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La Vie de Saint-Amand
27/10/2006 00:50
Illustration : l'épisode de la résurrection du pendu dans le plus vieux manuscrit de la vie de saint Amand, Valenciennes, Bibliothèque Municipale, ms. 502, fol. 25 v et 26.
Intro :
Le texte est un extrait de la Vie de saint Amand. Cette œuvre fut composée par un disciple d’Amand, moine à Elnone (aujourd’hui Saint-Amand les Eaux), traditionnellement baptisé Beaudémont ou Baldmund. Elle date de la fin du VIIème siècle et est de peu postérieure à la mort du saint.
Elle appartient malgré tout à un genre particulier, l’hagiographie (écrits en rapport avec les saints), qui utilise des codes spécifiques reproduit d’œuvre en œuvre : les topoi. Elle a en outre fait l’objet d’une réécriture partielle à la fin du VIIIème siècle, et le plus vieux manuscrit que l’on en conserve date du XIème siècle (Valenciennes, bibliothèque municipale, ms. 502).Elle doit donc être manipulée avec prudence, car elle ne vise pas à témoigner de la réalité mais d’une vérité d’un autre ordre, la sainteté d’Amand, qui doit servir de modèle aux fidèles chrétiens. D’où l’alternance d’éléments de contextualisation (lieu cité précisément, nom du comte, recours à un témoignage) qui encadrent des passages qui sont en fait des topoi (dureté de la mission, miracle qui entraîne la conversion des foules).
Les événements du texte sont datés du règne de Dagobert, sans qu’il soit précisé s’il s’agit de son règne en Austrasie (623-629) ou sur tout le royaume des Francs (629-639), ils sont avec certitude antérieurs à l’accession d’Amand à l’épiscopat, en 647, puisqu’il n’est pas appelé évêque et dépend d’un autre évêque, Achaire de Noyon.
Cette source est donc un document qui témoigne plus d’une vision idéale de ce que devait être une mission au VIIème siècle qu’un document factuel sur ce phénomène, même si certains éléments d’énonciation apportent des informations exploitables.
Le texte rapporte la façon dont Amand mena une mission dans le pagus de Gandao, c’est-à-dire dans l’actuelle région de Gand, pour y convertir les populations encore païennes et ainsi les intégrer à l’ordre mérovingien. Un miracle lui permet d’obtenir de nombreuses conversions.
Amand était un aquitain né à l’extrême fin du VIème siècle. Très tôt voué à une vie religieuse, il fut marqué par l’exemple de Colomban et décida de mener une vie de missionnaires dans les zones encore mal christianisées du nord des Gaules, essentiellement sur la vallée de l’Escaut. Avec l’appui des aristocraties locales, il fonda un monastère à Elnone (Saint-Amand) pour servir de base à ses entreprises. Son succès se traduisit par le rétablissement du diocèse de Maastricht dont il devint évêque en 647 et la fondation de plusieurs autres monastères avec le soutien de la puissante famille pippinide à Gand (Saint-Bavon et Saint-Pierre au Mont-Blandin) et à Nivelles. Mais il ne put se satisfaire des fonctions d’évêque et abandonnant son siège à un disciple, il reprit la route pour évangéliser les Wascons puis les Slaves. Il mourut en 675 ou 676 en léguant tous ses biens à ses diverses fondations monastiques. Cette œuvre missionnaire se fit donc en collaboration avec le pouvoir royal, dont elle améliorait le contrôle localement, et le grand lignage pippinide qui occupait la fonction de Maire du Palais en Austrasie. Loin d’être isolé, Amand put compter sur l’active collaboration des puissants de son temps.
Pbic : ce texte traduit donc la constante tension entre l’idéal religieux d’Amand, une vie de pénitence menée au service de Dieu, et ses obligations envers les pouvoirs de son temps.
Il faut donc d’abord envisager le saint missionnaire avant d’étudier Amand comme un grand au service du roi, et enfin la tension entre vie de l’esprit et vie politique.
I- Le saint missionnaire :
Toute cette partie s’appuie essentiellement sur les topoi présents dans le texte. Plus qu’un récit des mission d’Amand, elle permet de construire un schéma général de l’œuvre d’un missionnaire au VIIème siècle.
A- La difficulté de l’œuvre missionnaire :
Lieu de la mission : topos du lieu hostile, sauvage, peuplé de barbares païens, reposant sur une opposition civilisation – barbarie issue de l’Antiquité et sur laquelle les hagiographes ont plaqué l’opposition chrétiens – païens.
Image du païen = très stéréotypée, on apprends des rites et coutumes de ces peuples.
Propos à nuancer : on apprend au paragraphe suivant que la zone est administrée par un comte franc. Ce que le texte n’avoue qu’à demi-mot, c’est que la mission d’Amand se déroule au cœur du pays franc salien, et pas dans une terre étrangère et barbare.
De même, ce lieu décrit comme inculte et quasiment désert accueille pourtant en fin de texte une foule venue se convertir => contradiction interne entre deux topoi repris tels quels : le lieu de mission est forcément un endroit très pénibles, pour justifier les souffrances endurées par le saint, mais parallèlement, le succès de la mission exige des conversions nombreuses.
B- La conversion par la persuasion :
L’épisode du miracle qui entraîne l’adhésion spontanée des populations à la foi chrétienne reflète un idéal de la mission : que la conversion soit volontaire et fondée sur la persuasion plutôt que fruit d’une violence politique ou armée. Se traduit pas une image = transformation des temples en église (<> à destruction des temples).
Cela permet aussi à l’hagiographe de mettre l’accent sur les qualités individuelles du missionnaire.
C- le prédicateur :
Le missionnaire est d’abord un homme de parole. Le début et la fin du texte insistent sur ce rôle de messager de la parole du Christ qui intervient en fait après la conversion et non avant :
- début du texte : Amand prêche dans « les localités et les paroisses » : existence de structures paroissiales est un signe que les populations ainsi exhortée par le saint sont déjà chrétiennes.
- Fin du texte : « nourrissant le peuple de la parole sacrée il éclairait les cœurs de tous de la doctrine céleste » : une fois le baptême reçu, ça n’est qu’un premier pas vers une vie chrétienne. Le missionnaire doit œuvrer à l’approfondissement de la foi, à la christianisation des mœurs…
La conversion n’est donc pas qu’un choix personnel de recevoir le baptême. Dans des sociétés marquées par l’importance du groupe d’appartenance, c’est un acte collectif qui engendre des modifications des relations sociales et politiques.
