugues Capet, en associant au pouvoir et en faisant sacrer son fils aîné Robert, rétablit les conditions d’une nouvelle hérédité.

     

    ·     Mais au moment même, c’est un non-événement : Hugues Capet n’est pas perçu par les contemporains comme le premier capétien mais comme le 4° Robertiens. Son élection ne provoque pas de rupture politique majeure.

     






    Le règne de Louis IV d’Outre Mer

    21/02/2007 00:46

    Le règne de Louis IV d’Outre Mer


    Introduction :

     

    Une simple analyse des surnoms accolés au prénom Charles, emblématique de la dynastie carolingienne, permet de saisir sa lente perte de prestige de 800 à 987 : à Charles le Grand, succèdent le Chauve, le Gros, le Simple (= + ou – l’idiot) et enfin Charles de Basse-Lorraine, titre ducal de celui qui ne régna pas.

    La mort de Charles le Chauve en 877, puis la disparition précoce de ses héritiers, la déposition enfin de Charles le Gros ont hâté l’effondrement du pouvoir royal en Francie occidentale. Le règne de Eudes, premier roi non carolingien depuis 751, voit l’émancipation des plus puissants aristocrates, en particulier hors de la zone entre Loire et Meuse qui avait constitué le cœur du royaume de Charles. En Aquitaine et en Bretagne d’abord, puis très vite en Flandre et en Bourgogne, les comtes les plus puissants, qui se qualifient de marquis pour souligner leur rôle dans la défense du royaume contre les Vikings et s’arrogent des titulatures de type royal (« par la grâce de Dieu seigneur comte »), commencent à rassembler comtés, évêchés et abbayes, à exercer la totalité du ban et une autorité publique que n’assume plus une roi lointain et trop occupé à défendre les cités de la Seine et de la Loire contre des pirates scandinaves qui se muent en envahisseurs. 

    Elevé au trône par le choix et avec l’accord de ces grands du royaume, Charles le Simple (899-923), dernier fils de Louis le Bègue que son jeune âge avait d’abord disqualifié à la mort de ses frères, cherche à restaurer le pouvoir royal, en réglant le problème des invasions normandes (traité de Saint-Cler-Sur-Epte, 911) et en réaffirmant son droit de protection sur les églises. Mais sa tentative de redonner une base territoriale à la royauté, en particulier en réoccupant la Lorraine, inquiète les grands qui se réunissent autour du frère d’Eudes, Robert. Déposé en 922, puis à nouveau en 923, Charles le Simple finit sa vie misérablement dans les geôles du comte de Vermandois, tandis que sa couronne devient objet de marchandage entre les grands. La Neustrie à son tour est partagée entre ces puissants. [Toute cette partie est, pour des raisons pédagogiques, plus développée qu’il ne le faudrait dans une dissertation normale, qui devrait se limiter à rappeler l’affaiblissement du pouvoir royal entre 877 et 936]

    Lorsqu’il est sacré roi le 19 juin 936, Louis IV, le fils de Charles le Simple, hérite donc d’une royauté affaiblie, disqualifiée, privée de sa dernière base territoriale par la remise de la Lorraine au roi de Germanie en 935. Comment pouvait-il régner dans ces conditions ? Le règne (regnum, regimen) avait en effet été, aux VIIIème et IXème siècles, le propre du roi carolingien qui exerçait un pouvoir quasi absolu sur le royaume des Francs unis autour de sa personne. Isolé, privé de terres et de fidèles, Louis IV était bien loin de pouvoir prétendre à ce pouvoir. Dans la plus grande partie du royaume, ce règne n’a même plus d’autre réalité que celle du décompte du temps, qui se fait toujours selon « le règne du glorieux seigneur Louis, roi des Francs ». Pourtant, de son avènement en 936 à sa mort en 954, il a su jouer des querelles entre les grands pour libérer en espace suffisant pour être certes un petit roi, mais malgré tout un vrai roi.

    Pbic : quels moyens Louis IV a-t-il utilisé pour s’imposer, ou au moins survivre aux attaques des grands ? Ce qui revient à se demander ce que signifiait régner au Xème siècle, et donc à comprendre pourquoi, malgré leur toute puissance, les grands ne peuvent se passer d’un roi.

    [Observer passage d’une question descriptive à une interrogation posant véritablement problème].

    Pour cela, il faut étudier l’état de la société et des rapports de force dans la première moitié du Xème siècle, traçant ainsi un tableau de la situation en 936, pour mieux comprendre comment, roi parmi les princes, Louis parvient à échapper à leur tutelle pour véritablement régner, ce qui lui a permis d’être un vrai roi reconnu par ses pairs.

    I-                   Tableau de la situation en 936 : les rapports de force au moment de l’avènement de Louis IV.

     

     

    A-     Les princes, vrais maîtres du royaume.

     

    1-     Les princes, vrais maîtres du royaume.

     

    2-     Qu’est-ce qu’être roi en 936 ?

     

    B-     Une Eglise entre crise et réforme.

     

    C-    Le choix de Louis IV : la naissance et l’élection (v. texte).

     

     

    II-                Un roi parmi les princes : de la tutelle au règne.

     

     

    A-     Un roi sans royaume ?

     

    Dépendance vis-à-vis des grands : v. texte.

     

    B-     Un roi sous tutelle : Hugues le Grand et Otton le Grand.

     

    C-    La capacité à utiliser les événements favorables : des périodes de règne effectif.

     

     

    III-             Un petit roi, mais un vrai roi, reconnu par les autres souverains européens.

     

     

    A-     La tentative de redonner une base territoriale et humaine à la royauté : la tentation lorraine et la débauche des fidèles des princes.

     

    Pour édifier une base territoriale, Louis IV est face à deux options qui resteront celles de ses descendants jusqu’en 987 :

    -         reconquérir la Lorraine en utilisant les liens familiaux qu’y conservent les Carolingiens, au risque de se brouiller avec ses protecteurs ottoniens et de laisser le champ libre aux princes en Neustrie ;

    -         la conquérir aux dépends des princes territoriaux, en utilisant leurs querelles, au risque de ne plus être qu’un prince parmi les autres.

     

    B-     Les attributs du règne : palais, diplômes et voyages.

     

    C-    Un roi dans la famille des rois et des princes.

     

    Intervention d’Otton s’explique :

    -         par le fait que Louis IV est son beau-frère.

    -         Par la nécessité de préserver les prérogatives royales afin d’éviter un précédent fâcheux qui aurait pu se répandre dans le reste de l’Europe (ne pas oublier qu’Otton lui-même est un roi élu).

     

     

    Conclusion :

     

    Pour Louis IV, régner consistait avant tout à maintenir une marge d’action minimale, mais nécessaire pour échapper à la tutelle des princes et au sort pathétique de son père. Il a su jouer sur les rivalités entre les grands, en particulier entre Hugues le Grand et Herbert de Vermandois, et préserver judicieusement l’amitié d’Otton le Grand pour gouverner effectivement l’espace entre Seine et Meuse. Mais ce royaume réel de Louis n’a plus beaucoup de rapport avec l’empire de Charlemagne, qu’Otton rénove deux ans avant sa mort. De plus, son décès prématuré remet en cause la plupart de ses acquis, redonnant l’avantage à Hugues le Grand. Roi entre les princes et l’empereur, Louis parvient tout de même à préserver l’essentiel : il restaure le prestige de la royauté et du sacre, garantissant la sécurité de ses descendants et préparant le chemin aux descendants d’Hugues qui, à partir de 987, se substitueront définitivement à la dynastie des Charles.

     






    La conquête de l’Angleterre (1066) d’après la « Tapisserie de Bayeux »

    21/02/2007 00:22

    La conquête de l’Angleterre (1066)  d’après la « Tapisserie de Bayeux »


    Intro :

     

    Document :

     

    Une source iconographique très particulière que l’on a pu qualifier de « 1ère BD de l’histoire ». Elle associe des dessins à un texte qui raconte succinctement l’histoire illustrée par la broderie. = phylactère, ancêtre de la bulle. Elle détaille les événements clés de la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant en 1066. L’original mesure 70 m de long pour une largeur de 50 cm. Elle est divisée en 70 panneaux portant chacun une scène distincte, qui ont ensuite été assemblés en une unique bande de tissu brodé. L’ensemble met en scène 626 personnages et, pour l’anecdote, 202 chevaux ou mules, 505 animaux de toute sorte, 37 édifices, quarante neuf arbres, qui sont une mine de renseignements sur le cadre de vie au XIème siècle.

    Cette œuvre est improprement appelée « tapisserie de la reine Mathilde » pour deux raisons :

    -         ça n’est pas une tapisserie, mais une broderie qui devait servir à orner un dais.

    -         Elle n’a pas été fabriquée par la reine Mathilde et ses suivantes comme le veux la légende, mais par un atelier de spécialistes de Winchester (les broderies anglo-saxonnes étaient en effet très réputées dans tout l’occident dès le IXème siècle, et donnait lieu à une production proto-industrielle). Les variantes au sein de la grande unité de style de l’ensemble et le style anglo-saxon des frises de bordure soutiennent cette hypothèse.

    Ces éléments, remettant en cause la légende traditionnelle selon laquelle Mathilde aurait elle-même brodé la tapisserie de Bayeux pour l’offrir en ex-voto à la cathédrale de cette ville posent le problème du commanditaire, de la date de fabrication de la broderie et des raisons de sa réalisation.

    Parmi plusieurs hypothèses, celle qui rassemble le plus d’historien :

    Commanditaire serait l’évêque Odon (ou Eudes) de Bayeux, demi-frère de Guillaume, qui devint évêque de Winchester après 1066 et était un proche conseiller de son frère. Elle dut donc être réalisé très vite après la conquête, et avant 1082, date de la mort d’Odon. Elle était destinée à orner la salle d’apparat du palais épiscopal de Bayeux, ce qui explique sa conservation dans cette ville. Elle était encore signalée dans le trésor cathédral dans un inventaire du XIVème siècle. On perd ensuite sa trace, et elle fut retrouvée dans un grenier au début du XIXème siècle, ce qui explique les incertitudes sur ses origines et son histoire.

    ð       une œuvre mystérieuse, mais remarquable par sa qualité, et très explicite dans ses motivations : justifier la conquête de l’Angleterre en 1066 par le duc Guillaume de Normandie en rappelant comment Edouard, le dernier roi anglo-saxon, avait fait de lui son héritier, et comment son beau-frère, l’etheling Harold Godwinson, avait juré au duc de respecter ses droits. Mais aussitôt Edouard mort, Harold se parjure et devient roi d’Angleterre, ce qui lui vaut d’être excommunié par le pape. Guillaume traverse alors la Manche avec une armée et défait Harold à Hastings, où il est tué par un jugement de Dieu. Guillaume devient alors légitimement roi.