II- Un grand au service du roi :
A- Amand l’aristocrate au service de Dieu :
Mauvais traitements de la part de femme et de paysans : humiliation ultime pour un homme noble et chrétien (paysan = païen, paganus). Par sa mission, Amand se met donc volontairement dans une position d’humilité opposée à l’attitude de la classe à laquelle il appartient. Mais ce faisant, il détourne l’idéal aristocratique dans le domaine religieux, en faisant preuve dans sa foi d’une abnégation parallèle à celle du guerrier au combat. + courage face à des conditions difficiles. => le missionnaire reste un aristocrate inscrit dans une éthique aristocratique de l’agon.
B- L’insertion dans les hiérarchies de l’époque :
Cadre de la mission = un pagus administré par un comte, circonscription fondamentale du RF. Dans une zone privée de structure diocésaine (disparition des cités romaines au moment de l’installation des Francs), le missionnaire dont donc composer avec les autorités civiles qui assurent sa protection.
Il s’intègre dans la hiérarchie politique puisqu’il sollicite l’accord du roi pour mener sa mission, ainsi que dans la hiérarchie politique puisqu’il demande l’accord de l’évêque dont il dépend, Achaire de Noyon. => Elnone est dans le diocèse de Cambrai, mais zone où la vie diocésaine a été très perturbée, les sièges épiscopaux sont donc tenus par des évêques déjà titulaires d’autres sièges plus au sud et à l’ouest, en particulier Noyon souvent associé à Cambrai ou Arras. = zones de reconquête chrétienne.
C- Au nom du roi et avec son aide :
Lettres royales : réalité d’une pratique qui s’oppose à la conversion librement consentie, puisque l’ordre royal consiste à encourager les conversions forcées. Cela suppose que le missionnaire peut recourir à la force armée avec l’aide du comte, donc qu’il collabore avec lui, ce qui explique qu’il apparaisse également dans le cercle de ses conseillers pouvant chercher à influer ses décisions, au tribunal par exemple.
Cette aide du roi s’intègre dans une politique globale d’unification du RF, menée par Clotaire II et Dagobert Ier, et qui s’appuie en particulier sur le réseau épiscopal. Cela exige donc que toutes les populations du royaume soient chrétiennes.
III- La tension entre vie de l’esprit et vie publique :
A- Un missionnaire pas si solitaire :
Le texte affirme qu’Amand est abandonné par ses compagnons, pourtant, au chapitre suivant, ils sont à ses côtés pour assister au miracle. => solitude du missionnaire abandonné de tous = un topos de l’époque, et le fruit d’un genre qui se focalise sur le saint au dépend de son entourage. En fait, l’organisation d’une mission demande un certain personnel de prêtres, diacres et religieux pour mettre en place les bases de la vie religieuse dans les zones de conversion. Cela demande donc aussi des moyens et le soutien d’institutions (diocèse, royauté, grandes familles) capables de les fournir.
B- Le conflit avec le comte : deux idéaux opposés :
Passage consacré à l’intervention d’Amand en faveur d’un condamné à mort = plus original et témoigne de tensions à l’œuvre dans une société en cours de christianisation :
- le comte veut appliquer la mort au nom d’un principe d’utilité sociale auquel s’oppose l’idéalisme pacifique chrétien qui condamne toute mise à mort ;
- Amand, par sa compassion, s’oppose également à la foule qui a torturé le coupable avant de le livrer au tribunal comtal.
- le comte veut appliquer une loi coutumière, instinctive (v. la pression de la foule qui a déjà torturé le coupable et fait pression sur le comte pour obtenir sa mort), tandis qu’Amand est du côté de la loi royale, la loi salique, qui prescrit la réparation pécuniaire plutôt que la vengeance. A une forme d’utilitarisme social (éliminer les criminels pour les empêcher de nuire) s’oppose une autre vision du maintien de l’ordre dans la société : la compensation qui évite le cycle des vengeances.
Tout se passage s’intègre dans une vision chrétienne qui renvoie à plusieurs passage des évangiles : le voleur battu et exécuté rappelle le bon laron de la crucifixion, mais aussi l’image du Christ battu et condamné par la foule pendant la passion. Il est donc l’incarnation du principe édicté par Jésus selon lequel ce que l’on fait aux pauvres et aux souffrants est un bienfait envers le Christ lui-même.
Il y a donc, au-delà des conversions suscitées par la résurrection de l’homme, un projet plus global d’imposer les valeurs chrétiennes comme base des relations sociales.
Conclusion :
Ce texte traduit bien, à travers la personne d’Amand, la tension entre l’idéal chrétien et une société encore partiellement christianisée et que l’œuvre des missionnaires achève de convertir. Ce processus de conversion est à l’œuvre chez les populations encore païennes, mais aussi au sein même de l’espace déjà christianiser, pour y approfondir la foi des laïcs. Cet aspect devient dominant dans les dernières décennies du VIIème siècle, à l’époque où est rédigé ce texte et alors que tout le RF est devenu chrétien. Il annonce la réforme qui sera mise en œuvre au VIIIème siècle.
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L’évêque mérovingien
27/10/2006 00:46
Illustration : saint Eloi ordonné évêque par saint Ouen, miniature du XIVème siècle.
Définition : chef de l’Eglise dans un diocèse, circonscription ecclésiastique calquée sur la cité antique dans laquelle il est le seul habilité à consacrer prêtres et diacres, à confirmer et à bénir les saintes huiles. A l’origine et dans les zones peu christianisées, il est aussi le seul à prêcher et à remettre tous les sacrements (baptême, eucharistie, réconciliation, onction des malades), mais l’extension du christianisme le contraint à déléguer cette autorité aux prêtres paroissiaux.