    ð       Mais cette version officielle, celle des Normands, est la seule à être connue, du fait de la destruction par les envahisseurs des sources anglo-saxonnes. Or, on sait que la domination normande fut rejetée par une partie de la noblesse anglo-saxonne jusqu’à la fin du XIIème siècle (légende de Robin des Bois).

    ð       Une œuvre de propagande visant à justifier l’invasion et la domination normande en Angleterre en en rejetant la faute sur les Anglo-Saxons.

    Que nous apprend cette œuvre sur les relations entre Normands et Anglo-Saxons avant 1066 ? Pourquoi insiste-t-elle sur le bon droit de Guillaume et la relative facilité de la conquête ?

    I-                   Les relations entre les personnages.

    II-                La conquête.

    III-              La punition du parjure et le jugement de Dieu.

     

    I-                   Les relations entre les personnages : liens familiaux et relations interpersonnelles.

     

     

    Partie plus descriptive qui cherche à expliciter le document. 3 personnages en présence :

    -         le roi d’Angleterre Edouard Ier le Confesseur.

    -         Le duc de Normandie Guillaume II le Bâtard.

    -         L’etheling Harold Godwinson.

     

    A-     Le roi Edouard :

     

     

    Images 1 et 3.

    Image 1 = premier panneau de la tapisserie : Edouard est à l’origine de tout.

    Il est figuré trônant, portant couronne et sceptre, (= attributs de la royauté) dans un bâtiment qui a les attributs d’une aula palatiale, lieu du pouvoir, dans in bâtiment dont les tours et les murailles indiquent que c’est un château. L’image insiste donc sur sa royauté et sa puissance : après plus d’un siècle de division et d’occupation danoise, Edouard a réalisé l’indépendance et l’unité du royaume des Anglo-saxons (en réalité, c’est le premier AS à le faire, mais le roi danois Cnut, dont Edouard descend par les femmes, avait déjà réunifié le royaume c. 1020).

    A la gauche du roi apparaissant deux personnages qui lui parlent = des conseillers. Ils sont placés à gauche, côté néfaste : ce sont des mauvais conseillers. Celui qui est au premier plan est identifiable : c’est l’etheling Harold, son beau-frère. Le sens est clair pour un homme du XIème siècle : si Edouard a commis des erreurs, c’est poussé par de mauvais conseillers. 

    Mais Edouard n’est pas seulement un grand roi.

    Image 3 : la mort d’Edouard. Sur son lit de mort, le roi s’entretient avec ses fidèles, ce qui sous-entend, du point de vu normand illustré ici, qu’il leur demande de respecter les droits de Guillaume à sa succession. Au registre inférieur, il apparaît mort : l’oreiller dessine comme une auréole autour de sa tête = origine de son surnom « le confesseur » (un confesseur est un saint qui est mort sans avoir subi le martyre) : même s’il n’a jamais été officiellement canonisé, Edouard est mort en réputation de sainteté et a longtemps été considéré comme un saint en Angleterre. Un des symboles de sa sainteté était sa chasteté, mais celle-ci avait un grand défaut pour un roi : il est mort sans héritier. Ce qui pose le problème de sa succession et de ses relations avec Guillaume et Harold.

    Guillaume est l’oncle d’Edouard, dont la mère, Emma, était la fille du duc Richard II de Normandie, et donc la demi-sœur de Guillaume. Ce lien familial permet de créer la fiction d’une continuité de la royauté anglaise d’Edouard à Guillaume => le prénom Edouard est le seul nom de roi AS reprit par les rois anglo-normands. Le fils de Jean Sans Terre, 1er roi anglo-normand à porter ce nom au XIIIème siècle, est ainsi appelé Edouard II. Dans l’optique de la tapisserie, Edouard est donc à la fois le dernier roi anglo-saxon et le 1er ancêtre des rois anglo-normands.

    Harold est le frère de la femme d’Edouard, son plus proche parent mâle en Angleterre et surtout un noble puissant et très populaire sur l’île en raison de ses victoires sur les Vikings.

    Ces deux hommes peuvent donc présenter des revendications légitimes à la couronne anglaise.

     

    B-     Le duc Guillaume :

     

    Image 2 et 4 : deux images distinctes et complémentaires de Guillaume.

    Image 2 : - le prince trônant (Willelmus dux), portant le glaive de justice, symbole de son droit de ban sur son duché et porte un manteau de cérémonie d’inspiration royale. Il est entouré de personnages plus petits et en armure, qui sont ses chevaliers + un autre, lui aussi assis sur un trône : son beau-père le comte de Flandre (père de la reine Mathilde = l’un des arguments des tenants de la fabrication par la reine) => expression de sa puissance, exprimée par son rang, ses vassaux et ses relations familiales avec d’autres puissants. Guillaume est l’un des princes qui tiennent le mieux leur principauté, ce qui est lié aux conditions de son avènement : fils illégitime de Richard II, il s’est imposé par la force et a du lutter contre plusieurs révoltes => s’appuie sur l’église qu’il organise (fin de la christianisation des Normands) et sur un réseau dense de fidèles qu’il place aux postes clés.

    Image 4 : - le chevalier en arme menant son armée au combat : il est monté sur un cheval racé (remarquer trait différent des autres, plus soigné, + couleur unie, pure) qui marque son rang et sa richesse.

    La représentation de Guillaume correspond à un code figuratif précis : bien qu’il soit déjà âgé de presque 50 ans en 1066 (il est duc depuis 1035), il apparaît jeune. Ses cheveux sont blonds (couleur positive), son visage présente des traits fins, réguliers, calmes et légèrement souriant. Dans l’image 4, cela donne l’impression d’un homme loyal, sage et prudent qui ne craint pas le danger = bon chevalier.

    Dans l’image 2, cela donne à son apparence un air franc, serein et majestueux (qualités royales).

    ð       point de vue positif sur Guillaume, véritable héros de l’histoire, qui gomme ses soucis de légitimité, aussi bien en Angleterre qu’en Normandie, pour mettre en avant des qualités royales qu’il possède avant même son action au trône et le destine à la couronne.

    Prétendant probable à la couronne d’Angleterre, Guillaume entretient donc des liens outre-manche dès avant la mort d’Edouard, en particulier avec Harold (im. 2).

     

    C-    L’etheling Harold :

     

    Im. 1, 2, 3 et 5.

    Sa figuration correspond à un code inverse par rapport à celle de Guillaume : quand Guillaume est en manteau sombre et habit clair (ce qui montre qu’il est extérieurement sévère, mais bon et juste à l’intérieur), Harold apparaît au contraire en manteau clair et vêtements sombres, ce qui signifie qu’il a une bonne apparence, mais est en réalité mauvais et fourbe.

    Harold est petit (im. 1), ses cheveux sont bruns (couleur néfaste). Sur les images 1 et 2, il porte une manteau jaune = manteau de Judas, symbole de traîtrise.

    Son profil est dur, son visage toujours déformé par un rictus, ses jambes sont torses + air de vaine fierté quand il reçoit la couronne (il a l’air vaniteux du parvenu, pas l’attitude majestueuse d’un roi).

    ð       il est le méchant de l’histoire et en a tous les attributs.

     

    La manière dont la broderie met en scène ces deux protagonistes annonce leur inévitable confrontation. L’accession d’Harold au trône va donc provoquer l’intervention normande outre-manche.

     

     

    II-                La conquête : motifs, moyens, réalisation.

     

     

    A-     Les motifs de la conquête :

     

     

    Image 2 : anecdote qui n’est rapportée que par les sources normandes (donc mal assurée) : au début des années 1060, Harold fut envoyé en ambassade en Normandie par Edouard pour informer Guillaume qu’il a fait de lui son héritier (im. 1). Il fit naufrage et échoua en Ponthieu (région d’Abbeville), où le comte local le captura. Le Ponthieu étant à la limite entre le duché de Normandie et le comté de Flandre, Guy de Ponthieu subit la pression de Guillaume et de son beau-père et livra finalement Harold au duc. Libéré par Guillaume, Harold devint son obligé. Guillaume exigea alors de lui de renoncer publiquement à la couronne anglaise et de garantir ses propres droits par un serment public = serment de l’image 2 (« ici Harold fait un serment au duc Guillaume »).

     

    Im. 3 : son accession à la royauté rappelle quand même qu’il était le plus puissant etheling (grande, prince) d’Angleterre, propriétaire d’immenses territoires dans toute l’Angleterre, et en outre, le plus proche parent et conseiller d’Edouard.  Il apparaissait donc comme le plus à même de lui succéder, et dès le lendemain de la mort d’Edouard (5 janvier 1066), les nobles AS l’élisent roi. Or, curieusement, l’artisan qui a réalisé la broderie l’a représenté lors de son élection portant une hache, arme non noble par excellence, et même barbare.

    ð       sous-entend qu’il est devenu roi contre le droit, par un coup de force.

     

    B-     Un témoignage sur l’art de la guerre au XIème siècle :

     

     

    Im. 4 : navires : flotte construite pour l’occasion à Caen. Type de navire proche de celui des knørr scandinave, qui rappelle que les Normands sont des Vikings installés sur la basse vallée de la scène depuis à peine 150 ans.

    ð       flotte légère, maniable et efficace qui permet une traversée rapide et débarquement surprise (NB : dernière invasion de l’Angleterre réussie)

    Edouard meurt le 5 janvier 1066, la flotte quitte l’embouchure de la Seine le 27 septembre et accoste en Angleterre le 1er octobre.

    Im. 4, 5 et 6 : équipement militaire : côte de mailles longue couvrant tout le corps (haubert), casque conique à nasal + capuche de maille (évolution vers le heaume intégral), écus décorés tous semblables chez les Normands (Im. 4) (facilite identification dans la bataille) + étendard (Im. 6) = insigne de ralliement et de commandement. Au contraire, les Saxons ont des écus tous différents. Remarquez que les écus de cavaliers sont plus grands, avec la pointe descendant le long des jambes pour couvrir les jambes.

    Armes offensives : AS : épées, arcs et flèches, javelots, hâches.

    Normands : épées, lances (cavaliers) arcs et flèches (fantassins).

     

    Im. 5-6 : Techniques de combat : La bataille représentée est la bataille de Hastings qui eut lieu le 14 octobre 1066. Elle mit au prise les Normands, qui après leur débarquement s’étaient rassemblés près de ce port du Sussex, et les AS revenus à marche forcée du Nord du royaume où Harold avait vaincu une attaque norvégienne à Stamford Bridge le 23 septembre.