Contexte : Epoque mérovingienne : 481-751, période qui voit la fusion des élites gallo-romaines, qui s’étaient réservé l’épiscopat, et des élites franques, récemment christianisées et qui y accèdent à partir du début du VIIème siècle. L’Église est un important relais du pouvoir du roi des Francs, en particulier en raison de son maillage territorial qui permet de couvrir tout le royaume. Les évêques sont donc non seulement des personnages religieux, mais aussi des hommes publics servant leur roi. De plus, les missions qui visent à étendre la foi chrétienne contribuent à l’unité d’un royaume de plus en plus pensé comme chrétien et accompagnent son extension dans les terres germaniques restées païennes.
Pbic : tension entre idéal religieux et implications politiques, entre sainteté et vie publique.
Plan : 3 échelles auxquelles appréhender l’action de l’évêque : sur le plan local, dans le cadre du royaume et enfin dans son rapport au monde, à l’espace et au temps.
I- L’évêque en sa cité : l’administrateur local.
A- De son vivant :
a- chef religieux et administrateur.
Par fonction, l’évêque est un chef religieux. L’extrême cloisonnement des Églises aux VIème et VIIème siècles fait même de chaque évêque une sorte de petit chef de son Église, élu par les nobles et les clercs de son diocèse, de petit pape qui définit la doctrine, la discipline, fixe la liturgie… => micro-chrétientés. Pouvoir symbolisé par son trône, la cathedra, d’où il dirige la messe dans son église.
Ex. : Didier de Cahors : développement de la pastorale et des paroisses rurales + réfection des murailles de Cahors et service d’approvisionnement des citadins pauvres durant les disettes.
L’évêque est également un administrateur qui lève les taxes, en particulier les tonlieux, droits de passage aux portes de la ville, sur les ponts, dans les ports…
Pour l’assister dans ses tâches, il est entouré d’un important personnel de clercs qui assurent les offices de la cathédrale et des autres églises et gèrent les biens du diocèse et la cité = les chanoines.
b- Le quartier cathédral, cœur de la cité.
Cité = domaine de l’évêque car comtes résident dans les villae rurales.
L’évêque y est le principal pouvoir et façonne la cité selon les normes et les besoins de l’Église : palais du gouverneur romain ou décurie devient la résidence de l’évêque. Autour du croisement du Kardo et du decumanus, qui définissait le centre de la cité, il réinvestit les centres du pouvoir civil et religieux, transformant basiliques et temples en églises aux usages spécialisés :
La cathédrale, qui est l’église de l’évêque où il célèbre la messe.
Le baptistère, qui est l’église où l’on baptise.
Parfois, d’autres églises dédiées à des saints particuliers.
Ex : Poitiers au VIIème siècle.
Saint-Pierre (Cathédrale)
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c- Le protector civitatis.
L’évêque a une double fonction de protection : religieuse puisque par ses prières et sa vie droite il doit attirer la faveur divine sur la cité, mais aussi concrète en cas de danger la menaçant ou pour obtenir des avantages matériels.
Ex. 1 : pendant la grande faide, lors du siège de Soissons par Childebert, c’est l’évêque de la ville qui se porte à sa rencontre pour négocier la reddition de la cité contre la promesse qu’elle ne serait pas pillée.
Ex. 2 : Ouen, en tant qu’évêque de Rouen, obtint certains privilèges pour sa cité du roi (droit de marché, tonlieu du port).
Ex. 3 : plus fantastique : Marcellus, évêque de Paris, aurait chassé le dragon qui hantait les marécages proches des murailles de la cité (= quartier du Marais) => symbole du paganisme.
B- Et après sa mort :
a- De saints évêques, protecteurs de leur cité.
Ce rôle de protection se perpétue au-delà de la mort, surtout si l’évêque, par la pureté de sa vie a mérité d’être considéré comme saint. Sur les tombeaux des premiers évêques de chaque cité et d’évêques remarquables s’élèvent des basiliques funéraires, hors les murs car à l’époque les cimetières sont hors des villes, où l’on rend un culte à ses saints évêques qui continuent à veiller sur leur cité et à intercéder pour elle dans la mort.
Ex. : Saint-Martin de Tours, Saint-Rémi de Reims, Saint-Germain d’Auxerre, Saint-Gerry de Cambrai, Saint-Vaast d’Arras, Saint-Marcel de Paris, Saint-Arnoul de Metz….
b- L’inhumation ad sanctos et le développement des basiliques funéraires.
La croyance dans les pouvoirs miraculeux de ces saints évêques provoque l’essor des basiliques funéraires, en particulier en raison des rites funéraires : situées hors les murs, elles autorisent l’inhumation ad sanctos des fidèles, ce qui est impossible dans la cathédrale. Commence alors une compétition entre les évêques et les communautés de moines groupées autour de ces tombeaux pour le contrôle des reliques, d’autant que l’espoir des miracles fait venir des pèlerins parfois de très loin (Saint-Martin). Les évêques assurent la promotion de ces saints par des écrits (Grégoire de Tours compose une Vie et des Miracles de saint Martin). Quand les communautés restent peu développées, comme à Saint-Géry de Cambrai, ils en gardent le contrôle, mais quand elles se structurent autour d’une règle, elles leur échappent pour former un monastère, comme à Saint-Vaast d’Arras.
Maître de sa cité et en partie du territoire qui l’entoure, l’évêque est un rouage essentiel de l’administration du royaume.
II- L’évêque et le roi : un royaume chrétien ?
A- le conseiller et l’auxiliaire du roi :
Tradition inaugurée par Rémi de Reims aux côtés de Clovis et poursuivie par Grégoire de Tours auprès, entre autre, de Gontran de Bourgogne.
Particulièrement remarquable sous les règnes de Clotaire II et Dagobert Ier (613-629 et 629-639), avec toute une génération de jeunes issus de la noblesse, élevés au palais, qui remplissent des fonctions palatines puis sont nommés évêques et constituent un réseau d’administrateurs efficaces et d’une grande fidélité envers le roi : Eloi de Noyon-Arras, Ouen de Rouen, Didier de Cahors, Arnoul de Metz pour citer les principaux.
Tradition de l’élection de l’évêque est battue en brèche par l’habitude prise par les rois de désigné un candidat qui est ensuite docilement élu par le clergé et le peuple de la cité.
B- la critique des puissants au risque de la mort :
Néanmoins, cette collaboration ne se fait pas toujours sans problème, car les évêques peuvent entrer en rivalité avec les comtes.