    La Broderie montre bien la différence entre les Normands qui combattent à cheval (à gauche) et les AS qui sont fantassins (cf. image 6 à droite : un cavalier qui fuit : les AS utilisent la vieille méthode de combat tombée depuis longtemps en désuétude sur le Continent qui consiste à venir à la bataille et d’en repartir à cheval, mais à combattre à pieds).

    Im. 5 : charge de cavalerie contre les fantassins formés en carré. On voit de plus des flèches qui traversent le ciel = préparation de la charge par un tir de flèches qui désorganise la formation ennemie. La technique de la charge de chevalerie est encore en cours d’élaboration : les cavaliers porte la lance au tiers du manche, pour porter des coups de bas en haut sur l’ennemi, et pas encore fixée à l’épaule pour renverser l’ennemi.

     

    C-    Le résultat de la bataille d’Hastings :

     

     

    Les charges de la cavalerie normande balayèrent l’infanterie saxonne qui fut taillée en pièce (cf. frise inférieure), mais les derniers survivants combattirent avec acharnement autour d’Harold.

    Im. 6 : mort d’Harold, frappé par une flèche dans l’œil, sur le champ de bataille, à côté de son porte étendard. -> signal de la débandade. (cavalier partant dans l’autre sens).

    15 jours plus tard, Guillaume entrait dans Londres sans résistance et s’y faisait couronner.

     

    Mais cette bataille et sa représentation posent deux problèmes :

    -         pourquoi Guillaume attend-il les AS sur le littoral alors qu’avec l’effet de surprise et l’absence d’Harold, il aurait pu marcher sur Londres et s’en emparer avant le retour du roi ?

    -         pourquoi une telle insistance sur le massacre et la fuite de l’armée AS, peu conforme à la morale chrétienne dans une œuvre commandée par un évêque ?

     

     

    III-             La punition du parjure et le jugement de Dieu.

     

     

    Pour comprendre l’enchaînement des faits, il faut revenir à l’image 2 : en devenant roi, Harold a rompu le serment juré, ce qui a entraîné la punition divine et la victoire de Guillaume qui était dans son bon droit. Guillaume est donc l’élu de Dieu (et le premier roi d’Angleterre sacré).

     

    A – Le serment, engagement envers les hommes et envers Dieu :

     

     

    Im. 2 : cérémonie à la fois :

    - solennelle et publique : le public est symbolisé par les personnages qui se tiennent auprès de Guillaume et qui sont ses témoins, dont certains sont de grands personnages, comme son beau-père le comte de Flandre.

    - religieuse : croix et ostensoirs sur les frises.

    Harold étend les mains sur deux châsses (coffrets à reliques), cette précaution permet de s’assurer qu’il ne fait pas un signe qui annulerait le serment avec une de ses mains.

    Les châsses contiennent des reliques de saints, qui sont eux aussi pris à témoins. Or les saints intercèdent pour les hommes auprès de Dieu. Par leur intermédiaire, le serment est donc prêté devant Dieu lui-même. Dès lors, c’est un engagement sacré et inviolable. Le rompre est un blasphème (crime contre Dieu).

    Guillaume tend la main vers Harold = il lui dicte les paroles du serment, qu’Harold répète. C’est la procédure habituelle, mais on peut sans doute reconnaître derrière ce détail un aveux du caractère forcé du serment d’Harold, ce que les Normands refusaient d’admettre, puisque cela l’aurait annulé (version donnée par l’ASC, la seule source AS qui ait survécu).

    Mais certains détails montrent déjà la mauvaise foi d’Harold :

    - son visage est déformé par un rictus qui montre sa mauvaise volonté.

    - la main droite n’est pas complètement tendue, il croise les doigts.

    - le chevalier à l’arrière plan le désigne avec inquiétude.

    => la tapisserie accuse Harold d’un double crime :

    - en devenant roi, il s’est parjuré (im. 3)

    - mais en plus, dès le jour du serment, il a menti et juré une promesse qu’il savait ne pas tenir.

    => double parjure qui entraîne punition.

     

    B- Une guerre menée contre un parjure excommunié :

     

     

    Im. 5-6 et en particulier Frise inférieure : La bataille de Hastings a un caractère particulier au XIème siècle, car c’est une bataille où l’on tue, alors que l’habitude, à l’époque, est de capturer pour rançonner.

    => caractère inexpiable de cette guerre qui est menée contre un parjure excommunié par le pape à la demande de Guillaume en mai 1066 et le peuple qui le soutient.

    => la faute d’Harold retombe sur tous les AS.

     

    D-    Guillaume, l’élu de Dieu :

     

     

    Réponse aux deux questions supra :

    -         choix délibéré de provoquer Harold en bataille de champ (très rare) car une telle bataille constitue un jugement de Dieu. De plus, le rapport stratégique entre les Normands qui avait eu deux semaines pour se reposer de leur traversée et les AS revenus à marche forcée du nord du pays lui laissait espérer une large victoire. Par la mort d’Harold et la déroute de l’armée AS, Dieu manifeste que Guillaume est dans son droit et qu’il est le souverain légitime de l’Angleterre.

    -         Le massacre des AS est le symbole d’une « translatio regni » : le temps des AS est révolu, à cause de leur péché de parjure, ils ont perdu leur titre à dominer l’Angleterre, et les Normands doivent prendre leur place.

    ð       ces deux éléments s’intègrent dans la propagande royale de Guillaume et de son entourage qui vise à justifier la conquête et à minimiser les résistances ultérieures de la noblesse AS.

     

    Conclusion :

     

     

    La Tapisserie de Bayeux mérite donc bien ce nom plutôt que celui de Broderie de Winchester, car elle est d’inspiration totalement normande. En mettant en scène une victoire totale et écrasante voulue par Dieu, elle justifie le changement dynastique en Angleterre et la domination très dure que la noblesse normande fit peser sur les populations AS, symbolisée par le Domesday Book. Œuvre de propagande au service du nouveau pouvoir, la Broderie de Bayeux n’en reste pas moins un témoignage unique sur les rites et usages des hommes du XIème siècle, leur mentalité, et l’art de la guerre durant le 1er âge féodal. Elle marqua surtout l’imaginaire des conquérants ultérieurs, en particulier de Napoléon, contemporain de sa redécouverte, par sa narration d’un exploit devenu entre temps impossible : la conquête de l’Angleterre.

     






    Ansoud de Maule, un chevalier modèle

    08/02/2007 03:31



    Introduction :

    Nature de la source, auteur et date de rédaction :

     

     

    Ce texte est un extrait d’une œuvre appelée Histoire Ecclésiastique, mais dont le style de rédaction est plutôt celui d’une chronique, de par sa construction et l’intérêt manifesté pour des événements essentiellement locaux : Orderic Vital s’intéresse surtout à la Normandie, et plus précisément à la région du monastère de Saint-Evroul (Eure) où il était moine. L’œuvre a été composée entre 1118 et 1129, sans doute à Saint-Evroul, où Orderic Vital, a passé la majeure partie de son existence. Son père, un clerc qui avait reçu une paroisse anglaise après la conquête normande, avait confié Ordéric aux moines bénédictins de Saint-Evroul à l’âge de dix ans, en 1085. Cela est sans doute aussi lié à l’application de la réforme grégorienne qui condamne le mariage des prêtres et les oblige à renoncer à leurs épouse et enfants, qui sont confiés à des religieux. Orderic prit le nom de Vital quand il prononça ses vœux, vers 1090. Gravissant les échelons des ordres ecclésiastiques, il devint prêtre en 1108. Il eut également la responsabilité du scriptorium de Saint-Evroul, ce qui explique qu’il était un excellent copiste : son histoire est surtout une reprise d’œuvres antérieures qu’il complète pour son époque. L’Histoire ecclésiastique offre donc un témoignage original pour la période entre 1080 et 1140. Les événements rapportés sont datables des années 1080 (expéditions italiennes de Robert Guiscard) au début des années 1120 (mort d’Ansoul). Une seule date est donnée : celle de la donation faite par Ansoul à Saint-Evroul en 1106. Or, on sait qu’Ordéric résidait alors au prieuré Sainte-Marie de Maule, il fut donc un témoin direct de la scène et connut personnellement Ansoul, qui était de la même génération que lui.

    Contexte :

     

     

    Le XIème siècle est marqué par la grande faiblesse des rois capétiens, et de tous les pouvoirs centraux en général. Le véritable pouvoir appartient à des seigneurs locaux, qui souvent n’hésitent pas à usurper les biens de l’Eglise. Dans ce contexte, l’Église promeut, à partir des années 990,  le mouvement de la « paix de Dieu », qui gagne le nord de la Loire après 1050. Pour protéger les pauvres et les désarmés, donc les clercs, de la violence des chevaliers et des seigneurs, ceux qui ne suivent pas les injonctions religieuses sont menacés d’excommunication (= exclusion de la société chrétienne). Le but est de christianiser la chevalerie en interdisant les combats entre chrétiens et en réglementant la guerre pour réduire ses nuisances. Une nouvelle morale conjugale est également proposée aux seigneurs qui abusent des mariages et répudiations comme moyens d’agrandir leurs domaines. Dès les années 1060, les jeunes chevaliers sont encouragés à quitter l’Occident pour aller combattre les musulmans en Espagne ou les Byzantins en Italie du Sud. Ce mouvement est formalisé par le pape Urbain II, qui lance au concile de Clermont (1095) la première Croisade. Ainsi début XIIème siècle, chevalerie et religion chrétienne semblent réconciliées. La foi chrétienne devient un élément fondamental des codes chevaleresques, et les chevaliers s’intitulent miles Christi (soldats du Christ), titre jusque là pris par les moines.

     

     

    Analyse :

     

     

    Le texte rapporte de façon très normée, en suivant les âges de la vie (jeunesse vouée à la guerre – âge mûr consacré à la bonne administration de sa seigneurie et à la vie de famille– vieillesse marquée par la conversion et le choix d’une vie religieuse) la vie d’un chevalier que l’auteur qualifie lui-même de « héros » et dont il fait un prototype du « bon chevalier », à la fois courageux au combat, bon seigneur, et bon chrétien respectueux des droits de l’Église.