Affaiblissement du pouvoir royal après la mort de Dagobert entraîne un affaiblissement politique de l’épiscopat qui était son principal soutien.
Ex : Arnoul de Metz, imposé comme évêque par le roi, est chassé de sa cité par une révolte qui lui donne un successeur issu de clergé local.
Les évêques se trouvent pris dans tourbillon des ambitions et des affrontements pour le pouvoir.
Ex. Didier d’Autun, prélat bourguignon fidèle aux maires du Palais austrasiens Pippinides et supplicié sur ordre du maire du Palais neustrien Ebroïn, issus du d’un lignage opposé.
C- les risques de l’accommodation avec le pouvoir : un clergé corrompu et illettré ?
Les sources du milieu du VIIIème, à l’époque où siècle les Carolingiens s’emparent du pouvoir et lancent la réforme de l’Église franque, donnent une vision catastrophique de l’épiscopat franc après un siècle de crise : plus de synode ou de concile depuis les années 650, des évêques illettrés, vivant avec leur femme et plusieurs concubines, préférant la chasse et la guerre à la messe, s’appropriant sans vergogne les biens de leur église pour leur profit et celui de leur famille.
Certes, il y a des cas biens avérés d’évêques incompétents ou inaptes, comme l’évêque de Rouen Ragenfred, qui fut déposé en 755, et qui est qualifié d’évêque « illettré et incompétent ». Mais le patrimonialisation des charges épiscopales, si elle a bien entraîné une baisse du niveau religieux et culturel des évêques, n’a pas toujours été systématiquement synonyme de corruption et de simonie : les biens des diocèses sont restés dans l’ensemble bien gérés dans l’intérêt des familles qui occupaient les sièges épiscopaux. (ex. Zacconides de Coire).
Cette crise de l’épiscopat franc dans la deuxième moitié du VIIème siècle montre son lien étroit avec la royauté. Mais elle est aussi le reflet de critiques adressée par des hommes issus de l’autre grande force de la chrétienté : le monachisme, qui a un projet qui entre partiellement en rivalité avec celui des évêques. Enfin, elle vient s’insérer entre deux grandes phases missionnaires et n’entraîne pas, paradoxalement, l’arrêt des missions , mais plutôt un changement de leur nature.
III- L’évêque missionnaire et prédicateur : l’ouverture sur le monde.
A- Des hommes de culture et d’écrit, héritiers de l’aristocratie gallo-romaine :
Cf. Grégoire de Tours, Vénance de Poitiers.
But de l’érudition, du travail des lettres : améliorer l’administration et la prédication, arme essentiel de la mission. Trois des grands évêques du VIIème siècle sont des Aquitains à une époque où l’Aquitaine est un conservatoire des savoirs antiques : Didier de Cahors, Eloi de Noyon et Amand de Maastricht.
B- La mission : au nom de Dieu et du roi : Mission = mouvement essentiel des VIème et VIIème siècles, dans une Église qui se voit comme en mission permanente pour achever la christianisation du monde. Idéal de la peregrinatio pro Deo, de la mise en danger au service de la foi, qui porte à des missions lointaines parmi des peuplades barbares, mais aussi service du roi dont le but est d’entretenir l’unité du royaume. Or, la christianisation des peuplades encore païennes est un moyen de cette unité autoiur du roi des Francs chrétiens.
Il faut distinguer mission dans le royaume (l’essentiel dans la période) dont le but est d’achever sa christianisation, et missions en marches, qui accompagnent les premières tentatives d’expansion à l’Est (cf. saint Wulfran en Frise, saint Amand chez les Wascons et les Slaves). Paradoxalement, la crise de l’épiscopat coïncide avec l’achèvement de la christianisation du monde franc. Dès lors les missions sont plutôt menées hors du royaume, en collaboration avec les pouvoirs qui soutiennent l’expansion, comme les Pippinides en Austrasie ou les Odonides en Aquitaine. Ces missions hors du royaume attire la collaboration de missionnaires étrangers, en particulier anglo-saxons (Wilfrid, Boniface), qui deviennent évêque dans le RF (Wilfrid = évêque d’Utrecht) et sont ensuite à l’origine de la réforme de l’Église franque.
C- La concurrence des moines colombaniens.
Cette influence insulaire est déjà perceptible dans la première moitié du VIIème siècle avec la mission de Colomban, moine irlandais venu approfondir la foi des grands dans le royaume des Francs. De son action naît un monachisme iro-franc qui contribue à l’achèvement de la christianisation des Gaules par un réseau dense de monastères et d’églises rurales fondés sur les propriétés des grands. Mais ce mouvement se heurte aux évêques qui y voient une menace : en effet, les monastères colombaniens sont exempt de l’ordinaire, donc ne dépendent pas de l’évêque du diocèse, et les églises fondées par les grands sont des églises privées régies par le droit de patronage. De larges fractions des diocèses échappent donc aux évêques, ce qui explique aussi leur affaiblissement. Colomban est chassé d’Austrasie par un synode d’évêque.
Mais l’opposition ne dure pas, les colombaniens s’intègrent dans le paysage franc et certains d’entre eux, comme Amand, deviennent évêque, prouvant que épiscopat et monastère pouvait œuvrer ensemble à une meilleure administration de l’Église et à l’œuvre missionnaire.
Conclusion :
Très lié au pouvoir royal, l’évêque mérovingien voit on influence régresser avec lui au profit des moines, soutien des grandes familles aristocratiques. Si l’époque mérovingienne a été celle des saints évêques, cette sainteté est à relativiser, car l’évêque reste avant tout un noble et un grand administrateur fidèle à son roi autant qu’à Dieu et très impliqué dans les affaires de son temps. Cette sainteté active, au service du pouvoir mais aussi du peuple ainsi administré et protégé, est la conséquence de la tension constante entre idéal religieux et réalité politique à laquelle se confrontaient quotidiennement ces hommes.
Commentaire de Charles (25/10/2007 20:05) :
Les eveques avaient beaucoup plus de pouvoir que les rois en place comme
Clovis ou Thierry IV. Ce sont surtout les rois faineants et ce
a partir de l'an 657 compte tenu des 17 souverains Mérovingiens
francs.
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Qu'est-ce qu'une cité ?
09/10/2006 03:15
Illustration : Psautier d'Utrecht (IXème siècle).