     

     

    Problématique :

     

     

    Le texte témoigne du destin d’un guerrier et seigneur du tournant des XIème et XIIème siècle, et met particulièrement en valeur la tension qui existait chez les chevaliers entre leurs obligations sociales d’hommes de guerre et de nobles dont le métier était de tuer et de dominer, et les injonctions chrétiennes  qui les menaçaient des pires punitions éternelles s’ils persistaient dans ce mode de vie.

     

     

    Plan :

     

     

    Afin de décrypter l’univers chevaleresque et seigneurial, nous verrons comment le métier des armes et l’exercice des droits publics définissent une classe héréditaire fondée sur certaines règles familiales ce qui entraînait une attitude particulière à l’égard de la religion et de la mort..

     

     

     

    I- Le chevalier et le seigneur :

     

     

     

     

     

    Un aspect essentiel du personnage d’Ansoul est qu’il n’est pas que chevalier : fils de seigneur, il est appelé à succéder à son père comme maître de la seigneurie familiale. Sa vie voie donc se succéder deux grandes périodes : la jeunesse, qui comme souvent à l’époque, se prolonge tardivement jusqu’au décès de son père = période où le chevalier n’a pas encore de seigneurie et peut aller à son gré à la guerre ou au tournoi ; puis l’âge mûr, durant lequel Ansoul, qui a hérité de son père, est seigneur et ne quitte plus sa seigneurie. Il cesse alors d’être physiquement chevalier, mais reste symboliquement membre de cet ordre, ce que symbolise la transmission de cet honneur à son fils par l’adoubement.

     

     

     

     

     

    A- La vie de chevalier :

     

     

     

     

     

    - Vital parle d’abord de l’époque où Ansoud exerce véritablement son métier de chevalier, c’est-à-dire de combattant à cheval. Il n’évoque pas sa période de formation et d’apprentissage des armes, mis en scène lors d’une cérémonie (non mentionnée dans le texte) qui le fait chevalier : l’adoubement. Au cours de la célébration, le futur chevalier reçoit ses armes et la colée, une tape sur l’épaule de son parrain (en général son oncle ou le suzerain de son père). => en fait, cette cérémonie ne se formalise qu’au XIIème siècle, il est donc probable qu’Ansoud n’a pas été adoubé.

     Il ne commence son récit qu’à l’époque où, adolescent, il part combattre. Il ne s’attarde d’ailleurs guère sur la période de la vie d’Ansoud. Par sa violence, elle aurait desservi le projet global de son récit.

    Pourtant c’est la durée la plus longue de l’existence du chevalier, puisque Ansoud a près de 46 ans (ce que l’on peut calculer grâce aux différentes durées citées par l’auteur) lorsqu’il retourne à Maule pour se marier. De plus, il présente cette expérience comme un choix personnel d’Ansoud, ce qui est plus que douteux : la vie de iunior, de jeune chevalier au service du suzerain de son père, qui précède le mariage et l’établissement dans la seigneurie, est un passage obligé pour tout fils de seigneur, qui remplit ainsi les obligations de vassal que son père, occupé à la gestion du domaine et trop âgé, ne peut plus accomplir. Ce « service » effectué pour le suzerain est confirmé par le fait qu’Ansoud participe aux campagnes de Robert Guiscard, frère du duc, en Italie, où il se conquiert un royaume aux dépends des Byzantins d’Alexis II Comnène et des musulmans de Sicile, ce qui fut l’occasion pour beaucoup de cadets sans héritages de se conquérir une seigneurie en Italie. Ce n’est pas le cas d’Ansoud, héritier de son père et qui regagne la Normandie, après avoir acquis gloire et, sans doute aussi, richesse. Le choix de cet épisode, plutôt que la probable participation d’Ansoud aux guerres féodales entre seigneurs normands ou aux batailles que le duc de Normandie livra au roi de France et au duc de  Bretagne, s’explique par le schisme de 1054, qui rendait les orthodoxes byzantins suspects d’hérésie. Il était donc moins grave de se battre contre eux que contre des « vrais » chrétiens.

    Cet épisode a également une valeur initiatique, par les contrées lointaines visitées et les grands personnages côtoyés. Cela élargissait son horizon, lui permettait de se prévaloir de liens personnels avec la dynastie ducale. Cela permet aussi à  Ordéric Vital de détourner l’attention des combats livrés par son héros et d’insister sur la quête de sagesse que représente le passé aventurier d’Ansoud.

    - Ordéric Vital a choisi de dresser le portrait d’un « héros » l.56,  et en tant que tel Ansoud de Maule incarne dans le texte l’excellence et la perfection, parce qu’il possède toute une série de qualités qui sont par excellence celles du chevalier. En premier lieu à cause de son sang et de son rang de noble : l.2 et courage, l.3 la puissance physique et la « loyauté », l.24 l’ « honneur ». A cela s’ajoutent ses mérites personnels.  De fait, on apprend l.4 qu’il est « éloquent », et comparable l.5 aux « philosophes » (ce qui est clairement une exagération littéraire, peut-être Orderic veut-il dire par là qu’Ansoud avait appris à lire, ce qui était extrêmement rare chez les laïcs du XIème siècle). Sans oublier le trait de sa personnalité le plus mis en valeur par le chroniqueur ; Ansoud est très pieux, à tel point que sa vie ressemble à celle d’un moine,  que sa pensée correspond à celle l.28 « d’un docteur de l’Eglise », c'est-à-dire un théologien dont les œuvres sont données en exemple par l’Église, et qu’il est pris en exemple l.23-24 par des « réguliers », c'est-à-dire des moines suivant des règles de leur ordre. Là encore, Orderic est dans l’hyperbole et veut montrer qu’Ansoud a une connaissance des choses de la religion, là encore une qualité rare chez des laïcs dont l’éducation religieuse s’arrêtait souvent à apprendre par cœur le pater noster et le credo. Ces rudiments de culture s’expliquent sans doute par son long séjour en Italie, pays où la culture s’était mieux conservée dans les milieux laïcs.

    Ansoud est en outre présenté comme l’antithèse des seigneurs pillards que condamne l’Eglise, comme le précise encore une fois l’auteur aux l. 29-30 : « il s’abstenait totalement de commettre des rapines ».  Tout ce passage vise à montrer qu’Ansoud se conforme aux prescriptions de la Paix de Dieu.

    Ces qualités qui firent de lui un bon chevalier avaient donc tout pour faire ensuite de lui un bon seigneur.

     

     

     

    B- La vie de seigneur :

     

     

    Déjà peu loquace sur la vie de chevaliers d’Ansoud, Orderic l’est encore moins sur sa vie de seigneur, se concentrant presque exclusivement sur ses relations avec l’Eglise durant ces 18 années où il administra « le domaine légitime de ses ancêtres », c'est-à-dire la seigneurie familiale. Néanmoins, ce silence apparent peut être compensé par divers éléments qui montrent qu’avant son départ comme après son retour, Ansoud avait été reconnu par ses pairs nobles et qu’il s’insérait dans un réseau de relations féodo-vassaliques.

    Par ses qualités même, Ansoud est un seigneur, en premier lieu à cause de son sang et de son rang de noble : l.2 « grandeur » ; l.4 «l’autorité » et l’impartialité. Il administre justement sa seigneurie, sans excès ni exaction, puisqu’il ne pille ni ne vole (li. 29-32) et ne fréquente pas les gens de mauvaises vies qui l’amèneraient à dilapider sa fortune inutilement.

    Il s’intègre à un réseau de clientèle, c'est-à-dire qu’il noue des liens de fidélité avec d’autres chevaliers et seigneurs. Une cérémonie scelle ces pactes d’alliance, l’« hommage », que Vital décrit aux l.50 à 55, pour Pierre le fils d’Ansoud qui reçoit les serments de fidélités des  autres chevaliers de Maule. Ce dernier épisode signifie que Pierre devient le seigneur à Maule et les chevaliers lui ayant prêté serment sont ses vassaux, en tant que tels ils ont le devoir de l’aider et de combattre à ses côtés en échange d’un fief (une seigneurie foncière ou banale qui permet de lever des taxes). Précisons que face à la multiplication des serments et donc de leur difficile application, l’hommage lige (= principal) apparaît (fin XIème), il correspond au serment qui prévaut sur tous les autres serments faits à d’autres seigneurs.

    Dans le texte, l’hommage a lieu dans la paroisse de Sainte Marie. Les engagements sont de plus retranscrits d’après la l.53 où « Josselin de Mareil gravait et proclamait la chose ». Le choix d’un lieu réservé au culte, la publicité de l’acte (proclamation) et la copie écrite des serments sont autant de précautions pour éviter tout parjure. Cette mise par écrit, rare au nord de la Loire, est à rapproche de la convention féodale catalane.

    Les témoins de la cérémonie

    La présence de témoins pouvant prétendre à la succession comme le frère, le neveu ou le beau frère d’Ansoud, vise à éviter toutes contestations sur l’héritage de son fils.

    On peut s’interroger sur la présence de Josselin de Mareil, un Montfrort, appartenant donc à une famille de châtelains de la région, assez puissante. Josselin était probablement le suzerain d’Ansoud. Dans ce cas, sa présence pourrait s’expliquer par le fait que Pierre lui prêta hommage en même temps qu’il recevait celui de ses vassaux.

     

     

     

    Il faut donc être fils de seigneur pour devenir chevalier, et chevalier pour être seigneur. Tous deux sont issus du même monde régi par les liens féodo-vassalique, au sein duquel la transmission héréditaire des fiefs et de la noblesse est fondamentale. Les structures familiales qui régissent cette transmission sont donc fondamentales, ce que marque la présence de nombreux parents parmi les témoins de la cérémonie d’hommage.

     

     

     

    II- La famille fondement de la transmission héréditaire de la noblesse.

     

     

     

    Les structures familiales s’organisent autour de deux pôles : la lignée masculine au sein de laquelle circule les fiefs, se transmettent l’honneur, la chevalerie et la noblesse ; la lignée féminine, en charge de la perpétuation du lignage et de sa mémoire. Ces structures sont de plus en plus soumises, à partir du XIème siècle, au contrôle de l’Église.

     

     

     

    A- Les figures masculines : père, fils, époux.

     

     

    - Les fils :

     

     

    La succession se fait par primogéniture masculine (droit d’aînesse des garçons). C’est un droit qui préserve les intérêts du fils aîné, mais aussi un devoir qui s’impose au fils (Ansoud doit rentrer d’Italie pour succéder à son père) comme au père : Ansoud ne déroge pas à cette règle, comme le rappelle l.51 l’action où il « institua son fils aîné Pierre comme l’héritier de toutes ses possessions ». Le père ne peut donc choisir un autre de ses fils comme héritier. En général, les autres fils étaient destinés à une carrière ecclésiastique ou allaient grossir les rangs des chevaliers sans fief qui s’engageaient au service d’un seigneur dans l’espoir d’obtenir une seigneurie ou partaient en Croisade pour conquérir de nouvelles terres. La carrière singulière d’Ansoud, et la longue période qu’il a passée en Italie avant d’être rappelé par son père pourrait s’expliquer par la présence d’un frère plus âgé dont la mort précoce aurait fait de lui l’héritier.

    Les fils ont un devoir d’obéissance : l.9-10 Ansoud « se conforma en toutes choses au conseil de sa pieuse mère » et lorsqu’il revint au pays c’est « sur la ferme demande de son père ». Cette obéissance a un double fondement religieux (prescriptions de l’Ancien Testament) et social (le père est le seigneur de sa famille). Elle témoigne d’une société très hiérarchisée dans laquelle les hiérarchies sociales sont renforcées par les hiérarchies entre classes d’âge (respect du par les jeunes aux anciens).

    Le fils a enfin un devoir spécifique d’assistance envers sa mère à la mort de son père (l.13-14), il prouve toute sa gratitude à celle qui lui a donné le jour lorsqu’il « soutint » sa mère « jusque dans sa vieillesse ». Mais cette obligation n’est pas que morale, elle est aussi sociale et résulte du statut de la femme (v. plus bas) qui n’hérite pas, et se trouve donc démunie à la mort de son mari.

     

     

     

    - Le père et l’époux :

     

     

    Il exerce le pouvoir de décision et d’organisation. Il administre donc les biens familiaux, ainsi que l’a fait Ansoud l.56 « pendant dix huit ans ». Ces biens familiaux sont essentiellement constitués du « domaine légitime de la famille » = le fief, qui est la propriété exclusive du père de famille, qui en a seul la gestion. La famille vit donc selon les principes et les décisions de son chef, Ansoud.

    « Odeline, la fille du châtelain de Mantes » : Le mariage est un moyen pour les seigneurs d’améliorer leur position, par la dot de la mariée qui vient accroître leurs possessions, et par les liens sociaux qu’il leur permet de tisser avec les seigneurs du voisinage. En l’occurrence, le seigneur de Mantes était un parent de Josselin de Mareil, dont on a vu qu’il était sans doute le seigneur d’Ansoud.

    L’époux n’est pas libre de disposer de sa femme comme il l’entend : il doit la faire vivre décemment(c’est à cela qu’est destinée la dot). Surtout, avec la réforme grégorienne, l’Église institue de nouveaux devoirs pour les laïcs mariés au XIème siècle : la sexualité, condamnée par les clercs au nom de l’idéal de virginité et de chasteté, est admise comme un pis-aller nécessaires à la reproduction dans les couples légitimes. Ainsi, Ansoud « aimait la chasteté » l.26 et « condamnait […] l’obscénité du désir » l.27-28, se conformant à ces obligations qui veulent que la sexualité conjugale reste chaste (à comprendre au sens premier de pure, sans perversité) et exempte de tous plaisirs charnels. De même, Ansoud se contente « d’une union légitime », respectant les prescriptions de monogamie et d’indissolubilité du mariage établies des le IXème siècle et fortement réaffirmées par les réformateurs grégoriens. En conséquence, Ansoud se montre fidèle à son épouse, respectant ainsi ses obligations religieuses, mais manifestant aussi, à son égard, sa « loyauté » de chevalier.

    Globalement, ces nouvelles règles matrimoniales améliorent le statut des femmes.

     

     

     

    B- Les figures féminines : mères et épouses.

     

     

    - le statut :

    Au XIème siècle, la femme reste globalement un être inférieur, objet de tractations matrimoniales qui lui échappent et dont le but est d’établir des alliances et d’accroître des seigneuries, au mépris de ces sentiments personnels. Cette dévalorisation est renforcé par le discours des moines, comme Orderic Vital, qui voient dans les femmes les filles d’Eve. Aussi le texte manifeste-t-il un certain mépris et un certain désintérêt pour ces personnages qui ne sont envisagées que comme faire-valoir du « héros », dans leurs rôles stéréotypés de mère et d’épouse.

    - Les mères

     

     

    Devenir mère est une étape essentielle dans la vie d’une femme, équivalent à l’adoubement pour le chevalier. Dans cette société d’ordre où chacun a son rôle à remplir, l’homme noble se doit de faire la guerre, et sa femme de faire des enfants. A ce titre elle doit également souvent tomber enceinte : l’épouse d’Ansoud, Odeline, donne naissance à neuf enfants. Ces progénitures abondantes sont un gage que la seigneurie aura un héritier, à une époque où plus d’un enfant sur deux meurt avant l’âge de 10 ans. Car le principal objet d’une grossesse est de donné naissance à des héritiers mâles. Il n’est donc pas surprenant qu’Ansoud, en tant que « chevalier modèle » ait eu « sept fils » l.35 et seulement deux filles. Même sa descendance était exemplaire. Aussi exemplaire était d’ailleurs son épouse, qui survécut à ses neufs grossesses (au moins, car il est habituel de ne compter que les enfants ayant survécu au moins un an). La mortalité en couches étaient en effet très élevée, et il n’était pas rare qu’un homme soit veuf trois ou quatre fois dans sa vie. Ces souffrances de l’accouchement étaient alors vécues comme une pénitence du péché originel d’Eve. Les nouvelles règles matrimoniales qui limitent la sexualité au couple marié font que l’ont ne peut être mère sans être aussi épouse.

    - Les épouses :

     

     

    Elles doivent obéissance et respect sans réciprocité, comme souligné par l’auteur qui encense le couple modèle parce qu’Odeline l.80-81 est « habituée à ne jamais résister à la volonté d’Ansoud ».

    Elles doivent fidélité, tout comme leur époux, car le modèle chrétien du mariage prône la monogamie, mais aussi parce que la fidélité de l’épouse est la garantie de la légitimité des héritiers.  

    La monogamie et l’indissolubilité du mariage (interdiction du divorce) ont contribué à améliorer la condition d’épouse, il a permit une amélioration de la position de la femme dans le couple, puisque sa position auprès de son mari n’est plus menacée et qu’elle peut devenir « chef de famille » en tant que veuve légitime, surtout en cas de minorité de l’héritier.

    Elles doivent tenir leur rang lors de certaines cérémonies officielles, ce que fait Odeline présente à l’investiture de son fils Pierre, l.46. Cela s’explique par leur rang noble, qui les associe au pouvoir de leur mari et contribue à la légitimité de leur fils (un chevalier ou un seigneur doit être noble par son père et par sa mère). Elle contribue aussi, comme la mère d’Ansoud, à l’éducation fondamentale de leurs enfants, en particulier en matière religieuse.

     

     

     

    C- Une famille chrétienne et respectueuse de l’Eglise.

     

     

    La famille est le lieu du premier apprentissage chrétien, et en instituant le mariage monogame et indissoluble, l’Église en a fait la cellule de base de son organisation. Elle transmet les fondements des valeurs sociales, familiales et chrétiennes (prières, gestes …) aux enfants. D’ailleurs, après lecture du paragraphe où Vital décrit les rapports entre Ansoud et sa mère on relève un champs lexical de la religion qui est assez dense : « dévote », « pieuse », « vouée à Dieu », « pieusement », « viatique » (communion reçue juste avant la mort), « nef », « église » l.9-15.

    Cette éducation pieuse explique qu’Ansoud soit très généreux envers les « ministres de Dieu » (les prêtres, en fait, ici, dans le contexte, sans doute plutôt les moines de Saint-Evroul) : l. 31, « il restituait les dîmes » (un impot correspondant au dixième des récoltes qui était normalement payé à l’Église mais que de nombreux seigneurs avaient accaparé), « les prémices » (les premières récoltes ou premières portées mises bas par le bétail, impôt lui aussi du à l’Église) et les « aumônes » (des dons faits au pauvres qui ne peuvent pourvoir eux même à leur subsistance comme les orphelins, les infirmes ou les veuves …) .

     

    III- Un chevalier face à l’Eglise et à la mort :

     

    Ces nouvelles obligations des seigneurs envers l’Église sont notamment le fruit du mouvement de la paix de Dieu, qui cherche à contrôler la violence des chevaliers, et de la réforme grégorienne, lancée à Rome par le pape Grégoire VII en 1075, et qui visait à distinguer plus nettement clercs et laïcs et à forcer les seconds à rendre à l’Église les biens accaparés durant les décennies précédentes.

     

    A- Un seigneur généreux et respectueux des injonctions de la paix de Dieu.

     

     

    En 1106, Ansoud de Maule accorde un don très substantiel à la paroisse de Sainte Marie, un prieuré dépendant de l’abbaye de Saint Evroul. Parmi les nombreux revenus promis aux bénédictins, il y a l.47 une « carrière de meules dans le bois de Beule », des pierres très dures et qui servent dans la construction des bâtiments, le prieuré allait pouvoir s’agrandir.

    En réalité, ces « dons » sont des restitutions, qui s’inscrivent dans l’effort mené par l’Église, au moment de la réforme grégorienne, pour reconstituer son patrimoine et obliger les seigneurs à rendre les paroisses et les impôts ecclésiastiques qu’ils avaient accaparés au moment de la « révolution châtelaine ». Ici, Ansoud semble le faire spontanément, par soucis de son salut, mais nombre de seigneurs ne le firent que sous la menace de l’excommunication.

    Cette cascade de dons n’est pas due à la seule charité chrétienne, c’est un acte de pénitence motivé par la quête d’un salut après la mort, d’accès à la « vie éternelle ».

    Cet effort pour se conformer à la morale chrétienne malgré un genre de vie fondé sur la violence et la domination culmine à la fin de la vie d’Ansoud dans sa conversion (changement de vie), qui lui permet de rompre in extremis avec son ancienne existence pour mourir en bon chrétien.

     

    B- La nécessité d’une purification

     

     

    La purification commence par un regret sincère et profond de la part du pécheur, Ansoud montre le sien quand aux l.38 à 40 il se rend « de son propre gré » au prieuré et « [pleure] d’abondance » [mise en scène publique des sentiments fréquentes au Moyen Âge, où le fait de pleurer en public est valorisé comme une marque d’humilité]. En effet il pouvait avoir à regretter la conservation de bénéfices que son père avait voulu transmettre aux moines, il n’a pas dû toujours être un aussi fervent protecteur de l’Eglise que vers la fin de sa vie, puisque cette conversion intervient sur le tard. Il était en effet fréquent que des héritiers refusent d’exécuter le testament de leur père quand celui-ci donnait des biens aux Églises. D’où les précautions prises par Ansoud lui-même pour garantir le respect de ses propres donations par ses héritiers.