Le terme étant déjà revenu à plusieurs reprises dans le TD, quelques éclaircissements :
la structure de la cité (civitas) vient de l'Antiquité même si elle est modifiée par les mutations qui interviennent aux Vème siècle. A l'origine, la cité est un ensemble constitué par un centre urbain et les terres environnantes (pagus) que ce centre contrôle. La cité est la base de l'administration de l'Empire romain. Elle était dirigée par une curie municipale qui était une assemblée de notables.
Avec la fin de l'empire, les curies municipales disparaissent. La centre urbain de la cité est devenue, depuis le IVème siècle, la résidence de l'évêque, qui est chef de l'Eglise dans tout le pagus. Avec la disparition des autres pouvoirs, il devient l'administrateur des cités, tandis que le pagus passe sous le pouvoir du comte, qui réside dans des centres ruraux.
Ainsi, au fil du VIème siècle, le terme cité en vient à désigner le seul centre urbain, qui comprend en général un castrum (ensemble fortifié qui en assure la défense), le quartier cathédral, où réside l'évêque et son clergé, des quartiers résiduels voués au commerce et à l'artisanat et des bourgs monastiques qui se forment autour des tombes des saints évêques enterrés hors des murailles.
La pagus correspond alors à deux réalités distinctes :
- sur le plan ecclésiastique, il constitue le diocèse, c'est à dire la juridiction canonique, de l'évêque.
- sur le plan administratif, il constitue le comté, administré pour le roi par le comte.
La taille des cités varie énormément selon les régions. Elles sont très petites (l'équivalent d'un canton actuel) en Provence, immense (équivalente à deux ou trois départements actuels) dans le centre et l'Ouest des Gaules. Souvent, dans le reste des Gaules, elles correspondent globalement aux départements actuels.
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Le royaume des Francs en 511
09/10/2006 02:53
Illustration : Deux guerriers francs (reconstitution contemporaine d'après les découvertes archéologiques, catalogue de l'exposition Die Franken)
[NB : on écrit le royaume des Francs, l’empire d’Orient (complément du nom), mais, par exemple, l’Empire romain ou la République française (adjectif)]
Introduction :
[présentation et justification de la date] En 511, Clovis meurt après avoir, durant un règne de 30 ans, unifié les Francs et une grande partie des anciennes Gaules romaines sous son pouvoir. Il revient alors à ses héritiers d’achever cette unification même si, paradoxalement, ils se partagent le royaume aussitôt leur père mort. [Définition des termes du sujet] Né du petit royaume de Tournai que Childéric, le père de Clovis, avait tenu au nom des derniers empereurs d’Occident, le royaume des Francs, c’est-à-dire l’espace soumis au pouvoir du roi des Francs, s’est donc dilaté aux dimensions des Gaules, exception faite du Sud-est et de la Bretagne, débordant même sur la Germanie libre. Malgré tout, il continue à se définir par un peuple, les Francs, et non par une appellation géographique. [Problématisation] On peut donc légitimement s’interroger sur ce qu’est ce royaume des Francs en 511. Est-ce une nébuleuse de peuples simplement maintenus ensembles par le pouvoir d’un roi et prête à imploser dès qu’il disparaît ? Ou bien un véritable État héritier de l’Empire romain ? Comme souvent, la réponse réside sans doute entre ces deux extrêmes. [Annonce du plan] Pour en approcher, il est nécessaire de revenir sur sa formation, sous le règne de Clovis, puis d’envisager sa situation à la mort de ce dernier, pour saisir quels germes d’avenir elle porte en elle.
[NB : plan classique pour un sujet tableau : cause – situation – conséquence, c’est encore plus vrai ici car on sait trop peu de chose sur l’année 511 elle-même pour construire tout un devoir sur ces éléments]
Plan alternatif [thématique] :
I – L’unification du royaume : conquête et rivalités internes.
II- Les Francs, les Gallo-romains et les autres : les royaumes des Francs.
III- L’administration du royaume : la royauté franque.
I- Le règne de Clovis, fondement du royaume des Francs :
A – Des débuts discrets :
De la victoire sur Syagrius au baptême : Clovis reste une force mineure et marginale dans la grande rivalité qui se joue entre Ostrogoths, Wisigoths et Burgondes sur les ruines de l’empire d’Occident.
B- L’entrée dans la lumière :
Du baptême à la conquête de l’Aquitaine :
- intervention dans le grand jeu et alliance burgonde ;
- le baptême et le ralliement des élites gallo-romaines ;
- Vouillé et la conquête de l’Aquitaine.
C- Le roi des Francs :
De Vouillé à la mort de Clovis :
- l’unification de la royauté franque (modèle = Goths et Burgondes, chez qui une seule dynastie règne) ;
- l’imitatio imperii.
- Transition sur l’Eglise qui devient un moyen de gouverner les zones conquises.
II- 511, année charnière :
A- Le concile d’Orléans et la loi salique :
Le roi des Francs, chef de l’Eglise des Gaules et « nouveau Constantin » : utilisation des structures de l’Église et de sa hiérarchie pour unifier le royaume.
La loi salique : une loi unique pour les Francs et les Romains, au contraire de ce qui se trouve chez les autres peuples germains (ex. Wisigoths : Code d’Euric = loi des Wisigoths ; Bréviaire d’Alaric = abrégé du droit romain). Elle consacre la transmission de l’héritage en ligne direct patrilinéaire (= de père en fils) en excluant les femmes de l’héritage, consacrant le projet dynastique de Clovis.
La loi salique est un pacte (pactum legis salicae), un contrat qui lie entre eux les sujets du roi des Francs quelque soit leur origine.
Elle a un caractère compensatoire : il faut payer une compensation (Wergeld) au crime commis selon son importance : ex : un main coupée : 30 sous, mais seulement 15 si elle pend encore au bout du bras.
B- La mort de Clovis et le partage du royaume :
Inhumation aux Saint-Apôtres, destinés à devenir une nécropole familiale.
Clovis avait lui-même préparé sa succession et le partage de son royaume.
Thierry Ier => roi de Cologne (fils d’une parente de Sigebert) et de Champagne. = Est du royaume.