    La deuxième partie du repentir vise ensuite à réparer les torts commis, ce que fait, en tout cas partiellement Ansoud,  puisqu’il «  donna satisfaction à Dieu sur certains différends qu’il avait avec les moines » l.39-40. En rendant ce qu’il doit aux bénédictins et en jurant de rendre le reste plus tard ; il leur offre en plus des biens que ses vassaux veulent bien donner, la procédure étant donc complexe, car elle associait au seigneur ses vassaux, auxquels certains des biens et revenus confisqués à l’Église avaient été, comme c’était fréquent, remis en fief. La restitution de ces biens exige donc que le seigneur obtienne l’accord de ses vassaux. Par ce biais, la réforme grégorienne pénétrait progressivement la société, des classes les plus hautes vers les catégories inférieures.

    Enfin dernière étape, le « pécheur absout » doit tenir désormais un comportement irréprochable et encore plus chrétien qu’auparavant par l.57 « un fidèle patronage » envers les moines et des actions recommandées par ces derniers « pour l’édification de ses mœurs » l.58. C'est-à-dire qu’Ansoud devient le protecteur du prieuré de Sainte-Marie, en retour de quoi, il doit accepter les conseils des moines. On a donc bien, en miniature, un transfert au plan de la seigneurie, de la relation d’échange protection contre conseil qui existait entre le roi et l’Église à l’ère carolingienne. Cet aspect, comme d’autres, illustre le transfert au plan local, entre les mains des châtelains, de l’autorité publique.

     

     

    B- La conversion "in articulo mortis"

     

    La détention de ce pouvoir et ses exigences concrètes dans une société violente éloignaient malgré tout encore trop le seigneur, même protecteur respectueux de l’Église, de l’idéal de la vie chrétienne. Beaucoup de chevaliers et de sires résolvaient donc ce conflit intérieur entre obligation sociales et devoirs chrétiens, par le choix d’une conversion tardive à la vie monastique, censée racheter leurs péchés. Ansoud choisit ainsi de se convertir « in articulo mortis » (à l’article de la mort)

    Lorsqu’Ansoud « tomba malade » l.61, il subit d’abord stoïquement les douleurs occasionnées par la maladie, ce qui lui donne l’occasion exceptionnelle de réunir en un acte ses deux idéaux : il souffre courageusement, en bon chevalier, mais sa douleur est aussi une contrition. Cependant d’après Vital, Ansoud est tellement chrétien que la souffrance ne lui suffit pas, puisqu’il se décide à se faire moine (l.72). On a vu que le caractère exceptionnel de cette conversion est discutable.

    La vie monastique est considérée à l’époque comme la seule qui suit strictement les principes divins. Ansoud, comme ses contemporains, considère les moines comme les « pauvres du Christ », c'est-à-dire ceux qui ont renoncer à tous les petits plaisirs terrestres pour se vouer uniquement à la Dieu, ne posséder que leur « habit » et vivre surtout de nourritures spirituelles, mais aussi comme les « chevaliers du Christ », ceux qui luttent par la prière contre le mal.

    Ainsi le chevalier meurt une première fois pour le monde civil, il perd son nom, son pouvoir, oublie les siens pour intégrer la vie monastique. Odeline, son épouse, devient officiellement veuve, même si le chevalier est encore en vie mais dans le monastère.

     

    Cette situation ne se prolongea malgré tout guère, puisqu’Ansoud mourut quelques jours après avoir pris l’habit de moine, ce qui souligne le caractère pour le moins opportuniste de ces conversions tardives, qui n’en restaient pas moins le seul moyen pour les chevaliers de réconcilier in extremis les obligations spécifiques de leur ordre et les injonctions morales du christianisme.

     

    Conclusion

     

     

    Au tournant des XIème et XIIème siècles, la vie d’un chevalier chrétien et bon pratiquant se rapproche dans l’idéal, énormément de la vie monastique. En effet, ces deux ordres obéissent à des règles et doivent servir la cause du Très Haut. De plus ils sont en étroite relation et ont besoin les uns des autres, parce que les premiers protègent les second, qui œuvrent en priant pour le salut des premiers.

    Cependant, la comparaison s’arrête là. La chronique néglige consciemment de tenir compte des intérêts ainsi que des ambitions personnelles qui ont dû, à maintes reprises, faire sortir Ansoud de Maule du cadre de sa foi. La description du mode de vie chevaleresque d’Ordéric Vital est donc très orientée, elle promeut avant tout une sorte d’utopie, c'est-à-dire, la possibilité d’être accepté au paradis, pour un laïc ayant tué et profité du pouvoir et de la richesse qu’il procure. Mais sa chronique n’est pas un phénomène ponctuel, elle entre dans le cadre plus vaste d’une politique spirituelle de l’Eglise visant à discipliner certains hommes d’armes et à résoudre leur crise identitaire : combattre est  tout sauf un acte chrétien, et pourtant l’Église avait besoin de ces combattants pour assurer sa protection. L’auteur, qui est un moins, voit dans le monachisme le plus parfait modèle de la vie chrétienne, et cherche à dessein à y faire coller du mieux qu’il peut son idéal de la chevalerie. Sa subjectivité ne suffit pourtant pas à discréditer son œuvre, puisque l’Histoire ecclésiastique nous apporte des détails sur la vie quotidienne des hommes de l’époque, comme le rituel de donation ou le déroulement de l’hommage… mais aussi de précieuses informations sur la façon de pensée d’un clerc qui vivait à l’époque où l’Église tentait de christianiser la chevalerie.

    D’autres auteurs ont trouvé pour inspiration, le thème du « bon chevalier » pratiquant et chrétien. Le phénomène continue et perdure dans la littérature tout au long de la période Médiévale et même jusqu’au XVIème siècle, jusqu’à sombrer dans la parodie du Dom Quichotte.

     






    Une convention féodale en Catalogne (29 janvier 1065)

    08/02/2007 03:28

    Une convention féodale en Catalogne (29 janvier 1065)


    Illustration : le château de Castellfortuny (Catalogne), XIIème siècle. L'un des châteaux qui était tenu en fief du comte de Barcelone par un castlà.

    Nature de la source :

    Une notice (acte diplomatique rédigé en style objectif : « voici l’accord conclu… le dit Udalard convient… ») [au contraire, la charte ou le diplôme (charte royale) sont rédigés en style subjectif, on aurait eu : « Voici l’accord que j’ai conclu … moi, Udalard, je conviens… »]. Cette notice témoigne par écrit d’un acte juridique intervenu entre le comte de Barcelone et le vicomte Udalard. C’est donc une convention (engagement, accord), ce qui transparaît dans les notifications (convient, s’engage). Ce type de document fixant par écrit les droits et les devoirs des vassaux est typique du sud de la France, de l’Italie et de l’Espagne, pays où l’écrit a gardé une grande importance à l’ère féodale. Il témoigne de la forme de l’engagement féodal, qui au nord de la Loire était purement oral, c’est donc une source essentielle pour comprendre le droit féodal.

    Mais cette source est en fait une pièce isolée d’un dossier de quatre documents : celui présenté ainsi, une autre convention rédigée presque dans les mêmes termes avec le fils du comte, le texte du serment prêté par Udalard et la convention rédigée par le comte en faveur d’Udalard qui précisait les devoirs du suzerain.

    Auteur :

    Les documents diplomatiques imposent de faire la distinction entre le scripteur (celui qui a écrit le texte) et l’auteur ou commanditaire (celui au nom duquel est intitulé le texte). Ce document a été rédigé par le prêtre Bonfill, qui joue le rôle de notaire (il était en effet fréquent dans les milieux seigneuriaux qu’un prêtre rédige les actes faute de chancellerie organisée). Mais l’auteur véritable est Udalard, qui est celui qui est concerné par les engagements pris dans le texte et appose son signum en fin de document. (signum = signature, mais en réalité, la majeure partie des laïcs ne savent pas écrire. Ils valident les actes en apposant un signe, le plus souvent une croix, à côté de leur nom préalablement inscrit par le rédacteur de l’acte).

    Udalard ou Adalard est le fils de Bernard, vicomte de Barcelone, c’est-à-dire du seigneur qui tenait la cité de Barcelone et son château au nom du comte. Le document pourrait laisser croire qu’il vient d’être nommé par le comte, mais en réalité, il succède à son père comme vicomte. Le texte est donc une reprise de fief.

    Date :

    Facile à établir, puisque le document est daté, mais il y a un piège : 4 cal. de février = 29 janvier (v. fiche datation). La 3ème année du règne de Philippe Ier = 1060+2 = 1062, pourtant le titre indique 1065. Ce décalage est lié à la situation de la Catalogne : jusqu’à la fin du XIIème siècle, les comtes de Barcelone continuent à se dire vassaux du roi de France, mais cette vassalité est très théorique (Louis IV d’Outre Mer est le dernier à recevoir l’hommage d’un comte de Barcelone, en 941). Coupée du domaine royal par le puissant duché d’Aquitaine qui couvre tout le quart sud-ouest de la France, la Catalogne est très isolée du reste du royaume et reçoit avec retard les nouvelles venues du Nord. On sait ainsi que la nouvelle de l’avènement de Philippe est parvenue à Barcelone en 1163 seulement. Pour les Catalans, la 3ème année du règne de Philippe était donc l’année 1165.

    Analyse :

    Le document se divise en grandes parties propres aux documents diplomatiques :

    -         un bref protocole initial, li 1-2, qui présente les personnages impliqués par la convention.

    -         Un exposé, li. 2-10, qui donne les cadres généraux de la convention : Udalard doit être fidèle au comte et le servir par les armes en cas de guerre.

    -         Un long dispositif, li. 11-49, qui détaille ses différentes obligations au titre de la fidélité, du service et du conseil dus au comte et les sanctions que peut prendre le comte en cas de manquement à ces engagements.

    -         L’eschatocole, li 50-59, qui rapporte la remise en fief de Barcelone à Udalard et s’achève sur les mentions de chancelleries (date et liste des témoins).