Clotaire Ier => roi des Soissons, il hérite en fait des terres patrimoniales de Clovis et de ses premières conquêtes. = Nord du royaume
Childebert Ier => roi de Paris, avec tout l’Ouest de la Gaule. = Ouest du royaume
Clodomir Ier => le reste = Sud du royaume.
L’Aquitaine est partagée en parts égales entre les quatre frères.
Tous les quatre portent le titre de roi des Francs, les appellations « roi de X » sont une création des historiens modernes pour les distinguer.
De plus, ils héritent d’un territoire inachevé : chaque zone comporte une possibilité d’expansion et d’achèvement de la conquête de Clovis.
C- La diversité dans l’unité :
Il y a donc bien toujours un royaume des Francs qui se subdivise en quatre royaumes francs. Le partage a une certaine logique : deux fils reçoivent les terres franques, deux autres des zones récemment conquises. L’Aquitaine, dernière conquête de Clovis et province la plus riche ne constitue pas un royaume en soit, pour éviter toute velléité d’indépendance. Ces deux blocs forment donc deux ensembles réunissant autour de Thierry et Clotaire les terres de l’Est et autour de Childebert et Clodomir terres occidentales. Cette séparation Est / Ouest, terres patrimoniales franques / nouvelles terres franques devient la division fondamentale dans le royaume, et sous les règnes des fils et petits-fils de Clovis se répand l’usage des mots Neustrie (nouvelles terres) et Austrasie (Terres de l’Est).
III- L’héritage de Clovis :
A- La royauté franque, royauté patrimoniale :
- les fondements de la royauté franque : v. commentaire
- Le royaume : un patrimoine dynastique : comme tous les héritiers de grande famille, les descendant de Clovis n’ont de cesse de chercher à réunifier le RF à leur profit, y compris au pris de lutte fratricide (assassinat des enfants de Clodomir)
B- Le comte et l’évêque :
Coopération des élites franques, qui reçoivent les charges civiles dans les comtés (circonscriptions de base calquées sur les cités) et les évêques qui administrent ces cités.
C- L’achèvement de la conquête et la fusion des élites :
534-536 : conquête du royaume des Burgondes et de la Provence.
534 : le duc des Thuringiens prête serment de fidélité au roi des Francs
555 : les ducs des Alamans et des Bavarois prêtent serment de fidélité au roi des Francs.
Dès lors, les Francs contrôlent toutes les Gaules (à l’exception de la Bretagne, des Pyrénées et de la Septimanie), et toute la Germanie centrale et méridionale.
Très rapidement, dans ces terres, les élites germaniques se mêlent par le biais des mariages, si bien que rapidement, on ne parle plus que de Francs. Avec les élites gallo-romaines fières de leurs origines, la fusion est plus lente, mais déjà bien amorcée dès la fin du VIème siècle.
Mais cet achèvement de la conquête et cette fusion s’opère dans le cadre de plusieurs royaumes issus du partage de 511 et qui ne sont qu’épisodiquement réunifiés (par Clotaire I entre 561 et 565 par ex.). Cela n’empêche pas l’idée d’un royaume des Francs de survivre vis-à-vis de l’étranger et même, au sein même de ce royaume. En fait, chaque royaume est un peu comme les régions dans la France moderne : ils sont des subdivisions internes d’un espace unifié, à la seule différence qu’il n’y a pas un roi à la tête de l’ensemble.
Conclusion :
Malgré le partage de 511, malgré le maintien d’une distinction entre nouvelles terres gallo-romaines et anciennes terres franques, l’œuvre de Clovis lui a non seulement survécu, mais a été achevé par ses héritiers. L’idée d’un royaume des Francs unis gouverné par un seul roi ne disparaît jamais, et cinquante ans après sa mort, Clotaire réunifie le royaume. Quant à la collaboration des élites franques, germaniques et gallo-romaines, elle s’intensifie à un tel point qu’un siècle plus tard, il est devenu quasiment impossible de distinguer les origines de ceux qui sont tous appelés par les sources des Francs.
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LA fin du règne de Clovis (508-511)
09/10/2006 02:47
Illustration : Clovis brisant le crâne du soldat qui avait brisé le vase de Soissons (image d'Epinal du XIXème siècle)
Intro :
Ce document est un texte narratif extrait des Dix livres de l’Histoire des Francs de Grégoire de Tours (538-594). Issu d’une famille sénatoriale arverne et neveu du dernier consul gaulois et poète latin Sidoine Apollinaire, il fait carrière dans l’Eglise comme beaucoup de Gallo-romains après la chute de l’empire (les charges civiles sont alors réservées aux Germains). Il devient évêque de Tours et abbé de Saint-Martin, le plus grand monastère des Gaules. Il côtoie l’évêque de Poitiers Fortunat, l’un des derniers grands poètes de tradition romaine, et la reine Clotilde dans ses dernières années. Il est également lié aux descendants de Clovis, qu’il conseille, en particulier le roi Gontran de Burgondie.
Son Histoire des Francs s’inscrit dans la tradition des « histoires nationales », comme l’Histoire des Goths de Jordanès, et repose sur un projet historiographique proche : raconter l’histoire des Francs et leurs origines mythiques à son temps (son récit s’interrompt avec sa mort) en montrant qu’ils sont un peuple élu de Dieu et que leur dynastie royale, les Mérovingiens, étaient appelée à régner sur la Gaule. Mais cela n’exclut pas un point de vue critique, car pour Grégoire, les rois sont classés en deux catégories :
Les bons rois, bons chrétiens, respectueux de l’Eglise et qui collaborent avec les Gallo-romains (= les évêques)
Les mauvais rois, mauvais chrétiens, qui usurpent les biens de l’Eglise, violent ses règles et ne s’appuient que sur l’aristocratie franque.
Clovis, fondateur du royaume des Francs, rentre bien sûr dans la première catégorie, quitte à devoir déformer la réalité ou la minorer pour préserver cette image.
Cette œuvre est donc en partie fiable (elle s’appuie sur des témoignages directs) au moins pour l’extrait donné à commenter (<> à récit du baptême, complètement reconstruit a posteriori), mais elle est orientée idéologiquement et sa chronologie est peu sûre.