    Contexte :

    La Catalogne du XIème siècle tranche avec le reste du royaume de France par sa stabilité et sa prospérité, qui a même conduit certains à parler de « miracle catalan ». Elle profite de l’influence de l’Espagne musulmane avec laquelle, entre deux guerres, elle commerce activement, et dont elle tire des revenus militaires, butin, et surtout parias (li. 15), tribut payés par les reyes de Taïfas (roitelets musulmans qui se partagent alors l’Espagne) en échange de la protection du comte contre leurs voisins. Elle a en outre une structure de pouvoir spécifique, fondée sur la famille des descendants des comtes carolingiens : le comté de Barcelone est en fait un agrégat d’une dizaine de comtés (Barcelone, Gérone, Conflent, Urgell, Perpignan, Besalu…), dont les deux principaux, Barcelone et Gérone, sont tenus par l’aîné de la branche aînée. Les autres membres de la famille tiennent les autres comtés et les évêchés. La cohésion de l’ensemble est assurée par l’hommage prêté par les membres des branches cadettes au comte de Barcelone, et par les mariages entre cousins et cousines qui réactive sans cesse les liens entre les différents lignages du groupe familial. De ce fait, les femmes sont un élément de légitimité essentielle et joue un grand rôle en Catalogne, d’autant que dans ce pays de droit romain, elles peuvent hériter des comtés et seigneuries.

    Bilan critique :

    Ce document juridique objectif est fiable, mais donne une vision strictement légale de la société catalane, qui doit être complétée par des apports externes pour comprendre comment il s’inscrit dans un système politique spécifique.

    Problématique :

    En quoi les engagements cherchent-ils à préserver les droits des deux parties afin d’assurer l’efficacité et la continuité de l’administration comtale au niveau local ? La féodalité méridionale est-elle différente de celle du nord de la France ?

    Annonce du plan :

    L’étude des structures de la Catalogne féodale montre l’imbrication des pouvoirs, que ne permet de clarifier que l’étude de la nature de l’engagement féodal puis de son contenu, qui repose essentiellement sur le statut du fief.

     

    I-                   L’imbrication des pouvoirs et des liens : les structures de la Catalogne féodale.

    A-     Le comte Raymond Bérenger Ier (1035-1076) :

    li. 1, 11, 14, 17… : porte simplement le titre de « comte » de Barcelone, le titre de marquis d’Espagne  ayant été confisqué au Xème siècle par le comte de Toulouse. Le comté de Barcelone est en fait formé de la réunion des comtés de Barcelone et de Gérone (li. 9), mais le comte reçoit aussi l’hommage des comtes de Ribagorça, de Pallars, d’Urgell, de Cerdagne, de Conflent, de Roussillon, de Valespir, de Besalu, de Vic, de Peralada, d’Empuries, de Berga et de Vall de Lord. Cet ensemble, à cheval sur les Pyrénées orientales, forme la Catalogne, dont le comte de Barcelone est le maître.

    Par tradition, le comté de Barcelone continue de regarder vers le Nord : la datation par les années du règne de Philippe Ier rappelle que le comte est vassal du roi de France, dont il tient son comté en fief (li. 15). Mais la géographie et l’histoire des Xème et XIème siècle l’ont également amené à développer des liens actifs en Espagne, dont témoigne la référence aux parias à la ligne 16, auxquels il faudrait ajouter la domination sur Valence acquise aux dépends des musulmans vers 1050.

    Enfin, il est lui-même seigneur (« le seigneur Ramon »), utilisant une titulature qui au IXème siècle, était réservé au roi. Il tient des « alleux et des honneurs », c'est-à-dire des terres en pleine propriété et des droits publics (li. 15-16). C’est donc un prince territorial (comte de 1er rang) qui a lui-même de nombreux vassaux.

     

    B-     Les vassaux du comte : le vicomte Udalard Bernard.

    C’est à l’un d’eux en particulier, le vicomte Udalard de Barcelone, que s’intéresse le texte. Ces vassaux administrent les comtés constitutifs du comté de Barcelone (référence au prélèvement des impôts li. 33). Dans les comtés de Barcelone et de Gérone, directement tenus par le comte, ils portent le titre de vicomte (adjoint du comte). Leur charge est signifiée par la remise de la garde d’un ou plusieurs châteaux appartenant au comte (li. 4 et 5 : « Le vieux château, dit château vicomtal … l’autre château, dit château neuf »).  Ces châteaux ont un rôle essentiel car ils servent à défendre le comté des raids musulmans (la ville de Barcelone elle-même a été mise a sac par Al- Mansûr en 985).

    Les vicomtes, comme Udalard, ont eux-mêmes des vassaux qu’ils installent pour surveiller les châteaux : les châtelains (li. 23), qui sont les arrières-vassaux du comte. Ces seigneurs de châteaux, castlà en catalan, jouent un rôle essentiel dans la formation de l’identité catalane, puisque le nom Catalogne (en cat. Catalunya) vient de Castlania, le pays des châtelains.

    Vicomtés et châteaux sont des fiefs (li. 52), mais la particularité du système catalan repose sur le fort contrôle que maintient le comte sur ses vassaux et arrières-vassaux (on trouverait des exemples équivalents dans l’Anjou des Plantagenêt ou dans le cœur du comté de Flandre). En particulier, les arrières-vassaux doivent eux aussi prêter directement hommage au comte (li. 23-25), alors qu’ailleurs, l’hommage de l’arrière-vassal passe par l’hommage de son seigneur (cf. le cas de Baudouin de Hainaut, arrière-vassal du roi de France, mais qui ne lui prête pas hommage car son seigneur le comte de Flandre le prête pour lui).

    Ce contrôle que veut garder le comte sur ses vassaux est dû à la proximité de la menace musulmane, qui exige une grande cohésion des comtés catalans autour du comte de Barcelone.

     

    C-    Un autre moyen de la cohésion du comté : les liens familiaux.

    « le seigneur Ramon, comte, et dame Almodis, comtesse » + tout au long du texte « le comte et la comtesse » : la comtesse est donc étroitement associée au pouvoir du comte. En fait, le comte et la comtesse sont cousins, et Almodis est la fille du comte de Vic. Ce renchaînement d’alliance entre les branches barcelonaise et vicoise de la famille comtale renforce les liens entre les comtés catalans et permet au comte de Bacelone de réaffirmer son pouvoir sur les comtés secondaires.

    li. 34 : Udalard est un descendant de Raymond Borell (992-1017), premier comte de Barcelone à avoir réuni Barcelone et Gérone et à avoir nettement affirmé la domination de Barcelone sur les autres comtés. Raymond Borrell était le quadrisaïeul du comte Raymond Bérenger. Udalard et Raymond-Bérenger sont donc cousins au 4ème degré. En outre, le père d’Udalard, Bernard (la forme Udalard Bernard signifie « Udalard fils de Bernard »), portait un nom qui appartient à l’onomastique de la famille comtale.

    Non seulement les comtés, mais aussi les vicomtés étaient donc tenus par des membres des lignages secondaires de la dynastie comtale. Cela explique la multiplication des personnages portant le même prénom, et donc l’apparition précoce du patronyme, seul moyen de les distinguer (Udalard (fils de) Bernard, Gondebaud (fils de) Mir, Bernard (fils de) Ramon).

    Les souscripteurs de l’acte sont en général les vassaux du signataires, leurs noms permettent donc de se faire une idée de leur origine :

    -         certains sont liés à la famille comtale, puisqu’ils portent des noms tirés de ses traditions onomastiques (Mir, Bernard, Raymond).

    -         D’autres sont des nobles étrangers (cadets de noblesse exclus de l’héritage par le droit d’aînesse) attirés par la prospérité catalane et les opportunités offertes par les guerres contre les musulmans : Bonfill Alaman (Bonfils, fils de l’Allemand).

    La noblesse de Catalogne du XIème siècle présente donc une structure très endogamique (mariage au sein d’un même groupe), le comte, ses comtes secondaires, les vicomtes et une majorité de vassaux étant issus de la famille des comtes carolingiens. Les alliances croisées entre cousins renforçaient régulièrement ces liens familiaux. Cela s’explique par la difficulté de s’allier avec les dynasties voisines : un mariage avec les musulmans d’Espagne était impossible, une alliance avec les voisins chrétiens (comté de Toulouse et Royaume d’Aragon) aurait signifié le risque d’être absorbé par eux. Cette structure familiale spécifique vient également renforcer les engagements féodo-vassaliques entre le comte et ses vassaux.

     

    II-                La nature de l’engagement féodal : la fidélité.

    Il est donc temps d’interroger plus en détail la nature de ces lien féodo-vassalique à partir des informations que nous donne le texte, qui nous permettent de montrer que cet engagement est fondé sur la réciprocité et la liberté, qu’il repose sur la fidélité promise par serment au moment de l’hommage et qu’il entraîne des droits et des devoirs aussi bien pour le seigneur que pour le vassal.

    A-     La structure de l’engagement féodal :

    - Les notifications qui débute chaque paragraphe (« s’engage », « convient ») montre qu’Udalard intervient librement, sans contrainte du comte.

    En outre :

    li. 49 : « conclut un accord »

    Nature même du document (une convention, donc un acte juridique engageant librement deux personnes entre elles)

    ð      l’engagement féodo-vassalique est un accord librement consenti entre le comte et son vassal.

    - réciprocité : le cœur du document est l’échange réalisé entre le comte, qui offre un fief (li. 49-51) à Udalard, et Udalard qui jure fidélité et service au comte (li. 11-13 et 14-17).

    Cet engagement prend la forme d’une cérémonie spécifique dont la notice étudiée est la trace écrite : l’hommage. Le vassal s’agenouille devant son seigneur et place ses mains dans les siennes. Il lui prête serment de fidélité (li. 11 et 30) : c’est la recommandation. Ensuite, le seigneur relève son vassal et les deux hommes s’embrassent sur la bouche (ils échangent leurs souffles en signe de confiance mutuelle). Il lui remet un objet (ici une charte, plus au Nord, une motte de terre ou une bannière) qui symbolise le fief. Dans les pays de droit écrit, comme la Catalogne, une copie écrite du serment est conservée pour servir de preuve (li. 12).

    L’hommage, cérémonie d’engagement réciproque, crée donc des droits et des obligations propres pour le vassal comme pour le seigneur.

     

    B-     Les droits et les devoirs du vassal :

    Li. 3 et 44 : « tenir défendre et conserver » son fief :

    -         droit : le posséder (« tenir et conserver ») ce qui est confirmé aux li. 49 (« la possession ») et 52-23 (« de la même façon que … ont tenu ce fief »).

    -         Devoir : le défendre pour assurer la sécurité de son seigneur et éviter toute diminution de son territoire.

    Li. 2-10 et 14-16 : Le devoir de défense va plus loin, car Udalard doit de façon générale défendre les « droits, alleux, fiefs, terres et honneurs de son seigneur », c'est-à-dire l’ensemble de sa principauté.