L’Histoire des Francs a été écrite à partir de 560, et les événements ici rapportés sont datables de la période qui va de la conquête de l’Aquitaine (507-508) dont le récit précède immédiatement ce passage dans l’œuvre, à la mort de Clovis qui intervient la 5ème année après Vouillé, bataille qui eut lieu en 507. Donc 507+4 = 511. Donc les événements rapportés se seraient déroulés entre 508 et 511. L’extrait livré au commentaire rapporte l’élimination des autres chefs francs par Clovis dans les dernières années de sa vie.
Après la chute de l’empire d’Occident s’ouvre une période de rivalité entre rois germaniques pour l’hégémonie en Gaule. Clovis réunit autour de lui les Francs, repousse les tentatives d’invasion des germains restés à l’Est du Rhin (Alamans, Saxons), élimine Syagrius, dernier représentant romain en Gaule et neutralise les Burgondes en épousant la fille de leur roi, Clotilde. Il envahit alors le royaume wisigothique d’Aquitaine. En 508, son pouvoir est reconnu par l’empereur d’Orient qui lui fait décerner le titre de consul. Les dernières années de son règne sont consacrées à la mise en ordre de ce royaume dilaté par les conquêtes et à la préparation de sa succession.
Pb : Le texte nous donne une image des Francs et de la royauté de Clovis dans la 1ère décennie du VIème siècle. Il permet de dégager les bases du pouvoir du roi des Francs et comprendre d’où il tire sa puissance.
Plan : Parler du roi des Francs implique de savoir d’abord qui sont les Francs, puis on verra les aspects guerriers de ce pouvoir et ensuite les apports liés au christianisme et à l’héritage romain.
I- Les Francs au début du VIème siècle :
Les Francs sont à l’origine une confédération de peuples germaniques occidentaux (les Franken = « hommes libres ») venus de l’actuelle Hollande, et qui s’installent à la fin du IIIème siècle sur la frontière du Rhin comme fédérés. Ils restent très mal connus jusqu’au règne du père de Clovis, Childéric.
A- une confédération de peuples :
Le texte cite en tout quatre rois : Sigebert le Boiteux, roi e Cologne, Chararich, roi de Worms, Ragnacaire, roi de Cambrai et Clovis, roi de Paris. Les Francs constituent une confédération de petits royaumes autonomes qui se réunissent pour faire la guerre et se donnent alors une sorte de roi des rois qui commandent aux autres rois pour la durée de la campagne. Á l’origine, Clovis est l’un de ces rois des rois, mais il parvient à s’imposer durablement par ses succès militaires.
La diversité des Francs est simplifiable en une distinction entre :
Les Francs de l’Ouest, installés le long de l’Escaut, appelés Francs Saliens ou Scaldiens : Clovis, Ragnacaire.
Les Francs de l’Est, installés sur la rive (ripa) occidentale du Rhin : les Francs Ripuaires ou Rhénans : Sigebert, Chararich.
[NB : graphie des termes latins ou germaniques : soulignés dans les textes manuscrits, italiques dans les textes dactylographiés]
L’ascension de Clovis entraîne une évolution vers un emboîtement de royaumes : un grand royaume des Francs réunissant plusieurs petits (sous-)royaumes francs.
B- Des facteurs d’unité :
* Les Francs se reconnaissent entre eux à certains signes distinctifs :
- ce sont des guerriers <> paysans gallo-romains => ambiance de violence du texte.
- Ont un armement distinctif (la hache ou francisque)
A ces éléments du texte, on pourrait ajouter le costume (manteau ou saie), la coiffure (cheveux relevés sur le sommet du crâne).
* « beaucoup d’autres rois et de proches parents » : les liens de parenté et d’amitié entre familles royales : ces liens ce caractérise par une prédominance des relations cognatiques (au sein d’un groupe familial large incluant les alliés par mariage et les descendants en ligne féminine) sur les relations agnatiques (au sein de la famille restreinte, dominée par la transmission en ligne directe de père en fils).
- ces liens s’expriment par l’onomastique : Sigebert a un fils appelé Sigefrid, un fils de Clovis, Clotaire, épouse une fille de Sigebert et a un fils qui s’appelle lui aussi Sigebert. Un autre fils de Clovis s’appelle Childebert. L’autre fils de Sigebert, son meurtrier, s’appeler Chloderic, nom composé à partir de Chlodewig (Clovis) et Hilderic (le père de Clovis) et qui traduit l’alliance (amitié) qui existait entre les deux lignages. On trouve également les frères Ragnacar et Ragnamar (forme germanique de Rignomer), avec possible parenté entre Ragnacar et Cararic, puisque le fils de Ragnacar était Riccar (= Cararic à l’envers). Enfin, le père de Clovis, Hilderic, était sans doute lié à Cararic.
- l’amitié entre Clovis et Sigebert, promise ensuite au fils de Sigebert : liée au mariage en 1ère noce de Clovis avec une parente de Sigebert. L’amitié est un lien contractuel symétrique entre deux individus, qui s’engagent à s’entraider et se protéger mutuellement.
=> les rois francs sont tous membres d’un même groupe familial étendu (Sippe) :; « ces rois étaient ses proches », en latin propinqui, qui désigne un lien familial.
« un de leurs frères… dans la cité du Mans » : les liens sont tellement étroits qu’un membre de la famille de Cambrai réside dans le royaume de Clovis.
C- Un projet d’unification :
Mais ces liens représentent aussi un danger car tous ont droit a une part d’héritage : en éliminant un à un les autres rois, Clovis unifie le royaume des Francs et le réserve à ses seuls héritiers.
Quelle est la base du pouvoir de ces rois ?
II- Un roi de guerre qui s’impose par la force :
Élu par l’armée assemblée, le roi se doit d’être un guerrier irréprochable qui s’impose par la force et en tire les moyens de gouverner :
A- Le roi des armées :
Passage du texte : élection de Clovis sur le trône de Sigebert le Boiteux : le roi des Francs est élu (acclamé) par le peuple (« le choisirent comme roi »).
Attention : élection n’est pas à prendre au sens démocratique ! il n’y a qu’un seul candidat.
De qui est constitué ce peuple ? « applaudirent avec leurs boucliers » = des guerriers => constante chez les peuples germains, puis durant tout le Haut Moyen Âge, de la synonymie peuple/armée. Dans un système où tout homme adulte porte les armes et doit répondre à la convocation du roi à la guerre, le roi légitime d’abord son pouvoir par son rôle de chef de l’armée (Herrenkönig).
C’est une société violente dans laquelle les querelles se règlent les armes à la main.
B- L’usage de la force :
Sigebert tué par son propre fils à l’instigation de Clovis + « lui fracasse la cervelle » + « de les punir tous les deux de la mort » + « l’assassiner lui-même » + « ayant élevé sa hâche, il la lui enfonça dans la tête » : le roi doit d’abord pouvoir s’imposer par la force contre ceux qui menacent son pouvoir et préserver son honneur face aux autres souverains (cf. « humiliation » dont veut se venger Chararich). La vie de Clovis telle qu’elle est rapportée par Grégoire est émaillée de récits + ou – légendaires sur ce thème :
- Vouillé (fin du texte) : bataille entre Francs et Wisigoths durant laquelle Clovis tua lui-même le roi ennemi Alaric II en lui enfonçant sa lance dans la gorge.
- Episode du vase de Soissons : en refusant de rendre le vase liturgique pris lors du pillage de Soissons et que Clovis a promis à l’évêque de lui rendre, un soldat franc compromet l’honneur de son roi, qui se venge en lui brisant le crâne.
Ces actes violents fondés sur la sauvegarde et la réparation de l’honneur permettent au roi d’assurer la « protection » et la « domination » de son peuple. C’est le Mund, force charismatique par laquelle le roi assure prospérité et victoire à son peuple. Symbolisé par les cheveux longs que les rois et leurs fils sont seuls autorisés à porter (« menaçaient de laisser croître leurs cheveux »).
Ce Mund (protection/domination) est le moyen d’acquérir les bases matérielles du pouvoir.
C- Les bases matérielles du pouvoir :
A chaque élimination d’un roi, Clovis s’empare de « ses trésors et de son royaume » :
Le trésor (cité 6x) = tiré surtout du butin pris à l’ennemi, mais aussi des impôts romains repris à leur compte par les fédérés. Il est le moyen de défendre son honneur en manifestant sa largesse et de récompenser ses fidèles, les leudes.
Le royaume (6x) et le peuple (= l’armée, cf. II A) : base territoriale et fiscale du pouvoir, source de revenus, de puissance (armée), le royaume est la propriété du roi. Son pouvoir est patrimonial, et à sa mort, trésor et royaume sont partagés entre ses fils.
La conquête induit des transformations du pouvoir d’un roi qui n’est plus seulement roi d’un peuple mais qui règne sur un territoire vaste, peuplé de non-francs et qu’il faut administrer.
III- Le roi chrétien, héritier de l’empereur :
Clovis, à partir de 507, règne sur un territoire majoritairement peuplé de Gallo-romains chrétiens, alors qu’il est le ri d’un peuple germanique en grande partie encore païen. Comment s’adapte-t-il à cette situation ?
A- Le roi chrétien :
Clovis « faisait ce qui plaisait à Dieu » = il est chrétien, il a été baptisé à une date incertaine (entre 496, bataille de Tolbiac, où on est sûr qu’il est païen, et 507, bataille de Vouillé, où on est sûr qu’il est chrétien).
Dans la vision chrétienne et orientée de Grégoire, sa conversion explique son succès (« Dieu prosternait chaque jour ses ennemis sous sa main ») car elle permet aux Francs d’accomplir le plan de Dieu. De plus, cette phrase est imitée des formules de l’AT, ce qui établit donc un parallèle entre Clovis et les rois d’Israël.
De plus, il a épousé une sainte, Clotilde (Grégoire est d’ailleurs l’un des grands promoteurs de sa sainteté).
Grégoire sous-entend que le meurtre des autres rois n’est pas un péché car eux sont restés païens ou sont des pêcheurs comme Chararich et son filsdont on est sûr qu’il est chrétien puisque Clovis en fait un clerc. Mais leur meurtre est justifié par leur volonté de se révolter et de commettre des actes (assassinat, abandon de la tonsure) en contradiction avec leur statut clérical.
Ainsi, Grégoire cherche à prouver que même dans ce déchaînement de violence contre ses proches et ses alliés, Clovis reste un bon chrétien. Il crée le mythe d’un roi des Francs passés miraculeusement de l’état de païen barbare à celui de roi chrétien idéal, suivant ainsi un modèle bien connu des érudits de son temps : le topos de la conversion de Constantin.
B- L’héritier de l’empereur :
Clovis, roi chrétien, fonde une basilique des « Saints-Apôtres », comme Constantin avait fondé, dans sa capitale de Constantinople, une basilique sous la même dédicace où il se fit lui aussi enterré.
Clovis fait de Paris sa principale résidence (y réside au début et à la fin du texte), le siège de son pouvoir, comme les empereurs se fixaient dans une ville-capitale. A cela s’ajoute la territorialisation de son pouvoir : Paris est au cœur du domaine gallo-romain, et pas en terre franque comme sa première « capitale », Tournai. Ces villes sont toutes les deux des cités romaines et son père avait reçu un commandement (symbolisé par le sceau retrouvé dans sa tombe) du romain Aegidius.
L’élection de Clovis au royaume de Cologne : l’élection du roi est une tradition franque, mais le rituel employé (acclamation de l’armée par le choc des boucliers, élévation sur le pavois) est le rituel de l’élection impériale romaine.
Monnaies d’or dans le trésor de Sigebert = monnaies romaines (les seuls à frapper des sous d’or dans cette période). Le soin avec lequel elles ont été rangées pourrait faire penser à une sorte de collection (cf. Sutton Hoo : collection de sous d'or continentaux dans la tombe d'un roi anglo-saxon).
Conclusion :
A travers ce texte, Clovis apparaît comme un roi germanique qui s’appuie d’abord son pouvoir sur l’armée, la force, la richesse, la puissance quasi-magique du Mund. Mais la conquête de territoires gallo-romains et la dilatation du royaume l’obligent à adapter sa royauté aux nouvelles populations soumises et à la nouvelle réalité géographique de son pouvoir. De ce mixte de traditions germaniques, romaines et chrétiennes naît la volonté d’unifier le royaume des Francs sous une seule dynastie, même si lui-même, à sa mort, partage son royaume entre ses fils.
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