    Li. 16 et 48 : « honneur » attaché à la terre ou au château = honneur au sens carolingien du terme = droits publics, droit de ban : le vassal doit aider son seigneur à administrer et gouverner sa principauté, sans abus ni exaction (li. 33-36) c'est-à-dire sans exiger des administrés plus que ce qu’ils doivent au comte (ce qui serait un moyen pour lui de s’enrichir aux dépends de son seigneur).

    Ces deux devoirs, la défense et l’aide dans le gouvernement, correspondent aux deux devoirs vassaliques définis par Fulbert de Chartres, spécialiste du droit féodal, dans sa lettre au duc Guillaume d’Aquitaine : l’auxilium et le consilium (l’assistance [sous entendue militaire] et le conseil). = engagement vassalique classique. = le service vassalique. Un exemple de ce service est l’obligation faite à Udalard d’accueillir le comte dans les châteaux qui lui sont confiés à chaque fois qu’il en fera la demande (= droit de gîte) (li. 17-22). De même, Udalard ne peut déserter son poste ou s’absenter sans l’accord du comte, même pour partir en pèlerinage (li. 53-54)

    Dans les engagements pris par Udalard apparaissent deux autres devoirs corrélatifs à la fidélité due au seigneur :

    -         « sincèrement et sans tromperie » : ne pas faire de tord à son seigneur, que ce soit par son honnêteté dans l’administration de son fief ou en ne commettant pas d’atteintes à son honneur (au sens noble du terme cette fois) en refusant d’obéir ou en le trompant.

    -         Etre fidèle : multiplication, dans le texte, des références à la fidélité jurée par Udalard au comte = Udalard doit remplir toutes ses autres obligations, ne pas aider les ennemis du comte (« qu’il ne les trahira pas », li. 17), ne pas s’en prendre au comte. Un exemple concret est l’obligation qui est faite à Udalard de demander l’accord du comte avant de confier un des châteaux qui lui est confié en fief à un châtelain, afin que celui-ci s’assure qu’aucun de ses vassaux ne donne un de ses châteaux en fief à l’un de ses ennemis. (li. 23-29)

    ð      la fidélité est une notion complexe, fondée sur l’engagement personnel, qui résume toutes les obligations du vassal. Tout le système féodal est fondé sur la fidélité, qui lui a donné son nom (féodal vient de féal, fidèle en vieux français).

    Si le vassal ne remplit pas ses obligations, il peut être puni par son seigneur.

     

    C-    Les droits et les devoirs du seigneur :

    Le comte doit lui aussi conseil à son vassal (li. 24). Pour le reste, le texte détaille peu les obligations du seigneur, car c’est la notice au nom d’Udalard. Celle intutulée au nom du comte devait se rapporter à ce sujet.

    On peut tout de même préciser que de seigneur a un devoir d’assistance envers son vassal dans les « 4 cas » : s’il est attaqué, s’il adoube son fils, s’il marie sa fille et s’il part en croisade ou en pèlerinage. Il est toutefois possible de percevoir l’écho de cette quatrième obligation dans la restriction mise au départ en pèlerinage d’Udalard aux li. 53-54 : non seulement ce départ entraînerait la vacance de son poste, mais en plus, cela aurait un coût financier pour le comte, contraint de lui venir en aide. D’où la nécessité de son accord préalable.

    Le principal droit du seigneur décrit dans le texte est celui de punir un vassal désobéissant ou infidèle :

    -         le comte conserve un droit d’usage des biens remis en fief, par le droit de gîte (« mise en possession du château »).

    -         Il a le droit de juger ses vassaux (li. 40)

    -         En cas d’atteinte à ses droits ou à son honneur, ou de rupture de la fidélité (ce qui revient au même), il a le droit de tirer réparation de son vassal (système compensatoire : le vassal doit payer une amende proportionnelle à la gravité de sa faute) ou de prononcer la « commise du fief » (= confiscation définitive). C’est la conséquence logique du lien féodo-vassalique fondé sur l’échange fief contre fidélité.

    Mais cette procédure est très codifiée (li. 33-49), limitée à une période de 60 jours, afin d’éviter tout abus.

    -         le seigneur a un dernier droit essentiel : le droit de grâce, moyen de manifester sa noblesse et sa grandeur d’âme en accordant son pardon au vassal infidèle.

     

    => au cœur du lien féodo-vassalique, on trouve donc le fief, propriété du vassal en contrepartie de sa  fidélité, mais dont le seigneur continue à pouvoir disposer sous certaines conditions.

    III-             Le contenu de l’engagement féodal : le fief.

    Le fief (feodus) dérive de fides, la fidélité. C’est la « terre de la fidélité ». Mais qu’est-il vraiment ? Il s’agit donc d’interroger sa nature physique, mais aussi de chercher à comprendre son statut juridique.

     

    A-     Nature du fief :

    « le comte et la comtesse remettent le vieux château vicomtal à Udalard, lui cèdent en fief la vicomté de Barcelone et le fief dudit château » : le fief est donc ici constitué de deux éléments distincts : la vicomté de Barcelone et le château vicomtal. Le comte conserve un droit d’usage du second (li. 17-22), mais renonce à ce droit sur la vicomté (ce que l’on déduit de l’absence de toute mention à ce sujet dans la notice). Le fief est donc constitué d’une terre (la cité de Barcelone et sa banlieue) et de droits publics (ban) (« l’honneur » attaché au château), de nature fiscale (cens, li. 33), coutumière (les « usages », li. 33 = taxes seigneuriales levées sur les équipements collectifs (banalités) et sur les échanges (péages, octrois et tonlieux = taxes sur la circulation des hommes et des marchandises). Il faudrait y ajouter le pouvoir judiciaire qui n’apparaît pas dans le texte, sans doute parce que c’est le comte qui rend lui-même la justice à Barcelone.

    Le fief est donc constitué d’une seigneurie foncière et banale.

    Le fief et les droits qui s’y attachent sont symbolisés par un lieu qui est remis à Udalard : le château vicomtal. (par opposition au château comtal, ou château neuf, résidence du comte quand il est dans la cité, dont Udalard n’a que la garde et qu’il doit toujours tenir à la disposition du comte). La remise du château coïncide avec la remise du fief (li. 51-52).

    D’autres lieux de pouvoirs qui peuvent servir de siège à une seigneurie remise en fief apparaissent dans le 1er § : l’évêché, l’abbayes (= seigneuries ecclésiastiques, jusqu’à la fin du XIème siècle, les évêques et abbés peuvent être vassaux d’un prince laïc).

    ð      Les droits des différents fiefs d’entremêlent, comme à Barcelone, citée partagée entre le comte, le vicomte et l’évêque. On sait pas ailleurs que les pouvoirs étaient partagés géographiquement : le vicomte avait autorité sur le plat pays autour de la cité, tandis que le comte et l’évêque se partageaient la cité. (// à Paris, que le roi de France a confié à un vicomte qui en réalité administre les environs de la cité, la ville elle-même étant gouvernée par l’évêque et par le prévôt (représentant) du roi).

    ð      Le comte reste maître de Barcelone et pourtant, Udalard et ses ancêtres « possèdent » et « tiennent » la cité. Á qui appartient donc le fief ?

    B-     Propriété et hérédité :

    On l’a vu, Udalard « tient » la vicomté de Barcelone, il en a la « possession », et il a hérité ses droits sur fief de son père, de son grand-père et de son arrière-grand-père (li. 51-52). Le fief est donc transmissible héréditairement. Udalard peut aussi donner une partie de son fief en fief à l’un de ses vassal (châtelain).

    => le fief a donc toutes les apparences de la propriété, puisque le vassal en a la jouissance pleine, entière et héréditaire. Mais cette propriété est conditionnelle, soumis au respect des engagements pris envers son seigneur (li. 34-35 : « Si Udalard ne respecte pas l’accord et lesdits serments… » ; li. 48-49 « et le château et son honneur ne demeurera à aucun titre en la possession d’Udalard »). Son accord est nécessaire pour certaine décision (remise en fief d’une partie du fief, départ en pèlerinage), il conserve un droit d’usage temporaire du château. Enfin, il peut reprendre le fief en cas de manquement grave à la fidèlité.

     

    C-    Un don que l’on peut reprendre !

    Le fief est donc un « don » (li. 47), il est concédé (« cédé », li. 52) en pleine propriété au vassal par le seigneur, mais ce dernier garde des droits sur ce qu’il a donné.

    La source de ses droits réside dans l’engagement de fidélité qui traduit la dette symbolique de celui qui a reçu par rapport à celui qui a donné.

    Le fief est donc ce que les anthropologues appellent un « keeping while giving » (donner en gardant) : c’est un don qui institue une hiérarchie et des obligations entre le donneur (le comte) et le receveur (Udalard), car Udalard n’a pas les moyens de rendre au comte Raymond-Bérenger l’équivalent de ce qu’il a reçu.

    La transmission héréditaire du fief entraîne la transmission héréditaire de l’obligation.

     

     Conclusion :

    La multiplication des liens personnels (de fidélité, familiaux) et symboliques (don, obligation) assure la cohésion de la principauté catalane autour du comte de Barcelone. Tout en permettant un encadrement local efficace des populations centré sur chaque château et seigneurie aux mains d’un vassal qui les tient en fief et doit des comptes au comte. Dans ses institutions et ses rituels, la féodalité catalane n’est donc pas résolument différente de la féodalité du nord de la Loire. Si elle accorde d’avantage de place à l’écrit, elle repose elle aussi fondamentalement sur l’échange du fief contre la fidélité et le service qui institue des obligations réciproques entre le seigneur et son vassal. Mais l’exemple catalan est relativement isolé, surtout au XIème siècle. Des documents comme la lettre de Fulbert de Chartres à Guillaume d’Aquitaine ou la lettre du comte Eudes de Blois au roi Robert le Pieux montrent qu’ailleurs, les seigneurs avaient beaucoup plus de mal à faire respecter leurs devoirs à des vassaux que n’effrayait pas la commise du fief, que leurs seigneurs n’avaient pas les moyens effectifs de mettre en œuvre. Hormis dans quelques espaces spécifiques (Catalogne, Anjou, cœur du comté de Flandre), il faut attendre le XIIème siècle pour que le droit féodal soit vraiment respecté et que les princes aient, partout, des capacités de contrôle de leurs vassaux comparables à celles qui apparaissent dans ce texte.

     

     

     






    Début | Page précédente | 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 | Page suivante | Fin
    [ Annuaire | VIP-Site | Charte | Admin | Contact dreillard ]

    © VIP Blog - Signaler un abus